Frédéric Sicard, qui est devenu le 1er janvier le nouveau bâtonnier de Paris, est accusé par le « Canard Enchaîné » d’avoir pris la décision d’expulser un migrant syrien logé dans un appartement mis à sa disposition.
Le poste de bâtonnier de Paris est sensible, alimenté par des guerres de chapelles et des jalousies internes qui se gèrent souvent en coulisses. Sauf que, parfois, le poisson remonte à la surface. Le nouveau titulaire du bâton de maréchal, Frédéric Sicard, avocat spécialiste du droit social élu le 25 juin 2015 aux côtés de Dominique Attias (vice-bâtonnière), en a fait les frais récemment. L’affaire qui agite le marigot des 28.000 avocats parisiens depuis quelques semaines ? Une histoire de migrant syrien logé dans un studio, logement de fonction du bâtonnier. Ce migrant, par ailleurs avocat de 28 ans, a occupé le logement à partir du début du mois de septembre jusqu’à la troisième semaine du mois de décembre 2015, selon nos informations.
C’est le Canard Enchaîné qui publie l’information son édition du 6 janvier : Pierre-Olivier Sur, bâtonnier sortant, aurait recueilli cet homme en septembre alors qu’il faisait la manche, pour l’installer dans ce studio de la place Dauphine (Ier arrondissement de Paris) mis gracieusement à sa disposition depuis le 1er janvier 2014, date du début de son mandat. “Mais le 1er janvier (2016, ndlr), Frédéric Sicard a succédé à Pierre-Olivier Sur. Et le premier geste du nouveau bâtonnier a été d’expulser le malheureux pour récupérer le studio“, écrit l’hebdomadaire, dans un encadré.
Joint par Marianne, l’intéréssé dément cette version et s’esclaffe quand on lui parle de cet avocat syrien : “Mais mon pauvre ami, je ne sais même pas qui c’est !“ Avant d’ajouter : “En tout cas, ce n’est pas moi qui ai pris cette décision. Il y a peut-être eu un avocat logé ici mais je ne le connais pas, Pierre-Olivier Sur n’a jamais souhaité que je le rencontre et je ne connais même pas son prénom !“ Selon lui, l’homme serait parti avant que lui-même, alors avocat associé au sein du cabinet La Garanderie & Associés, basé dans le XVIe arrondissement, ne prenne ses nouvelles fonctions : “Je découvre ce logement seulement aujourd’hui (le 6 janvier, ndlr) et c’est Pierre-Olivier Sur qui s’est occupé du dossier. Le 15 ou le 16 décembre, il est venu me voir pour m’en parler et me dire : ‘Au fait, le problème de notre confrère syrien est réglé’. Je n’ai pas demandé à en savoir plus“, jure-t-il.
De son côté, Pierre-Olivier Sur n’est pas très précis mais il relativise et appelle au calme — “Arrêtons de faire des vagues avec cette histoire..“ — tout en assurant que l’info initiale du Canard « est exacte“. “On l’a seulement hébergé le temps qu’il obtienne des papiers de réfugié politique, ce qui est le cas depuis deux mois puisqu’avec François Sureau (avocat au Barreau de Paris, ndlr), on a monté les dossiers. Là, on a convenu qu’il devait partir, mais on ne l’a pas fait virer manu militari. C’était normal qu’il ailler voir ailleurs car plus rien ne justifiait sa présence.“ Avant cela, Pierre-Olivier Sur lui aura laissé l’accès à une “petite chambre“, au-dessus des appartements privés du bâtonnier, demandant “qu’on lui monte une assiette de temps en temps“, lui faisant visiter les musées et lui offrant même un poste de professeur, rémunéré, à l’Ecole de Formation du Barreau. Pour un cours sur… la charia, ce qui n’avait pas manqué de créer une polémique.“On m’a accusé de vouloir transformer le Barreau en école coranique, s’insurge Pierre-Olivier Sur. C’est complètement délirant !“
« On est convenu qu’il devait partir, mais on ne l’a pas fait virer manu militari »
En réalité, la sortie de cette « affaire » n’a rien d’étonnant quand on connaît le climat tendu qui préside dans ce milieu, où les élections donnent souvent lieu à des affrontements juridiques de haute volée. Mais aussi à quelques règlements de comptes… Il faut dire que le poste est prestigieux, sans oublier les indemnités afférentes de 220.000 euros annuels, ainsi que la voiture et le gyrophare de fonction ! Avant de devenir le porte-parole des avocats parisiens et l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, Frédéric Sicard avait échoué en 2012 face à Pierre-Olivier Sur. Pour prendre la tête de cette institution dont l’origine remonte au XIIIe siècle, dotée de 170 salariés et d’un budget annuel de près de 27 millions d’euros, il faut avoir le cuir épais, comme en témoigne la campagne tendue qui s’est déroulée en 2015. Et ce n’est pas Pierre-Olivier Sur, qui échoua lui-même en 2010 face à Christiane Feral-Schuhl, qui dira le contraire : parti grandissime favori, il loupa la marche de peu, et aura mis “deux mois à s’en remettre.“
Pendant sa campagne, Sicard s’est quant à lui présenté comme le gardien du temple, en promettant d’en finir avec le train de vie confortable de l’Ordre des avocats, en cette période de crise : « On doit vivre avec notre temps. Et les temps sont économes », annonçait-il à L’Obs, en jurant que les frais de communication allaient baisser de 10% et les frais de voyage et de mission de 24%. “Je veux à la fois désacraliser l’avocat et ne pas le banaliser. Nous ne sommes ni une élite ni des êtres banals. Pour être digne de ce statut, l’avocat doit être un homme ou une femme du droit et de valeur morale“, ajoutait-il dans Le Point. À 55 ans, le bonhomme n’a donc certainement pas fini de se faire des ennemis.
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments