A Beaumont-en-Véron, l'Etat tente de vendre les mérites de son premier centre de déradicalisation

Au cours d’une conférence de presse cadrée jusque dans les moindres détails, les représentants de l’État et les élus locaux ont tenté de vendre la pertinence du projet de centre de déradicalisation de Pontourny à Beaumont-en-Véron, en Indre-et-Loire. Sans convaincre.

Pas sûr que le vénérable domaine de Beaumont-en-Véron, perdu entre champs et vignes du chinonais, en Touraine, ait déjà connu ça : une conférence de presse garnie d’une soixantaine de journalistes de plusieurs nationalités, assis devant une enfilade de tables habillées de nappes blanches où patientent, le sourire crispé, les représentants des pouvoirs publics au grand complet : préfet, comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation, député, sénatrice, maires des communes alentours, il ne manque personne. Ou plutôt, si : les 25 mystérieux pensionnaires « en voie de radicalisation » attendus pour l’ouverture du premier centre de déradicalisation géré par l’État ouvert en France.

Version « light » du radicalisé
Sans eux, on se contentera donc des discours officiels égrenés à la tribune. En bon maître de cérémonie, le préfet d’Indre-et-Loire, Louis le Franc, rassure son auditoire : les 25 jeunes attendus d’ici à 2017 – seulement 5 ou 6 d’ici quinze jours – seront une version « light » du radicalisé : entre 18 et 30 ans, homme ou femme, aucune condamnation passée, pas de procédure judiciaire en cours, pas de fiche S sur le dos et une séjour à Pontourny pour 10 mois basé sur le volontariat. Bref, « ce centre est une réponse de l’État à ceux qui veulent s’en sortir », résume le préfet. Les objectifs du « Centre de prévention, d’insertion et de citoyenneté d’Indre-et-Loire » restent flous : « Il s’agit de faire retrouver à ces jeunes adultes leur capacité de discernement et de libre-arbitre », avance Louis Le Franc. Le concept de volontariat, pour le moins contradictoire pour des jeunes en voie de radicalisation, interpelle tout autant.

Manifestation devant le centre ce 13 septembre. XF

La secrétaire générale du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, une diplomate précédemment en poste à Istanbul à l’anglais délicieux, tente de dissiper les doutes : « Il faut savoir accepter l’ambivalence qui caractérise ces jeunes », lâche Muriel Domenach. Un ange passe. « On ne vas pas accueillir de terroristes ici », explique le préfet, plus terre-à-terre. Et de fait, « il ne s’agit pas d’un établissement privatif de liberté », confirme Pierre Pibarot, directeur général du groupement d’intérêt public « réinsertion et citoyenneté », chargé de coordonner l’ouverture des douze prochains centres régionaux prévus sur le modèle de Pontourny.

L’ampleur toute relative du dispositif de sécurité pose questionLes pensionnaires pourront sortir du centre, passée une première phase de trois mois dans les murs du vaste domaine aux pierres de tuffeau caractéristiques de la région. Toujours dans un cadre pédagogique de réinsertion sociale et professionnelle. Mais comme on n’est jamais trop prudent, Francis le Franc énumère le dispositif de sécurité mis en place dans ce qui était précédemment un centre d’accueil pour mineurs isolés géré par la mairie de Paris, suite à un legs du bâtiment : « Il y a 18 vidéo-caméras, qui filmeront 24h/24, dont 6 pivotantes« . L’accès à internet avec les smartphones personnels seront-ils restreints ? « Pas du tout, mais essayez donc de passer un appel avec la faiblesse du réseau ici », répond le représentant de l’État dans un large sourire. Si dans la salle de la conférence de presse les écrans affichent un mauvais réseau « Edge », dans la cour, à cinq mètres de là, les heureux abonnés Orange accrochent une 4G tout à fait correcte. Pas de codes aux portes des chambres comme annoncé un temps, pas de forces de police spéciales présentes sur place, une « sécurisation des réseaux telecom » qui n’inclut aucun brouillage des téléphones portables : on a vu plus drastique. Sans parler de l’enceinte du domaine, d’une simplicité enfantine à escalader pour qui a déjà fait le mur en colonie de vacances.

Sur le fond, les futurs pensionnaires seront pris en charge par une équipe de 25 personnes, parmi lesquels des éducateurs, des infirmiers, des psychologues et des « spécialistes de très haut niveau » venus de l’extérieur. Au programme, une première phase avec une « plateforme de distanciation » axée sur les discours religieux, la citoyenneté, l’histoire, la géopolitique ou les médias numériques. Et même un « module de désengagement cognito-comportemental ». Ensuite viendra l’heure de « l’engagement citoyen« , avec l’apprentissage du vivre-ensemble et la réalisation d’actions citoyennes, y compris à l’extérieur. Troisième étape, une plateforme d’accompagnement médical et social avant la dernière phase, celle de la préparation à l’insertion sociale et professionnelle. Au milieu de tout cela, levée des couleurs une fois par semaine – « pour susciter le débat » – et « tenues uniformes, sans uniforme ». L’ensemble du dispositif, dont tous les intervenants rappellent le côté « expérimental » et leur « droit à l’échec », sera évalué via un comité de pilotage.

Catherine Bideau aurait aimé y siéger, mais l’association de riverains « Radicalement digne de Pontourny » dont elle est la vice-présidente n’a pas été invitée. « On ne connaît rien à la déradicalisation, même en prison cela se passe mal. Et sans consulter les riverains, on ouvre un centre expérimental à quelques dizaines de mètres d’habitations, et à deux kilomètres de la centrale nucléaire de Chinon, explique la jeune femme, rassemblée avec une cinquantaine d’autres riverains devant l’entrée de l’imposant domaine. Leur discours est mesuré mais l’inquiétude légitime : C’est trop dangereux de jouer les apprentis sorciers, nous trouvons tout cela méprisable de la part des élus et de l’État », conclut Catherine Bideau.

La salle de sport. XF

La conférence de presse terminée, les journalistes ont droit à une visite guidée des lieux. Salle de sports aux murs défraîchis, chambres au confort rudimentaire, immense cour intérieure, cadre champêtre et bâtiments démesurément grands pour seulement 25 pensionnaires, Pontourny reste un mystère. En rejoignant les riverains restés de l’autre côté des murs, on hésite à qualifier l’initiative de Beaumont-en-Véronentre d’inexpérimentée, voire de naïve. Une chose et certaine : avec 15 000 personnes suivies pour radicalisation en France à ce jour et des recruteurs pour le djihad d’une redoutable efficacité, notamment sur les réseaux sociaux, le projet tourangeau et ses douze futurs petits frères semblent bien modeste.

Cette fresque est un « reste » du précédent centre d’accueil. XF

 

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