Flaesch, Squarcini : les jeux incestueux des Sarko-flics

Deux grands flics de la Sarkozie, Bernard Squarcini et Christian Flaesch, ont été placés en garde à vue dans une enquête aux motifs encore très mystérieux. Retour sur le rôle de ces deux hommes, devenus des tours de contrôle de l’ancien président de la République.

Les relations nouées par Nicolas Sarkozy dans la police devaient, tôt ou tard, lui attirer des ennuis. Trop de proximité. Trop de tutoiement. Trop d’amitié au final, pour un homme politique après lequel courent trop de juges. Que ces liens lui permettent de continuer à être informé sur l’état de la délinquance, même loin du pouvoir, quel responsable n’en rêverait pas ? Encore faut-il ne pas avoir cultivé le mélange des genres, ce que n’est pas privé de faire l’ancien président de la République, confondant parfois la police et « sa » police, les services de renseignements et « ses » services de renseignement. Transformant à leurs dépens quelques grands flics en membres d’un réseau au service d’un seul homme : leur chef.

Au risque de pousser ces poulets à franchir la ligne blanche, un petit jeu que n’aime pas, mais pas du tout, le juge Serge Tournaire, qui concentre à lui tout seul la plupart des enquêtes ciblant la Sarkozie et ses présumées sources de financement occultes.

C’est le juge Tournaire, en effet, qui décida le premier (depuis, d’autres l’ont imité) de placer sur écoute Nicolas Sarkozy, deux fois ministres de l’Intérieur et ancien président de la République. Un événement peu banal, d’autant qu’à l’époque, c’est un ancien directeur général de la police, Michel Gaudin, qui dirige le cabinet du perdant de l’élection de 2012…

Sarkozy passe une bonne partie de son temps à essayer d’évaluer le poids des charges qui pèsent contre lui
Les bandes tournent, comme le rapportait Marianne à l’époque. En théorie, seuls intéressent le juge d’instruction les éléments ayant trait à son dossier, la recherche d’un éventuel financement illicite de la campagne présidentielle de 2007 en provenance de la Libye du colonel Kadhafi. Sauf que Nicolas Sarkozy, cerné par les juges, passe une bonne partie de son temps à essayer d’évaluer, par l’intermédiaire de ses fidèles, le poids des charges qui pèsent contre lui. Michel Gaudin ne s’économise pas à l’heure de servir son champion, d’autant moins qu’il ne s’est jamais vraiment remis d’avoir été écarté de la préfecture de police par le pouvoir socialiste au lendemain de la victoire de François Hollande, après 30 ans de carrière, sans même lui laisser le temps d’organiser un pot de départ.

La tour de contrôle, c’est lui, mais le plus entreprenant, c’est Bernard Squarcini. Celui qui dirigeait pendant le quinquennat précédent la puissante direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), cet homme qui passe pour l’un des mieux renseignés de France, a conservé de nombreux contacts dans les services. Passé dans le privé avec son carnet d’adresses, il joue les démineurs pour celui qu’il a servi sans état d’âme quand il était à l’Elysée. En général d’empire, il « tamponne » tous ceux qui peuvent l’être.

Les bandes tournent toujours, mais les fonctionnaires chargés de les écouter travaillent « proprement » : ils ne transcrivent que le strict nécessaire. Ils rapportent oralement à leur patronne, la commissaire Christine Dufau, chef de l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, les démarchages dont ils sont témoins, qui visent parfois des fonctionnaires de leur propre service, mais tant que cela n’a pas de lien avec l’instruction du juge, on laisse filer. Comme ce jour où Nicolas Sarkozy et l’un de ses informateurs disent tout le mal qu’ils pensent de Patrick Calvar, qui a succédé à Bernard Squarcini à la tête de la DCRI. « Patrick » dont le clan regrette le « manque de reconnaissance », lui qui refuse poliment de dire ce que sait son service au sujet de l’argent libyen. Contraignant les amis de l’ancien président à « taper » plus bas dans la hiérarchie, au risque de mettre des fonctionnaires en difficulté.

