Si elle refuse de parler de « sélection » à l’université, Najat Vallaud-Belkacem souhaite bien faire passer une loi introduisant le principe du « recrutement » à l’entrée du master 1. Tout étudiant qui ne serait pas accepté pourrait être orienté vers un autre choix que son « premier voeu ». Un peu de sélection à la fac, voilà qui pourrait mener à terme à plus d’équité !
En matière d’école et d’éducation, il est un paradoxe qui vaut bien celui de Zénon – accordez-nous cette petite cuistrerie matheuse, c’est l’article ou jamais ! – et que l’on pourrait énoncer ainsi : jamais, depuis trente ans, aura-t-on autant répété que l’école devait être égalitaire, et jamais le fut-elle aussi peu.
Ces dernières décennies, alors que l’on assistait au sacrement programmatique de «l’excellence pour tous», les bancs de l’Ecole normale supérieure, de Polytechnique, d’HEC et de l’ENA se vidaient – lente hémorragie de l’idéal républicain – de ses fils et filles d’ouvriers (rappelons que les effectifs issus des classes populaires dans ces quatre établissements sont passés en trente ans de 21 à 8 %*). On a les slogans qu’on mérite et, avec eux, les dégâts qu’ils impliquent : «l’excellence pour tous», cet oxymore faisandé – l’école ne doit pas garantir le meilleur à tous, mais permettre aux «bons», aux bûcheurs, aux talentueux, quelle que soit leur origine sociale, d’avoir accès à l’excellence – a fini dans l’impasse des bons sentiments et des effets pervers.
«L’excellence pour tous», cet oxymore faisandé
En abaissant le niveau général de l’enseignement public, afin que 100 % d’une classe d’âge obtienne le bac, la politique des gouvernements, de droite comme de gauche, a en fait favorisé ceux qui pouvaient financièrement exfiltrer leurs rejetons de cet affaissement généralisé – via les écoles privées, les cours particuliers, etc. Il en va de même pour la non-sélection à l’université. Suivant la même logique, cet égalitarisme en trompe-l’œil conduit chaque année des milliers d’élèves mal orientés à grossir les rangs d’une université démonétisée, où ils seront mis de côté (un tiers seulement des inscrits parviennent au niveau licence !) par un système hypocrite d’où ils ressortent paumés. Cette dévalorisation du diplôme est au coeur du processus de déclassement des classes moyennes, que Louis Chauvel** autopsie dans son remarquable dernier ouvrage : « Ainsi, note le sociologue, pour les cohortes nées à la fin des années 40, le baccalauréat correspond à 60% de chance d’accéder au moins aux professions intermédiaires, alors que ce n’est plus que 30% des cas dans les cohortes des jeunes adultes d’aujourd’hui.«
Soucieuses de redonner une valeur à leurs diplômes et donc de l’aura méritocratique à leurs diplômés, certaines facs ont, ces dernières années, développé des filières de facto sélectives. Au printemps, le Conseil d’Etat leur avait donné raison, et le gouvernement en avait pris acte, publiant, dans la foulée, une liste de masters sélectifs dérogatoires, comme l’avait relevé Eric Conan dans ces colonnes. Le tout en catimini, car, officiellement, on se pince toujours le nez. Or, depuis, plusieurs décisions de tribunaux administratifs comme à Montpellier ou à Lyon sont venues contredire ce décret gouvernemental, exigeant des universités poursuivies qu’elles intègrent au plus vite dans leurs effectifs les étudiant plaignants.
Il serait peut-être temps que le gouvernement cesse ses pudeurs hypocrites et accepte d’assumer cet autre paradoxe : plus de sélection à l’université, ce peut être à terme plus d’équité.
* Le recrutement social de l’élite scolaire en France, de Michel Euriat et Claude Thélot, Revue française de sociologie, 1995.
**La spirale du déclassement, de Louis Chauvel, Editions du Seuil, 2016.
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