Un journaliste de l’AFP raconte la journée compliquée qu’il a vécue, le jour du décès de l’ancien président de la République, mort il y a tout juste vingt ans.
«Ce 8 janvier 1996, quand j’arrive au siège de l’AFP place de la Bourse, je sais que je vais avoir du boulot». Ce jour-là, le véritable événement qui réunit les journalistes du gratin politique, ce sont les vœux à la presse de Jacques Chirac, élu président de la République huit mois plus tôt. Dominique Chabrol, adjoint du chef du service politique, n’y est pourtant pas invité. «Dernier arrivé dans le service, je resterai au bureau pour relire la copie. Je ne suis même pas sur les listings de la présidence et je n’ai pas reçu d’invitation», écrit-il dans un post publié sur le blog « Making-of » de l’agence.
Depuis déjà plusieurs années, François Mitterrand est très malade. Sa dernière opération contre son cancer de la prostate date de septembre 1992. Il se déplace difficilement, reste alité la plupart du temps dans son appartement de la rue Frédéric-Le-Play, où il semble attendre la mort et reçoit des journalistes, pour la postérité. En décembre 1995, Mitterrand s’est envolé à Assouan avec sa fille, Mazarine, et quelques amis. Des photos ont circulé : son teint est de plus en plus blême, presque jaune.
Après un passage par Latche pour le Nouvel an, l’ancien Président rejoint Paris le 2 janvier, très fatigué. Les rumeurs vont bon train, d’autant que la dernière campagne présidentielle, où Jospin et Chirac se sont affrontés, a laissé des traces. Le 10 novembre 1995, des bruits circulent dans les rédactions : Mitterrand aurait été hospitalisé au Val-de-Grâce ! En guise de réponse, il débarque le lendemain, par avion privé, chez son ami André Rousselet, et flâne dans les rues de Saint-Tropez. La prudence est de mise, donc, pour le journaliste de l’AFP. À 10h20, une rédaction appelle l’agence. Chabrol décroche son téléphone : «Il paraît que Mitterrand est mort. Vous êtes au courant ?» C’est là que commence le boulot pour lequel l’agence est créditée : vérifier les infos.
« Dans la cour de l’Elysée, le bruit se répand parmi les journalistes qui franchissent les contrôles de sécurité. Cette fois, cela semble sérieux », poursuit le journaliste de l’AFP. « Chacun essaie de joindre ses sources et une question commence à tourner : est-ce qu’on rentre tout de suite ou est-ce qu’on attend ce que va dire Chirac ? En quelques minutes, quelque chose vient de basculer. Et au service politique, la petite équipe qui devait assurer l’intendance pendant les vœux présidentiels se retrouve en première ligne.»
L’AFP doit être la première à annoncer son décès. C’est une question de crédibilité, à une époque où Internet n’en est qu’à ses balbutiements. De longue date, un dispositif a même été pensé pour que l’agence ne loupe pas le coche. Pierre Favier, pilier du service politique, a carrément un papier tout prêt, déjà écrit, qu’il promène avec lui à longueur de journée.
« C’est Pierre Favier qui, grâce à ses contacts, doit nous permettre de sortir l’information. Le problème, c’est que ce jour-là, il n’est ni à l’agence, ni à l’Elysée. (…) Les téléphones portables commencent tout juste à circuler et tous les journalistes n’en sont pas dotés. Je l’appelle dès la première alerte sur son ‘beeper’, un boîtier qui ne lui indique que le numéro d’appel. A partir de là, il doit trouver un téléphone fixe. Il utilise celui de Jean-Louis Bianco, un ancien secrétaire général de l’Elysée qu’il est en train d’interviewer. Mais ça prend forcément un peu de temps. »
Dans la précipitation, le journaliste de l’AFP oublie de signer la dépêche !
Chabrol va vivre les minutes les plus longues de sa vie. Les rédactions continuent d’alerter l’AFP, qui peine à confirmer. « Notre dispositif est calé, mais l’info peut fuiter de n’importe où », insiste le journaliste. Favier finira par le rappeler : « Mitterrand est mort, je viens d’avoir son secrétariat, on peut l’annoncer. » Chabrol rédige la dépêche… mais oublie de la signer. Tant pis !
« A l’Elysée, Jacques Chirac annonce lui-même la nouvelle vers 11 heures : ‘Le président François Mitterrand nous a quittés ce matin. Je viens de le saluer une dernière fois…’ Il annule aussitôt ses vœux, donnant le signal du départ à des centaines de journalistes qui se précipitent en taxi, en métro, en courant, vers leurs rédactions. Les petits fours et les plats cuisinés du buffet de l’Elysée, prévu pour plus de 500 personnes, iront améliorer l’ordinaire des maisons de retraite. »
Lire le post de blog ici.
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