"Toi, jeune prostituée, lis donc Hannah Arendt pour t'éduquer un peu"

Italie, samedi 24 septembre 2016. Une juge condamne un client de prostituée à deux ans de prison ferme et assortit la peine d’une obligation d’acheter une trentaine d’oeuvres « féministes » à ladite jeune fille de 15 ans. La presse salue, les associations féministes déplorent.

La sentence a fait sensation dans les médias italiens : le 24 septembre, un homme a été condamné à deux ans de prison et à offrir une trentaine œuvres féministes à la prostituée de quinze ans qui lui monnayait ses charmes adolescents. « La décision laisse entendre que la juge a privilégié une réparation qui aidera la jeune fille à comprendre que le véritable dommage qu’elle a subi est celui d’avoir été lésée dans sa dignité de femme« , s’emballe le Corriere della Sera. Les ouvrages en question vont de Virginia Woolf à Simone de Beauvoir en passant par Anne Franck sans oublier les poèmes d’Emily Dickinson. « Ce sont des livres sur la dignité des femmes« , s’extasient les médias italiens qui évoquent une « leçon de vie » tant pour l’homme condamné que pour l’ado prostituée. 

« Désarçonnant » voire « condescendant » pour les féministes françaises.

« C’est à l’homme de se renseigner sur la condition des femmes »

Le jugement laisserait en effet entendre que le tort est à double sens et que la victime comme le condamné doit faire acte de contrition. Les associations féministes françaises sont loin de se joindre au chœur de louanges. Claire Serre-Combe, porte-parole d’Osez le féminisme s’agace auprès de Marianne :

 « Il a y a quelque chose de complétement à l’envers dans cette histoire. C’est à l’homme de se renseigner sur la condition des femmes. C’est un peu dire à la jeune fille : ‘Toi, jeune prostituée, lis donc Hannah Arendt pour t’éduquer un peu.« 

Au  Collectif National pour les droits des femmes, Suzy Rojtman peine à rassembler ses idées tant la condamnation la surprend :

 « C‘est désarçonnant. C’est à lui de faire un stage pour comprendre ce que signifie acheter du sexe. C’est un peu considérer les personnes prostituées comme des gens à rééduquer. En plus, elle ne les lira pas, il faut lui apporter une aide à sa portée. »

« Une prostituée peut être féministe »

Du côté du Strass, qui représente les personnes prostituées, on est tout aussi « choqué« , mais pour d’autres raisons : cette décision laisserait entendre qu’une travailleuse du sexe doit être « éduquée » au féminisme. Une vision totalement « étriquée et morale » selon le syndicat :

« Nous connaissons beaucoup de travailleuses du sexe qui ont fait des études de genre, qui sont investies dans les luttes féministes, pour les minorités sexuelles et de genre. Nous pensons que dans notre exercise du travail sexuel, étant confrontées quotidiennement aux hommes, beaucoup d’entre nous ont développé des outils féministes pour imposer nos conditions aux hommes. Nous en avons assez d’être dépeintes soit comme des victimes ou des complices du patriarcat sous prétexte de notre profession. » 

L’image d’une jeune fille riche écervelée 

En Italie, la condamnation pour la prostituée à lire jusqu’à plus soif des écrits de Marguerite Duras a été saluée à cause de son image de jeune privilégiée écervelée. En 2014, elle est décrite par un autre juge comme une jeune fille qui s’est laissée « emporter, sans retenue, dans la débauche afin de gagner de l’argent facilement« . En bref, une jeune fille aisée qui aurait vendu son corps pour de la coke et le dernier sac Céline. A l’aune de cette description, Suzy Rojtman ne comprend pas plus la condamnation : « Ça donne l’impression qu’elle se fait de l’argent facile. La prostitution ce n’est jamais de l’argent facile. Il y a un réseau derrière, elle a besoin d’aide. » La jeune fille appartenait en effet à un réseau visé par une enquête depuis 2013 et oeuvrant dans le quartier chic de Parioli à Rome. 

Claire Serre-Combe conclut :

« Oui, ces œuvres sont hyper intéressantes, ce sont des ouvrages féministes. Ca part sans doute d’une intention louable. La juge voudrait que la jeune fille entame une réflexion mais ce n’est pas en collant des ouvrages féministes dans les mains de jeunes femmes qu’on les empêche de se prostituer. »

 

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