L’écrivain dresse le constat de la complète inversion morale qui a saisi notre monde moderne, celui où il faut « s’excuser auprès de ceux qui vous attaquent ».
Marianne : Dans votre livre, la première étrangeté qui signale la guerre entre la raison et l’imagination est la lévitation.
Salman Rushdie : C’est la première idée qui m’est venue. J’ai toujours porté une attention particulière au sol, à l’emplacement où l’on se tient et d’ailleurs, avant toute chose, je commence à imaginer où se déroule l’action d’un roman. Or, se tenir à un centimètre du sol pose des questions fascinantes parce que concrètes, par exemple : comment fait-on l’amour, comment conduit-on ? Je me suis posé aussi ce type de questions avec le tapis volant. Dans quelle sorte d’usine en fabrique-t-on, comment arrive-t-on à se tenir dessus, à évoluer dans le froid, etc. ?
La deuxième étrangeté est la séparation des effets et des causes, des mots et de leurs signifiants…
D’où cette impossibilité de se comprendre que vous retrouvez dans la pièce de Ionesco Rhinocéros. Cette difficulté de communiquer qui nous conduit vers un monde dénué de sens.
Après la disparition du langage commun débute la haine : « Les menaces de ceux qui se prétendent menacés, le couteau affirmant qu’on cherche à le poignarder, le poing accusant le menton de l’avoir attaqué.. .»
C’est ce qui se passe actuellement, non ? Ceux qui attaquent clament qu’ils sont attaqués. Cela caractérise bien les sociétés où nous vivons. Les personnes qui sont les agresseurs se considèrent, aujourd’hui, comme des victimes. C’est là tout simplement une complète inversion de l’univers moral : devoir s’excuser auprès de ceux qui vous attaquent. Voilà pourquoi j’aimerais aussi que l’on lise ce livre : pour comprendre qu’il ne s’agit pas seulement d’un conte ! Ce n’est pas parce que je ne surligne pas en permanence les liens avec notre époque contemporaine que ces derniers n’existent pas.
Une inversion de ce type est apparue après le 11 septembre pour dire que l’Amérique omnipuissante était responsable de ce qui lui était arrivé…
Tout à fait : si vous vivez à New York vous verrez que de tels propos continuent d’être tenus. Or, le premier principe de la vie en commun est d’être responsable de ses actions. Le meurtrier est responsable du meurtre qu’il a commis et ce n’est pas la victime.
Il y a un grand absent de votre livre, c’est Dieu.
Oh oui… [Un moment de silence.]
(…)
>>> Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le numéro de Marianne en kiosques.
Il est également disponible au format numérique en vous abonnant ou au numéro via et
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments