Christiane Taubira n’est pas la première à se faire épingler pour une histoire d’appartement. Avant elle, Hervé Gaymard, Jean-François Copé, Fadela Amara, Delphine Batho et de nombreux élus de la capitale ont eu à s’expliquer des conditions dans lesquelles ils étaient logés.
De légal à moral, il y a une marche. Ce jeudi 7 janvier, Marianne révèle que la ministre de la Justice Christiane Taubira a pu bénéficier, à Paris, de l’attribution d’un logement à « loyer maîtrisé » malgré son statut et la mise à disposition, par l’Etat, d’un logement de fonction.
Moralisation de la vie politique oblige, l’opinion ne supporte plus ces polémiques autour des logements occupés par des élus, à des prix sous-évalués et obtenus souvent grâce à des passe-droits. La situation est d’autant plus intenable que de nombreuses demandes de logement social sont en attente pour des gens qui n’ont pas les moyens de se loger facilement. “En 2011, on comptait 387.000 demandeurs de logements sociaux en Ile-de-France. Seuls 75.000 à 80.000, soit 20% environ du total, en ont obtenu, dont 11.000 à 12.000 à Paris. En 2013, le nombre de demandes est monté à 500.000 dans la région parisienne“, rappelait ainsi Le Monde en 2013. Pendant la campagne des élections municipales à Paris, Anne Hidalgo était d’ailleurs partie en croisade contre les élus locataires d’un logement social.
Je souhaite qu’aucun conseiller de Paris ne soit locataire d’un logement attribué par la Ville ou un de ses bailleurs:http://t.co/abQRVy7JCB
— Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) 5 Décembre 2013
En effet, malgré des revenus souvent confortables, certains de nos élus profitent d’appartements gérés par des organismes de la Ville de Paris, alors même qu’ils ont les moyens de trouver un appartement dans le parc privé. Ministres, parlementaires, élus municipaux, la liste est déjà longue, ce qui rend d’autant plus incompréhensible l’affaire Taubira, qui connaît le poids des symboles en politique.
Hervé Gaymard et son duplex de 600 m2 pour 14.000 euros
C’est certainement le cas le plus emblématique de ces vingt dernières années. En 2005, alors qu’il est ministre de l’Économie, l’actuel soutien d’Alain Juppé loue un duplex de 600 mètres carrés près de l’avenue Montaigne, dans le 8e arrondissement de Paris, pour la coquette somme de 14.000 euros… payée par l’Etat. Pourquoi le ministre ne loge-t-il pas dans son appartement de fonction à Bercy ? “Trop petit“, juge son épouse Clara Gaymard, qui habite l’appartement avec son mari et leurs huit enfants.
Pourquoi Hervé Gaymard ne loge-t-il pas dans son appartement de fonction à Bercy ?
Le ministre a beau rappeler qu’il n’y a là rien d’illégal, le fait que son loyer soit pris en charge à 100% par l’État (en plus de la rémunération de leur maître d’hôtel, de leur cuisinier, de leur gouvernante et de leurs deux femmes de ménage) choque suffisamment l’opinion pour qu’il doive y renoncer très vite. Avant de lâcher dans la foulée son poste de ministre, à la suite de dix jours de fronde médiatique… C’est le début d’une longue traversée du désert pour ce gaulliste revenu en grâce récemment.
Fadela Amara et son appartement prêté à sa famille
Devenir ministre, c’est prendre le risque d’être sur-exposé. Fadela Amara, alors secrétaire d’Etat à la Ville, en fait les frais en 2010. À l’époque, Le Canard Enchainé révèle que, tout en habitant dans un logement HLM rue Nationale, dans le 13e arrondissement de la capitale, qui appartient à la Ville, celle-ci prête son appartement de fonction de 55 m² dans le 7e arrondissement à des membres de sa famille. Tollé général, d’autant que sa chef de cabinet est alors aussi citée pour un logement HLM de 80m² qu’elle loue, elle, pour 420 euros par mois à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).
En 2009, l’ancien présidente de l’association “Ni putes ni soumises“ se justifiait en ces termes sur la location de son HLM dans les colonnes de L’Express: “J’ai grandi dans un quartier populaire. Parce que je suis ministre, je devrais renier mes racines ? (…) Il m’a fallu trois ans pour obtenir ce logement HLM, à l’époque où j’étais présidente de Ni putes ni soumises. En 2007, dès mon entrée au gouvernement, j’ai tenu à régulariser ma situation. Mes services ont envoyé un courrier à la RIVP dans lequel je proposais de payer un surloyer. Or, l’appartement étant à loyer libre, la loi ne le permet pas.“ Dommage…
Christian Estrosi et la « soupente » de 70 m2 qu’il occupe avec sa fille
Certains sont plus malins que d’autres, lorsqu’il s’agit de gérer les bourrasques médiatiques. Accusé de jouir de deux logements de fonction, dont un à Bercy (un bureau et un lit qu’il occupe lorsqu’il termine tard) en tant que ministre de l’Industrie et un autre au 80, rue de Lille dans le 7e arrondissement de Paris, Christian Estrosi décide de faire profil bas. Ce deuxième appartement, se défend-il, est un F3 de 70m2, sans luxe démesuré, qu’il occupe avec sa fille car le député-maire de Nice (UMP) n’est pas propriétaire d’un logement dans la capitale. Or, l’affaire Gaymard a laissé des traces : la circulaire Raffarin de février 2005 stipulait alors que “les membres du gouvernement peuvent être logés dans la limite de 80 m² + 20 m² par enfant à charge.“ Le compte est bon mais le symbole est plus fort. Pour dégonfler la polémique, le ministre décide de faire visiter les lieux, sur le conseil d’un expert de la com’, l’ancien journaliste Jean-Luc Mano, qui raconte la manœuvre dans le livre Jeu d’influence :
“On se dit avec les membres du cabinet, que l’on pourrait faire un truc qu’on ne fait pas habituellement, ouvrir l’appartement et le montrer. Et dire ‘Voilà où il vit, est-ce qu’il y a matière franchement à lui faire un procès en usurpation ou en bénéfice d’avantages indus’ ?“ Le lendemain, quand une trentaine de journalistes afflue dans le “petit“ appartement, Mano sait que le tour est joué : “Cela montrait que ça n’était pas très grand, détaille-t-il. Quand vous mettez vingt personnes quelque part et qu’ils se marchent dessus vous n’êtes pas dans le palais de Bourguiba !“ Au final, Christian Estrosi se tire bien de cette mauvaise passe.
Jean-François Copé et l’appartement prêté à Bastien Millot
“C’est bien l’appartement de Bastien Millot ?“ En 2005, l’affaire Bygmalion n’a pas encore éclaté et les journalistes de Libération qui sonnent à l’interphone, rue Raynouard dans le 16e arrondissement de Paris, chez Jean-François Copé, tentent de savoir si le ministre délégué au Budget prête bien son appartement à son directeur de cabinet adjoint. “Oui, mais il n’est pas là pour l’instant“, leur répond-t-on.
Des journalistes de Libé sonnent chez Jean-François Copé : “C’est bien l’appartement de Bastien Millot ?“
De son côté, le ministre rétorque : “Bastien m’a sollicité pour poser ses meubles quelques jours chez moi. Je ne lui demande évidemment pas de loyer.“ Pendant ce temps là, il loge avec sa famille dans le 8e arrondissement, aux frais de l’État, qui loue pour lui 230 m2 près des Invalides pour un loyer de 5.500 euros. Le ministre devra se mettre en conformité avec la circulaire Raffarin décidée dans la foulée de l’affaire Gaymard, qui dit qu’un ministre ayant un logement à Paris n’a pas le droit d’occuper un appartement de fonction.
Alain Juppé et le loyer de son fils Laurent
Juin 1995. Le Premier ministre dipose depuis cinq ans d’un logement qui appartient à la Ville de Paris, situé rue Jacob dans le 6e arrondissement : 181 m² pour 12.000 francs de loyer (2.100 euros). Soit bien en-dessous des prix du marché… Mieux : Juppé a fait baisser le prix du loyer d’un autre appartement municipal de 88m² (6.913 francs, arrondis à 6.000), où il a fait procéder à 381.390 francs de travaux. Seulement voilà, l’heureux locataire de ce second logement n’est autre que le fils Juppé, Laurent, comme le détaille Le Canard Enchaîné à l’époque. A la suite de ces révélations, tout ce petit monde devra déménager.
Il ne faut pas croire que seule la droite est épinglée dans ce genre d’affaires. En mars 2012, Le Monde révèle que Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres depuis 2007 et alors porte-parole de François Hollande pour la campagne présidentielle, occupe un appartement de 108m2 dans le 19e arrondissement de Paris, appartenant à la Ville, pour 1.524 euros par mois. Un logement qu’elle a obtenu avant d’être élue et dont le loyer a depuis été “majoré“ à sa demande, souligne-t-elle, mais tout de même 20% en dessous des prix du marché… Difficile à justifier quand on gagne euros 5.275,18 euros net en tant que parlementaire. “Des locataires avec des revenus nettement supérieurs ne paient pas de surloyer pour le même type de logement“, se défend-elle, arguant qu’elle n’habite pas un logement social mais un “logement intermédiaire“ qui “ne relève pas de la loi SRU.“
“J’habite un quartier populaire et je n’ai pas de patrimoine. Je respecte la loi et c’est à mon initiative que je paye un surloyer alors que rien ne l’exige“, insiste-t-elle. Trop tard : elle quittera finalement cet appartement en 2012, juste avant de devenir ministre déléguée à la Justice. “C’est fait parce que ça doit être fait“, souligne le premier ministre Jean-Marc Ayrault.
Les élus du 13e arrondissement de Paris
C’est l’affaire la plus récente. En mars 2015, Le Point révèle que “neuf des membres, anciens et actuels, du cabinet de Jérôme Coumet, le maire PS du 13e arrondissement de Paris, bénéficient de logements sociaux.“ Rien d’illégal, se défendent les intéressés, comme Sylvestre Piriot : “Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir bénéficié d’un passe-droit. Ce n’est pas illégal. Je respecte les critères d’attribution“, jure-t-il. Sauf que tout cela colle mal avec la nouvelle politique annoncée par la nouvelle maire de Paris, Anne Hidalgo. Dans la foulée, d’autres informations similaires sortent, concernant le 15e arrondissement cette fois-ci. Il reste donc du chemin à faire avant que les comportements changent réellement.
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