Mitterrand : quand Mélenchon, nostalgique, raconte son "Vieux"

L’ancien candidat à la présidentielle livre un entretien fleuve sur François Mitterrand à la revue « Charles », à l’occasion des vingt ans de la mort de l’ancien président de la République.

Comme dans la chanson de Serge Gainsbourg, « La nostalgie, camarade », sortie en… 1981 (!), ça commence tout doucement, tel un air de reggae. Mélenchon ne s’excite pas, ni ne sort les griffes comme à son habitude. Il prend soin de défendre le bilan du « Vieux » avec ardeur et, surtout, une pointe de nostalgie. Car face à celui qu’il admire tant, Mélenchon a tendance à tout pardonner : « Je me rappelle que lors du dixième anniversaire de la mort de François Mitterrand en 2006, les critiques de la droite se confondaient avec celles de l’extrême gauche. À leurs yeux, Mitterrand n’aurait rien fait de bon. » Alors l’ancien sénateur et candidat Front de gauche à la présidentielle « tient la tranchée », comme il dit, même si la gauche, qui ne s’est pas fait prier pour enterrer « Tonton » en 1995, s’est soudain trouvée une nouvelle figure du Commandeur vingt ans après sa mort, dans un concert unanime de louanges : « Il reste beaucoup à apprendre de cette période et bien mieux que les caricatures malveillantes qui circulent. »

Ce que Mélenchon aime chez Mitterrand, c’est l’épopée. Le sentiment que la politique est l’irruption de la volonté dans l’histoire. Qu’elle peut « changer la vie » : « Pouvons-nous encore changer la vie ? Quelles stratégies ont été tentées ? », se demande-t-il face à David Doucet, qui réalise l’interview. « Évidemment quand vous avez sous les yeux un François Hollande, vous pouvez vous dire que l’arrivée au pouvoir de la ‘gauche’ ne change rien et que le résultat peut même être pire qu’avec la droite. Il faut guérir l’autre gauche de cette maladie pour qui l’exercice du pouvoir condamnerait à la compromission et à la déroute intellectuelle et morale. Ce n’est pas vrai. Parvenir au pouvoir peut permettre de changer la donne. Mitterrand l’a prouvé. »

« François Hollande a toujours été l’homme de la droite dans les équipes de Mitterrand »

Quand Mélenchon parle de son mentor, son meilleur ennemi n’est jamais bien loin. En reflet déformé, c’est l’actuel président de la République qui apparaît : « François Hollande a toujours été l’homme de la droite dans les équipes de Mitterrand. » On ne se refait pas. Puis les souvenirs le reprennent. Il se rappelle sa première rencontre avec Mitterrand :

« C’était à Besançon en 1972. J’étais un syndicaliste étudiant très audacieux et je n’avais peur de personne. (…) On m’avait envoyé parasiter le discours de Mitterrand en meeting dans notre université. Quand il prend la parole, ‘le Vieux’ se met à parler… du bonheur. Je vous garantis que je n’étais pas un type fragile. Mais là, mon blindage doctrinaire a été percé. Je n’en revenais pas. Surtout quand je voyais comment les gens réagissaient dans la salle. Ça m’a coupé le souffle et je l’ai écouté parler. Qu’un sujet comme le bonheur soit abordé dans un meeting politique, c’était inouï. J’ai été marqué à vie. »

La rigueur ? « Nous pensions tous que c’était une pause »

Le parcours de Mitterrand, pourtant, n’est pas exempt de contradictions. Ça n’est pas un bloc homogène, loin de là. Pour les générations d’aujourd’hui, il semble inconcevable d’être à la fois vichyssois et résistant, comme il semble inédit d’être le symbole de la gauche tout en ayant débuté à droite… « C’est un homme qui vient de la droite et même de l’extrême droite et qui a été vers la gauche », souligne Mélenchon, qui n’est pas naïf. « Je préfère ça à l’inverse. Et sa sincérité ne me semble jamais prise en défaut (…) Si vous voulez me dire que ce n’est pas un saint, je suis d’accord avec vous, je signe le papier. Il n’a pas traversé l’épreuve du pouvoir absolu qui est celui de la vème République comme un archange. »

Parmi ces renoncements, le tournant de la rigueur de 83 revient comme un mantra : « Nous pensions tous que c’était une pause », jure Mélenchon, qui détaille : « La logique de François Mitterrand était de stabiliser nos conquêtes sociales, tenir la ligne de crête des acquis, quitte à lâcher du lest ici ou là. Nous avons vécu ça comme un moment tactique. Ce qu’il faut retenir c’est qu’en réponse à cela, Mitterrand s’est tourné vers une autre stratégie politique : la construction de l’Europe. (…) Personne n’imagine en ce temps ce grand machin ultralibéral à 29 que vous connaissez aujourd’hui. » Puisqu’on vous dit que pour Mélenchon, tout est pardonné…

« Qui aurait pu penser que le FN deviendrait ce qu’il est de nos jours ? »

Vingt ans après, ce sont toujours les mêmes débats qui agitent la gauche, son camp. Et notamment le rôle joué par Mitterrand, puis Hollande, face au Front national. Le premier a décidé la proportionnelle et fait entrer 35 députés FN à l’Assemblée en 1986. Le second, lui, a voulu trianguler en défendant la déchéance de nationalité, pour le plus grand plaisir de Marine Le Pen : « Je pense que si Mitterrand a imaginé quelque chose, il ne pensait sans doute pas que le FN deviendrait ce qu’il est aujourd’hui. Il a bénéficié d’une situation qu’il n’a pas créée. Ses successeurs ont au contraire travaillé à pérenniser le FN », insiste Mélechon.

Que dire, enfin, de Mitterrand, qui usa de son influence auprès des patrons de chaîne pour que Jean-Marie Le Pen soit invité à « L’Heure de Vérité« , la grande émission politique de l’époque, en février 1984 ? Aux législatives de 1981, le FN ne comptait alors qu’une poignée d’adhérents et avait réalisé un score de… 0,18%. Le Pen n’était même pas parvenu à réunir les 500 parrainages nécessaires pour se présenter à la présidentielle. « Est-ce vraiment Mitterrand qui s’est intéressé personnellement à ce que le leader d’un groupuscule d’extrême droite ait accès à la télévision, je ne sais pas », s’interroge Mélenchon. « Le problème avec Mitterrand est qu’on lui prête une sorte de prescience et de capacité à voir le futur. Quand bien même tout cela aurait eu lieu, qui aurait pu penser que le FN deviendrait ce qu’il est de nos jours ? En tous cas c’est un péché véniel à côté de la déferlante médiatique organisée aujourd’hui. » L’histoire se répète toujours deux fois, d’abord en tragédie et ensuite en comédie, disait Marx. Reste à savoir quand a commencé la comédie.


Pour commander le dernier numéro (et consulter les archives), le site de la revue Charles

Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply