Vis ma vie de PME mourante à l'heure de la campagne présidentielle

Cela faisait plus de huit mois que les salariés d’Ecopla, dans l’Isère, tentaient de sauver leur emploi dans l’indifférence générale. Depuis que la campagne présidentielle est lancée, tout a changé : les soutiens politiques s’accumulent. Récit.

Christophe Chevalier a la voix lasse de ceux qui ont trop l’habitude d’espérer pour rien. « Ils se sont engagés à écrire une lettre de recommandation au juge« , souffle le monteur-régleur de 42 ans en sortant de Bercy, ce lundi 3 octobre. La réunion avec les représentants du ministère de l’Economie s’est bien passée, sans plus. Séparation des pouvoirs oblige, impossible de préjuger de la décision de la cour d’appel de Grenoble, mercredi 5 octobre. Christophe Chevalier et une vingtaine de ses collègues de la société Ecopla, fleuron français de la confection de barquettes en aluminium, y sont suspendus.

Cela fait plus de huit mois que les récipients argentés dans lesquelles se dégustent depuis des générations les gâteaux Savane, Pasquier, Brossard ou encore les plats surgelés Marie ne sont plus fabriqués dans l’usine de Saint-Vincent-de-Mercuze, en Isère. Et ce malgré une offre ferme de rachat sous la forme d’une SCOP (Société coopérative de production), ce type d’entreprise dont les actionnaires sont les salariés. Pourtant, le carnet de commandes était plein. « C’est la différence avec Alstom. Nous, les clients, on les a« , assure Christophe Chevalier. Le problème, c’est la trésorerie. Un homme d’affaires sino-australien pesant 900 million de dollars a racheté l’entreprise en 2014 pour faire immédiatement remonter, selon les salariés, 6 millions de dollars à une de ses sociétés mères, sans remettre d’argent sur la table.

Le rival italien veut seulement le matériel

Le 22 mars dernier, la liquidation judiciaire est prononcée. Une trentaine de salariés sur les 77 que compte l’entreprise décide de tenter l’aventure de la SCOP. « On avait toutes les garanties« , enrage doucement Karine Salaün, restée elle-aussi sur le parvis de Bercy. Cette assistante commerciale de 50 ans s’est démenée pour obtenir en moins de deux mois les soutiens nécessaires au projet de reprise. Elle rappelle l’accord du préfet, le satisfecit du commissaire au redressement productif ou le soutien de deux établissements financiers. Las, le 16 juin dernier, le tribunal de commerce de Grenoble a privilégié l’offre du groupe italien Curki, seul rival d’Ecopla sur le marché, qui acceptait de payer une partie des dettes, de reprendre le matériel, mais pas les emplois.

« Curki propose 1,5 million d’euros immédiatement pour prendre le outils industriels et partir de France. Nous, c’est 100.000€, mais aussi 20 emplois tout de suite et 50 de plus d’ici à trois ans. Sans compter les prestataires français que nous voulons faire travailler. Au final, la richesse créée sera bien supérieure« , pointe Karine Salaün. Habités par ce sentiment d’injustice, les Ecopla ont décidé de faire appel et se démènent depuis pour trouver des appuis politiques. Pour ce faire, ils ont accepté l’aide de François Ruffin et de ses amis du média alternatif Fakir, qui les initient à une technique de communication à la mode : l’agitprop.

Mea culpa de Macron

Cette démarche de communication politique issue de la Russie soviétique est basée sur la provocation et l’attraction des médias par le maniement de l’émotion. Leur coup de maître, les Ecopla le réalisent le 12 septembre dernier en venant perturber une réunion des jeunes avec Macron organisée à Paris, en présence du fondateur d’En Marche. Ce qu’ils reprochent à l’ex-ministre de l’Economie ? N’avoir répondu à leurs quelque 30 courriers d’alerte sur la situation de leur entreprise, envoyés depuis septembre 2014, que le… 29 août dernier, la veille de sa démission du gouvernement ! « Macron, si tu savais, tes beaux discours, où on se les met !« , clament les anciens salariés devant le bar où a lieu le rassemblement. A la fin de son raout, Emmanuel Macron vient à la rencontre des Ecopla et… fait son mea culpa. « Ne pas avoir vu que le sujet pouvait basculer aussi vite en liquidation, ça c’est mon erreur« , reconnaît l’ex-banquier de Rothschild devant de nombreux journalistes.

Encouragés par ce succès médiatique, les Ecopla s’engagent le 20 septembre dans une tournée des QG des candidats à l’élection présidentielle. Et là, miracle, on les reçoit. Jean-Luc Mélenchon accepte de les rencontrer cinq minutes, l’entrevue dure finalement une heure. Bruno Le Maire propose d’écrire un courrier de soutien à l’Elysée. Même succès avec Arnaud Montebourg, Cécile Duflot et Benoît Hamon. Les deux derniers finissent même par visiter l’usine en Isère. Une heure après le passage de l’ex-ministre socialiste, le téléphone sonne de nouveau. « C’était le staff de Macron, ils voulaient savoir si une visite de l’usine était possible dans les deux jours« , raconte Sylvain Laporte, journaliste à Fakir, qui chapeaute la communication des Ecopla.

Reçus chez Sarkozy par un étudiant

48 heures plus tard, l’ex-banquier le plus célèbre de France est bien à Saint-Vincent-de-Mercuze, pour une rencontre d’une heure. Au programme, la visite de l’entreprise jamais accordée en deux ans de présence au gouvernement. « On ne se fait pas d’illusions, on sait que toutes ces attentions, c’est pour les primaires ou la campagne présidentielle. Dans le collectif, il y en a qui sont dégoutés par les politiques et leurs façons de faire« , explique Karine Salaün en souriant. Christophe Chevalier opine : « On sait que c’est intéressé mais pour nous, l’important c’est la SCOP et la reprise d’Ecopla« . Sur son t-shirt est inscrit un message en forme de clin d’oeil au discours du Bourget de François Hollande : « Notre ami, c’est l’emploi. Ecopla SCOP vivra !!!« 

Les Ecopla ont aussi essuyé quelques échecs, comme lorsqu’ils ont tenté de se rendre au QG de Nicolas Sarkozy. « Ils étaient tous à Calais, pas de bol ! », ironise Christophe Chevalier. Ils sont finalement reçus sur le trottoir par Paul Hatte… un étudiant de Sciences Po qui donne un coup de main à l’équipe du candidat. Le staff d’Alain Jupé ne s’est pas non plus montré extrêmement prévenant. Un de ses conseillers, David Teillet, propose de recevoir les Ecopla dans un café chic du huitième arrondissement de Paris… et part au bout de quarante minutes en réglant seulement sa consommation. Même froideur devant le siège du MEDEF. « Des gorilles nous ont refoulés sur le pas de la porte en nous disant que le MEDEF ne reçoit pas les salariés. Mais ils auraient pu voir en nous de futurs patrons« , glisse Christophe Chevalier, l’œil malicieux.

« Moi aussi, je suis un campagnard »

L’épisode que préfèrent raconter ces salariés combatifs reste leur tentative d’aller à l’Elysée : « On pensait naïvement qu’on pouvait rendre visite à François Hollande comme ça« , rigole le monteur-régleur. « En réalité, on s’est fait stopper par le service de sécurité de l’Elysée à la sortie du métro Champs-Elysées Clemenceau« . Soit à 700 mètres de la demeure du président de la République, tout de même. « Le service de sécurité n’a pas été méchant. Le chef nous a dit ‘je vous comprends, moi aussi, je suis un campagnard« , raconte Karine Salaün, sans savoir si elle doit sourire ou grimacer.

Les marques de sympathie affluent de la part des candidats mais aucun engagement à sauver Ecopla ne vient du côté du gouvernement. Alors qu’ils sollicitaient un rendez-vous avec le ministre de l’Economie Michel Sapin, ce 3 octobre, ces aspirants patrons n’auront obtenu qu’une réunion avec un conseiller de Martine Pinville, la secrétaire d’Etat multi-casquettes de Bercy, chargée tout aussi bien du Commerce que de l’Artisanat, de la Consommation et de l’Économie sociale et solidaire. « On leur a dit ‘puisque votre ennemi, c’est la finance, sauvez notre emploi, en préemptant l’entreprise si besoin’, relate Christophe Chevalier. Ils nous ont répondu que ce n’est pas si simple. » En attendant la primaire de la gauche ?

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