Une société de textile accusée de faire tourner sa boutique sur le dos de milliers d'étudiants

Depuis 22 ans, la société Divam, spécialisée dans le textile, intervient dans plus d’une centaine d’écoles partout en France pour familiariser leurs étudiants aux techniques de commercialisation. L’entreprise est aujourd’hui accusée par certains étudiants d’avoir trouvé le moyen de vendre ses produits pour zéro frais et maxi rentabilité…

Ils ont le moral dans les chaussettes. Depuis quelques jours, de nombreux étudiants en commerce racontent sur les réseaux sociaux les pressions qu’ils subiraient dans le cadre de leur formation. Au coeur de leurs accusations, la société Divam, basée près de Nantes et spécialisée dans le textile « de qualité« . Celle-ci intervient depuis 22 ans auprès de différentes écoles pour mettre les étudiants en situation réelle. Des partenariats que la société est d’ailleurs fière de présenter sur son site internet, vantant l’accompagnement de 110 écoles partout en France. Elle met ainsi à disposition de chaque élève une valise remplie de chaussettes et de serviettes qui doivent être vendues sous 4 à 8 semaines. Problème : Divam est aujourd’hui accusée par des étudiants de profiter de ces ateliers pratiques pour écouler sa marchandise en profitant d’une main d’œuvre docile et malléable. Au total, selon les chiffres mêmes de la petite entreprise de 9 salariés, ils seraient environ 4 500 à travailler indirectement pour elle, et ce, sans percevoir le moindre centime…

Pour réussir à mettre ce vaste réseau d’étudiants à son service, la société n’a pas eu à beaucoup forcer. Il lui aura suffit de toquer à la porte de plusieurs formations commerciales (IUT, BTS, lycées professionnels…) pour leur suggérer un partenariat. Elle y propose systématiquement le même exercice pratique. Le principe est très simple : les élèves doivent se débrouiller pour vendre les produits qu’elle leur remet. « L’action permet aux élèves et étudiants de s’exercer aux différentes étapes de la négociation commerciale, peut-on lire sur le site de l’entreprise. Elle donne l’opportunité de mettre en application les acquis par une vente concrète. »

La société ne perd toutefois pas de vue son intérêt financier. Avec une seule VRP dans son organigramme, Divam, qui dit également se reposer sur un réseau de vendeurs indépendants, est parvenue à réaliser sur l’année 2015 un chiffre d’affaires de 870 300 euros, pour 98 321 euros de bénéfices nets. C’est peu ou prou la somme obtenue lorsqu’on effectue un bref calcul : Divam reverse à l’école 20% des sommes récoltées, via un système d’associations étudiantes. Elle estime cette somme à environ 2 000 euros par asso. On peut donc en conclure que 8 000 euros reviennent en moyenne dans les poches de Divam pour chaque école, multipliés par les 110 établissements évoqués… on aboutit à 880 000 euros. Malin, comme modèle économique !

Une charte signée sous la contrainte de l’école

Forcément, le schéma a commencé à faire grincer les dents de quelques étudiants se sentant « exploités« . Trois d’entre eux, qui suivent actuellement le programme au sein de l’IUT de Valenciennes, témoignent auprès de Marianne des pratiques douteuses qui encadrent le projet. Ils évoquent notamment l’existence d’une charte qu’ils ont dû parapher au début de la formation, le jour de leur rencontre avec le gérant de Divam.

« Au début du mois de septembre, on nous a tous réunis dans un amphithéâtre, explique l’un des trois étudiants. Il y avait le directeur de Divam qui nous attendait. Il nous a parlé pendant moins d’une heure pour nous présenter les produits qu’il vendait. Ensuite, il nous a distribué des valises en carton contenant des chaussettes, des serviettes et des peignoirs pour qu’on aille les vendre autour de nous. Avant cela, on a dû lui remettre un chèque de caution et signer une charte. Si on ne voulait pas signer, l’équipe pédagogique nous faisait comprendre qu’on risquait le redoublement en fin d’année. Tout le monde a signé. »

Une charte on ne peut plus explicite, que Marianne a pu consulter. Le document indique bien que « tout(e) étudiant(e) ne respectant pas ses engagements envers le département TC, les étudiants co-organisateurs du projet, sa propre clientèle et l’entreprise Divam se verra sanctionné lors du jury de passage en semestre suivant ». Par ailleurs, l’étudiant doit s’engager sur un « chiffre d’affaires de 500€ »« On n’a pas eu le choix, raconte un autre étudiant de l’IUT. Les profs nous ont clairement fait comprendre que si on ne participait pas, on ne pourrait pas passer en seconde année« . Ces pratiques n’ont pas cours qu’à l’IUT de Valenciennes. Deux anciens étudiants de l’IUT de Roubaix nous ont raconté le même processus. 

Attention, la charte n’est toutefois pas rédigée par la société – cela serait illégal – mais par l’association de l’école chargée de chapeauter le projet. Dans chaque école partenaire, une telle association a ainsi été montée, chargée de faire le suivi des élèves, de remonter les bretelles aux moins performants et de récolter les 20% de bénéfices. L’entreprise, elle, assure pour sa défense que, contrairement au récit des étudiants, « la participation à l’action de vente Divam proposée par l’association scolaire est facultative pour les élèves ».

La pression des associations étudiantes

Mal à l’aise avec les plaintes des étudiants, la société tente en effet de mettre le plus de distance entre elle et les consignes des écoles. La responsable administrative nous explique que « en dehors de l’intervention en cours, nous n’avons aucun contact direct avec les étudiants. Nous ne discutons qu’avec les associations étudiantes des différentes écoles. 20% leur sont reversés. Tout est très net. » A l’entendre, ce sont uniquement les associations étudiantes qui « motiveraient » les apprentis vendeurs. Et puisque la société leur reverse un pourcentage sur le résultat final des ventes, celles-ci sont tentées de recourir à un management musclé. À Valenciennes, par exemple, les étudiants de l’IUT sont confrontés à l’association Show 7. Et celle-ci n’hésite effectivement pas à les mettre sous pression, voire à recourir à l’humiliation. Un message adressé par l’association aux étudiants de l’IUT de Valenciennes a d’ailleurs fuité sur Twitter :

À la suite de la diffusion de ce message, l’association Show 7 a prestement supprimé sa page Facebook. Elle n’était plus en mesure de réguler les flots d’injures venant des étudiants de toute la France…

Un procédé illégal ?

Le système mis en place par Divam partout en France peut sembler choquant mais est-il illégal ? Selon Éric Rocheblave, avocat spécialisé en droit du travail à Montpellier, il existe de lourds soupçons : 

« Sous prétexte d’une formation, ces élèves évoluent clairement dans le cadre d’une subordination. Ils reçoivent des directives et sont menacés de sanctions s’ils ne remplissent pas leur mission. Le fait qu’ils aient à remettre une caution à la société alors qu’ils agissent pour son compte est également contestable. Les professeurs et les associations sont aussi dans ce manège, ce qui fait planer le doute quant à leur probité…

Je suis étonné que ce montage ait pu perdurer pendant plus de vingt ans sans que l’URSSAF ou l’inspection du travail se soit penchées sur la question. Il n’est pas impossible que ces agissements soient qualifiés de travail dissimulé, et ce, à grande échelle. »

Éric Rocheblave invite également les étudiants à intenter une action en justice pour que leur relation avec Divam soit potentiellement requalifiée en contrat de travail.

« C’est un peu comme si on devait acheter notre diplôme »

Autre motif de plainte de la part des étudiants : les techniques bordeline à déployer pour essayer d’obtenir les fameux 500 euros de chiffre d’affaires, seuls garants d’une bonne note. A en croire plusieurs élèves de l’IUT de Valenciennes, le directeur de Divam les a directement incités à recourir à des pratiques commerciales déloyales :

« Lorsqu’il nous a parlé dans l’amphithéâtreil nous a recommandé de jouer sur les sentiments des clients. Il nous a demandé d’utiliser notre position d’étudiant pour les apitoyer et pour vendre plus facilement. Il nous a dit: ‘Expliquez-leur que vous faites ça dans le cadre de votre formation et que si, vous ne vendez pas, vous ne passerez pas en deuxième année.’ Il a beaucoup insisté sur ce point.

 Il nous a aussi fortement conseillé de vendre les produits aux membres de nos familles… Quasiment tous les membres de la promo ont dû demander à leurs parents ou grands-parents de leur acheter des chaussettes pour pouvoir atteindre les objectifs. Autrement, on ne passait pas en deuxième année. Au fond, c’est un peu comme si on avait dû acheter notre diplôme… »

Des clients attendris par des étudiants, des familles voulant les aider… une astucieuse manière d’écouler chaussettes et linge de maison. Autant d’accusations qui, par le passé, ont déjà été portées par d’autres étudiants sur un forum.

Face au ramdam qu’a provoqué cette affaire sur les réseaux sociaux, les différentes parties ont réagi. Divam répète dans un communiqué que son projet avec les écoles n’a pas de vocation autre que pédagogique. « Sur la base d’une collaboration pédagogique avec des écoles, la société Divam met à disposition des valisettes d’échantillons pour des actions de terrain, permettant d’allier la théorie à un exercice pratique, sans obligation de résultats. » L’IUT de Valenciennes a également diffusé un communiqué dénonçant des « attaques injurieuses et diffamatoires« . L’université de Valenciennes a pour sa part expliqué que le système de notation n’était pas fantaisiste et suivait un schéma bien précis, avec les 500 euros de chiffre d’affaires pour objectif. L’association Show 7 a quant à elle fait circuler une fiche pour que les étudiants soutenant le partenariat se fassent connaître. Selon nos informations, une réunion doit se tenir le 13 octobre en compagnie du directeur de Divam pour mettre les choses au clair…

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