Filles de coiffeuse ou de médecin, en ville ou à la campagne, elles se cherchent en adoptant une autre manière d’être femme dans un schéma « djihad friendly », sur fond de communautarisme et de complotisme. Un phénomène qui semble s’amplifier.
N’ayant d’autres choix que la lucidité, les professionnels de la lutte contre le terrorisme savent que toutes les gamines ne se rêvent pas Louane ou Beyoncé, que jeunesse n’est pas synonyme d’innocence et que la féminité n’immunise nullement contre la pulsion de mort. « Pour la campagne stop-djihadisme, les adolescentes faisaient partie des cibles prioritaires », fait savoir le ministère de l’Intérieur. En octobre, Facebook avait ainsi été mobilisé pour cibler les messages vidéo gouvernementaux sur le compte des jeunes filles mineures réputées « vulnérables ». « Avant 18 ans, la radicalisation touche majoritairement les femmes mais, après, la proportion s’inverse », affirme un haut fonctionnaire du ministère de l’Education nationale, en référence aux statistiques du Numéro vert qui permet de signaler les jeunes dès les premiers signes d’islamisation. Quoique le rapport filles/garçons n’excède pas quatre pour six, le phénomène choque et inquiète d’autant plus qu’il semble s’amplifier.
Combien sont-elles, ces jeunes filles qui préfèrent Allah à Nabilla ? Minoritaires, voire archiminoritaires, un nombre non négligeable d’adolescentes rejettent le modèle de la femme française. Elles nagent à contre-courant de l’imagerie mainstream et mettent leurs boots/ballerines/ tennis dans les traces de l’ex-Diam’s, rappeuse show-biz désormais voilée. « Il n’y a pas de profil type », expose Patrick Amoyel, un psychanalyste qui observe depuis 2004, au sein de l’association niçoise Entre autres, ces gamines gagnées par l’islam. Elles sont filles de coiffeuse ou de médecin, ghettoïsées en banlieue parisienne ou collégiennes de Lunel, commune de l’Hérault et pépinière de djihadistes, maîtrisant l’orthographe ou limitées aux selfies, avec ou sans père.
Nulle n’échappe, a priori, aux sirènes d’une communication sophistiquée et offensive mise au service d’une idéologie caméléon. « Certaines sont politisées, se vivant comme des Palestiniennes de l’intérieur, d’autres versent dans l’islam extrême, dans une démarche individualiste comparable aux fans de mangas ou aux gothiques », insiste Raphaël Liogier, l’un des rares sociologues à soutenir que La guerre de civilisation n’aura pas lieu, selon le titre de son dernier livre. En novembre, le quatrième séminaire consacré à la radicalisation portera précisément sur la compréhension de cette épidémie de servitude féminine volontaire.
Depuis une dizaine d’années, l’adhésion aux dogmes de l’islam n’est plus seulement le résultat d’une soumission au diktat d’un père soucieux de marier sa fille avec un cousin, au bled ou ici. En dehors de cette foi inculquée de force, la vie pieuse se répand de manière plus douce, auprès d’un public large comme la Toile. Un site comme muslimettemagazine.com, le bimestriel Imane vendu en kiosques, l’application Hisnii, qui se veut « l’application d’ invocations et de rappels la plus complète et innovante de l’App Store », ou la chaîne YouTube de la blogueuse mode « hijab style » Asma Fares, ouvrent la porte de l’islam, en version salafiste, à des jeunes qui auraient pu, en d’autres époques, trouver leur identité sur une scène de théâtre ou la perdre dans la drogue. Ces médias, tout en exprimant l’horreur qu’inspire le terrorisme et la barbarie mise en scène par Daech ou Boko Haram, inscrivent des milliers de jeunes Françaises dans un schéma « djihad friendly » cousu de communautarisme et de complotisme.
Ayant vu défiler des générations d’adolescentes, le psychiatre Serge Hefez décrypte « un schéma psychologique classique et une réponse nouvelle ». A la « quête de vérité » et à la « quête de sens », le discours salafiste calibre une réponse au goût du jour.
« Certaines jeunes flles, qui cherchent une alternative à la société de consommation, ses joies éphémères et ses frustrations, se figurent en mère Teresa, d’autres cherchent le grand amour et rêvent d’un prince oriental, et quelques-unes, de plus en plus nombreuses, expriment le souhait d’en découdre avec l’Occident, les armes à la main », égrène le thérapeute.
La sociologue Géraldine Casutt, dans une analyse plus dérangeante pour les féministes qui ont combattu le modèle patriarcal, détecte le renoncement à une promesse d’égalité hommes-femmes factice, perçue comme un piège à filles. Un demi-siècle après Mai 68, les adolescentes feraient le constat de l’inégalité salariale, l’absence de partage des tâches ménagères, l’immaturité des hommes, l’exhibition des corps féminins, objets de harcèlement plutôt que de désir. « Par dépit, les filles préfèrent adhérer à un autre mythe, que je nomme féminislamisme, celui d’une complémentarité naturelle idéalisée entre le mari et son épouse, également soumis à Dieu », constate la sociologue.
Patrick Amoyel, en contact avec ces ados, décèle un ressort :
« La jeune fille observe sa mère, plaquée par son mari, élevant seule ses gamins avec un petit salaire, sortant en boîte ou surfant sur Meetic en quête d’un compagnon enfn stable, et elle se dit : « C’est ça, une femme libérée ? » Plutôt que s’engager dans cette impasse, elle cherche une autre manière d’être une femme. »
Grâce à la « muslimosphère » Forumislam, Lafemmesalafiya, Forum.mejliss, etc. ou plus simplement via Facebook ou Snapchat, les « soeurs », de culture musulmane ou pas, offrent ainsi leur pureté et leur pudeur à n’importe quel homme, pourvu qu’il soit « sérieux, sincère, sécurisant et stable » les « 4S » identifiés par le sociologue Farhad Khosrokhavar. Le statut inférieur de la femme wahhabite les indiffère, tandis que la mort promise à leur guerrier d’époux ou à leurs futurs enfants les galvanise. Quant aux viols collectifs et à la polygamie, une grille de lecture binaire les pousse à douter de la réalité de ces violences perpétrées au nom d’Allah, dès lors qu’elles sont rapportées par des « koufars » (ceux qui ne croient pas en l’islam). « La génération qui a tété la théorie du complot depuis l’enfance ne fait plus la diférence entre le semblable, l’invraisemblable et la réalité », grince Serge Hefez, qui estime que le premier combat contre la radicalisation commence par le savoir.
Dans Le ciel attendra, la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar met en scène Sandrine Bonnaire et Clotilde Courau, deux mères démunies devant l’enfermement progressif de leurs lycéennes. Ce film (en salles en octobre) donne à voir comment les victimes des bombardements en Syrie servent de produits d’appel humanitaires, avant qu’un homme, un vrai, s’empare via Facebook du numéro de portable de l’adolescente, puis de son coeur, puis de son esprit. Victimes de leur embrigadement, ces islamistes au féminin apparaissent dès lors aussi coupables que les hommes.
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments