Vingt ans jour pour jour après sa mort, François Hollande se rend ce vendredi à Jarnac pour se recueillir sur la tombe de François Mitterrand. Si les louanges pour l’homme de mai 1981 paraissent sincères aujourd’hui, les socialistes ne se sont pas gênés pour pousser « Tonton » vers la sortie dans les années 90. Souvenirs, souvenirs…
Début de l’année 1992. Mitterrand n’est plus que l’ombre de lui-même. Il se déplace difficilement, se sent cerné par la maladie et, surtout, s’enferme dans une extrême solitude. Le naufrage du gouvernement d’Edith Cresson l’entraîne dans sa chute. “Il n’a plus la main“, répètent en choeur les conseillers de l’Élysée, comme le raconte Georges-Marc Benamou dans son dernier livre consacré à celui qu’on surnomme alors le “Vieux“*. Les affaires et l’ambiance fin de règne de cette décennie donnent à Mitterrand l’image d’un monarque sur le départ. Il est vulnérable et critiqué par ses amis : “Mitterrand, c’est le diable“, poursuit Benamou qui défend l’héritage mitterrandien, lui qui fut le patron de Globe, un journal dévoué à la cause du Président. “Après s’être prosternés devant lui pour des postes, des privilèges, des carrières entières, ils sont devenus des putschistes clandestins.“
Un surnom atroce est même trouvé à Mitterrand : “Bourguiba“, du nom du dictateur tunisien devenu sénile. Pierre Moscovici et les soutiens de Lionel Jospin, qui a déjà en tête la présidentielle de 1995, se paient François Mitterrand dès qu’ils le peuvent. En 2011, à l’occasion des quinze ans de la mort de l’ancien président, Moscovici reste fidèle à ses convictions de l’époque, et ne se rend pas aux cérémonies d’hommages : “Je n’y suis pas allé, parce que ce n’était pas ma place – cette cérémonie, me semble-t-il, appartenait surtout aux proches de l’ancien Président, dont je n’étais pas“, justifie-t-il sur son blog. Et de prolonger l’idée d’un « droit d’inventaire », en insistant sur ses « sérieuses divergences » avec Mitterrand, qui reste « un virtuose de la politique, un maître de la conquête du pouvoir. » Il va même plus loin, désacralisant ainsi le leg du premier président socialiste de la Ve :
“Cette longue période de 14 ans n’a pas débouché sur une transformation sociale progressiste et profonde mais s’est achevée par une déroute historique de la gauche et laisse l’image de variations, voire de déceptions idéologiques. (…) Nous ne devons rien oublier, mais pas non plus nous perdre dans la nostalgie. Il nous faut plutôt, en méditant les leçons du passé, inventer l’avenir.“
En coulisses, les socialistes préparent évidemment la succession. Or en 1995, Mitterrand rechigne à soutenir son “héritier“. Dans une interview au Figaro en forme de passage de témoin, il juge Lionel Jospin “capable de cristalliser l’espérance et les réalités de gauche“ mais se montre tiède : “Ce n’est pas un mystère : je voterai pour lui, et j’espère que ceux qui m’ont suivi jusqu’ici agiront comme moi.“ On a connu soutien plus enflammé ! Jospin, soucieux de se démarquer du maître, a décidé d’engager un “droit d’inventaire“, pour paraître plus neuf qu’il ne l’est vraiment. Stratégie à la fois payante et perdante : arrivé en tête au premier tour avec 23,3%, le socialiste perdra face à Jacques Chirac, qui engrenge 52,64% des voix au second tour. Jamais, pendant la campagne, Mitterrand n’aura été convié à un meeting de Jospin. Le premier, pourtant, attend longtemps un coup de téléphone du candidat de son camp…
À l’occasion d’un livre de souvenirs paru en 2012, Jospin nuance son point de vue. Il reconnaît désormais ce qu’il doit à Mitterrand : “[Il] m’a ouvert la voie de l’action politique réelle, une action qui a orienté toute mon existence. Il m’a permis de diriger le mouvement socialiste qu’il avait fait renaître et il a été pour moi un exemple de subtilité politique, de détermination et de ténacité“, souligne-t-il dans L’Obs. “Il m’a offert certaines des plus belles années de ma vie. C’est pourquoi, ce mot de gratitude me paraît le bon, au-delà des différences entre nous et des écarts inévitables qui ne relevaient pas de l’infidélité, mais de la liberté d’opinion dont il avait fait sa propre règle.“
Les ennemis de Mitterrand n’étaient pas tous à trouver du côté de Jospin ou de Rocard, qui fut son pire ennemi. Les “sabras“ Daniel Vaillant, Dominique Strauss-Kahn ou même Martine Aubry, dont l’ancien président disait : “Vous allez voir, elle va rassembler tous mes opposants, tous les rocardiens.“ Jusqu’à Laurent Fabius, le “fils préféré“ qui doit tout à François Mitterrand et lança pourtant dans “L’Heure de Vérité“ : “Lui, c’est lui, et moi, c’est moi !“ Quel affront…
En 2011 dans L’Express, Fabius reviendra sur cette formule ambiguë, en jurant qu’elle était validée par Mitterrand : “En septembre 1984, je devais participer à une grande émission de télévision. J’étais au firmament des sondages, mais un reproche m’était fait : trop dépendre du Président. Lui et moi avons donc mis au point ensemble cette formule, dans son bureau, le stylo à la main, pour marquer en quelque sorte ma singularité par rapport à lui. Plus tard, la phrase a été réinterprétée comme si elle avait été prononcée dans un tout autre environnement, celui de la tension liée à l’accueil très postérieur du dictateur polonais Jaruzelski. J’ai toujours eu une relation profonde et confiante avec Mitterrand.“
Avec le temps, Mitterrand s’intègre désormais dans l’histoire de la gauche ; et il est dur de ne pas revendiquer sa filiation, sous peine d’apparaître comme suspendu dans le vide. François Hollande a joué l’équilibriste en 2012, rendant hommage, à Jarnac, à un Président auquel il s’identifie tout en assumant ses différences : “J’ai ma propre démarche, j’ai ma propre histoire, mon propre parcours, je n’essaie pas de me mettre dans les pas d’un autre, tout en étant inspiré par des personnalités qui ont pu un moment diriger la France (…) C’est la force de l’esprit qui est ici et moi, j’essaierai d’être dans l’esprit d’une force qui doit aller et conduire les Français à changer », lance-t-il en Charente.
Il se dit “inspiré“. Tout comme Arnaud Montebourg s’inspire de la rituelle ascencion de la Roche de Solutré (Mitterrand la faisait chaque année, en compagnie d’une batterie de journalistes et de son chien Baltique), quand il grimpe le Mont Beuvray chaque lundi de Pentecôte, depuis 2004.
On ressort des écharpes rouges, on se coiffe d’un chapeau l’hiver
“Deux décennies après sa mort, le rétablissement de Mitterrand est prodigieux. De noire qu’était sa légende à la fin du règne, à gauche elle est immaculée. C’est Saint Mitterrand dans tous les courants, Dieu le Père pour ces laïques. Leur Mitterrand est impeccable, correct, lisse, aussi parfait que la momie de Lénine“, ironise encore Georges-Marc Benamou dans son livre. La rancoeur d’autrefois a disparu. On ressort des écharpes rouges, on se coiffe d’un chapeau l’hiver, ce qui cette année par exemple confère à Bernard Cazeneuve une silhouette familière… “Elle est risible, cette religion, quand on a vécu le temps où bien des ministres d’aujourd’hui, alors jeunes hiérarques socialistes, n’avaient pas assez de mots pour dire leur dédain du vieux Président.“ Maintenant que la paix est signée avec “Tonton“, qui sait, l’heure de la canonisation socialiste est peut-être enfin venue pour“Saint Mitterrand“.
* Dites-leur que je ne suis pas le diable, Georges-Marc Benamou, Plon.
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