Christian Flaesch évincé

Le seul grand flic qui fait les frais des écoutes (Michel Gaudin et Brice Hortefeux, ancien ministre de l’Intérieur, sont également « branchés »), c’est Christian Flaesch, promu directeur de la police judiciaire parisienne sous le quinquennat précédent. Les enquêteurs retranscrivent les conversations dans lesquelles le policier prépare Brice Hortefeux en vue de sa prochaine audition comme témoin dans la plainte déposée par Sarkozy contre Mediapart. La commissaire, estime qu’elle n’a pas vraiment le choix : elle transmet. Lorsque le juge Tournaire prend connaissance du procès-verbal, il se fixe sur la dernière phrase, celle où le policier invite l’ancien ministre de l’Intérieur à ne pas évoquer leur échange devant le juge d’instruction.

Le magistrat aurait pu temporiser pour sauver son écoute, mais ce n’est pas son style : il s’en offusque auprès du procureur de Paris, François Mollins, contraignant Flaesch à rapporter ce fâcheux incident au préfet de police, Bernard Boucault. Lequel ne peut faire autrement que d’informer le ministre de l’Intérieur, qui rencontre Christian Lothion (alors patron de la police judiciaire) le soir même, vers minuit, alors qu’il revient d’Espagne. Manuel Valls n’attend pas très longtemps pour limoger le commissaire Flaesch, qu’il choisit de remplacer par Bernard Petit, supérieur direct de la commissaire Dufau au sein de la PJ.  

L’ancien premier flic de France et ses amis, sûrs de leur puissance, commettent bourdes sur imprudences
Nous sommes en décembre 2013. L’épisode déclenche une vague de suspicion sans précédent parmi les grands chefs de la PJ. En ligne de mire, Bernard Petit, propulsé par le sénateur Pierre Charon (passerelle entre Sarkozy et le Quai des Orfèvres) et ses amis en tête de la « black list », celle des flics dont il conviendra de couper la tête le jour de l’alternance. Le « clan Sarko » accuse à mots à peine couverts cet ancien collègue d’avoir comploté avec Manuel Valls, en oubliant complètement le rôle du juge. Ses porte-voix laissent entendre qu’il aurait discrètement informé le ministre des écoutes en cours, ce que l’intéressé dément fermement, tandis que les conseillers de Valls n’en démordent pas : l’époque est finie où l’Elysée interférait dans le travail des juges pour détourner le cours des affaires. Où tout remontait, grâce à un solide réseau de flics et de magistrats, assez fidèles au demeurant pour permettre à Sarkozy de savoir ce que Valls ignorait : que sa ligne téléphonique était « grillée », et qu’il convenait d’en ouvrir une autre sous un faux nom. Sauf que ne s’improvise pas voyou qui veut et que l’ancien premier flic de France et ses amis, sûrs de leur puissance, commettent bourdes sur imprudences. Avec à la clef, à défaut de financement libyen, l’ouverture d’une enquête pour « trafic d’influence » en marge de l’affaire Bettencourt, et dans le « filet » un magistrat de la cour de cassation…

Le juge Tournaire tire patiemment tous les fils

Fn de l’épisode 1. Mais le juge Tournaire n’avait pas dit son dernier mot. Il a patiemment tiré tous les fils, fait retranscrire toutes les écoutes, avant d’organiser une triple perquisitions au printemps dernier, apparemment fructueuses, au domicile et dans les bureaux de Bernard Squarcini, cet ancien numéro 2 des RG promu espion du président sous le quinquennat précédent. Au cœur de l’enquête, qui a tout de même valu au « Squale », ainsi qu’à Christian Flaesch, aujourd’hui directeur de la branche sécurité au sein du groupe Accor, de passer une nuit en garde-à-vue, une suspicion de violation du secret de l’enquête, un brin de compromission et l’ébauche d’un exercice aussi risqué qu’illégal : le trafic d’influence. Les soupçons précis pesant sur les deux hommes – ainsi que les affaires concernées – ne sont pas encore connus.

L’ancien préfet de police de Paris, Michel Gaudin, a pour sa part été entendu en audition libre, avant de pouvoir regagner son domicile. Seule consolation pour eux, la fidélité indéfectible de Frédéric Péchenard. Devenu une pièce maitresse du dispositif de Nicolas Sarkozy, l’ex-grand flic a a tenu à assurer ses amis, avec qui il a travaillé pendant plus de 30 ans, de son « plein et entier soutien ». « L’un comme l’autre, jusqu’à la dernière seconde, ont travaillé dans la lutte anti-terroriste pour faire reculer la délinquance et la grande criminalité », a-t-il fait remarquer. Ce qui n’est pas faux, mais de devrait pas peser lourd dans les décisions de la justice.

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