Réquisitoire du parquet contre Sarkozy : deuxième volet de nos révélations dans l'affaire Bygmalion

Dans le réquisitoire accablant du parquet contre Nicolas Sarkozy et son entourage dans l’affaire Bygmalion, le système de double-facturation mis en place lors de la présidentielle de 2012, afin de cacher les coûts réels de la campagne, est expliqué avec force détails. Marianne révèle de larges extraits des conclusions du parquet. Deuxième volet.

Au cours de la campagne de Nicolas Sarkozy de 2012, les trouvailles de facturation entre les prestataires d’une part, et l’UMP, ainsi que l’association de financement de la campagne d’autre part (AFCNS) ont été nombreuses. C’est l’un des collaborateurs de Fabienne Liadzé, l’ancienne directrice des ressources du parti, mise en examen pour faux et usage de faux, abus de confiance, complicité de financement illégal de campagne électorale, et complicité d’escroquerie, qui met les pieds dans le plat devant les enquêteurs.

 

Une « réorientation de la facturation vers l’UMP » 

En effet, ce salarié de l’UMP, entendu comme témoin au cours de l’enquête, décrit avec précision les étapes ayant conduit à solliciter les fournisseurs de la campagne pour leur demander d’établir de nouvelles factures à adresser à l’UMP, en lieu et place de l’association de campagne, « comme cela avait été initialement le cas », précise le réquisitoire.

« Cela a commencé au mois de mars 2012. Fabienne Liadzé et Marc Leblanc [l’un des experts comptables de la campagne, mis en examen pour usage de faux, recel d’abus de confiance, escroquerie, et complicité de financement illégal de campagne électorale, ndlr], m’ont demandé de faire payer les factures de la campagne par l’UMP, ce qui a désorganisé tout le mode de fonctionnement. Ils sont revenus avec les originaux des factures adressées à l’AFCNS, et m’ont dit que toutes ces factures devaient être adressées à l’UMP. Ils m’ont demandé de prendre contact avec les prestataires pour modifier les libellés des factures, ce que j’ai fait (…) ».

Au sujet des factures de la filiale événementielle de Bygmalion, Event&Cie, il précise lors d’un autre interrogatoire :

« A la différence des autres fournisseurs, ce n’est pas moi qui les ai renvoyées à Event&Cie, mais Mme Liadzé. En effet, la relation avec Event&Cie était en quelque sorte le “domaine réservé” de Mme Liadzé ».

Le vice-procureur, Nicolas Baïetto rappelle dans son réquisitoire que « l’association [de campagne] avait été constituée tardivement et n’avait bénéficié de fonds propres qu’à compter d’avril 2012 », élément que nombre de collaborateurs de Nicolas Sarkozy n’ont cessé de répéter au cours de l’enquête, mais le magistrat constate que cette « réorientation de la facturation vers l’UMP, à l’exclusion de l’AFCNS, ne s’expliquait pas principalement » par ce fait.

En effet, le collaborateur de Fabienne Liadzé est très clair également à ce sujet : « Cela a pu jouer. Mais il y aurait eu d’autres solutions que de demander aux prestataires de facturer l’UMP. L’UMP aurait parfaitement pu faire une avance à l’association et récupérer les fonds une fois que l’association aurait reçu le prêt. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en 2007. (…) Ce procédé n’avait pas été critiqué ».

Lors d’une autre audition, il ajoute: « Le choix de facturer l’UMP est pour moi lié à la peur de Marc Leblanc d’engager des dépenses de l’AFCNS en l’absence de visibilité du réel coût des meetings », précisant ensuite :

« Une fois que l’écriture est passée dans le compte de campagne, on ne peut plus la toucher, c’est terminé… Dès lors, si la facture était faite au nom de l’association et inscrite dans les comptes de campagne, l’écriture était définitive. En revanche, dès lors qu’elle était faite au nom de l’UMP et refacturée par l’UMP ultérieurement, il lui était possible de mettre ce qu’il voulait dans le compte de campagne ».

Conclusion du parquet : « Force était de constater que cette facturation différée à l’AFCNS avait facilité la consommation des délits poursuivis, puisque c’était dans le cours du mois de mars 2012 que la fraude était pleinement mise en œuvre à travers des fausses factures d’Event&Cie à l’UMP, de telle sorte que les factures problématiques au regard du plafond de dépenses avaient ainsi été écartées en masse du champ de l’AFCNS pour être cantonnées dans les compte de l’UMP, hors les regards de l’autorité de contrôle du compte de campagne ».

 

Les premiers devis Bygmalion/Event&Cie détruits… avant la mise en place de la double facturation

Lors des investigations, la perquisition menée au sein des locaux du groupe Bygmalion avait permis aux enquêteurs de mettre main sur « les devis adressés à l’UMP après la mise en place du système de fraude pour l’ensemble des meetings et des conventions visés par les fausses factures ». Le réquisitoire souligne que « la totalité de ces devis avait été signés par Eric Césari [alors directeur général de l’UMP, mis en examen dans le dossier] ».

On apprend ainsi que, selon Franck Attal, le directeur adjoint d’Event&Cie, mis en examen pour faux et usage de faux, complicité de financement illégal de campagne électorale, et complicité d’escroquerie, que tous les documents établis avant la mise en place du système de ventilation des factures entre l’association de financement de la campagne et l’UMP, « notamment ceux matérialisant l’accord pour effectuer les prestations prévues aux devis », précise le réquisitoire, avaient été ensuite détruits :

« Les documents reçus pour les premiers meetings antérieurement à la mise en place du système de ventilation, ont été détruits ».

Tout était alors mis en place pour avoir un double jeu de factures, celles adressées à l’association de financement de la campagne, minorant les coûts réels des meetings, et celles adressées à l’UMP sur des prestations fictives. Ce « vaste système de ventilation des sommes dues à Event&Cie » mis en place a ainsi permis de maquiller les vraies dépenses des meetings dans les comptes officiels de la campagne.

 

Un dîner à l’Elysée sur l’organisation de la campagne

Il est désormais établi qu’à l’origine, l’équipe de Nicolas Sarkozy souhaitait organiser une campagne très courte, avec seulement quelques meetings, à la manière de François Mitterrand en 1988.

C’est Jérôme Lavrilleux qui l’explique longuement aux enquêteurs lors de l’une de ses auditions :

« Ceci m’avait été confirmé lors d’un dîner auquel j’ai participé à l’Elysée, de mémoire en avril 2011, auquel participaient Nicolas Sarkozy, Xavier Musca secrétaire général de l’Elysée, Brice Hortefeux, François Baroin, Bruno Le Maire, et moi-même. Dîner qui avait pour objet de la part du Président de la République d’évoquer sa future campagne électorale.

Cette orientation de la campagne a ensuite été confirmée lors de la réunion à l’Elysée en décembre 2011, sous la présidence d’Olivier Biancarelli conseiller politique du Président de la République chargé de mettre en place la partie logistique de la campagne électorale. Participaient à cette réunion un certain nombre de personnes et dans mes souvenirs, cette réunion a fait d’ailleurs l’objet d’une note au Président de la République, une copie ayant été adressée aux participants. De mémoire, il y avait Brice Hortefeux, Olivier Biancarelli, Eric Césari, Geoffroy Didier collaborateur de Brice Hortefeux, Eric Schall, collaborateur du Président de la République et actuel directeur adjoint de l’UMP, et moi-même.

Dans ce compte rendu de réunion était précisé outre des questions relatives au choix du futur siège de la campagne, l’organisation des futurs meetings du Président de la République, la note précisant une dizaine de meetings entre l’annonce de la candidature et le 2e tour de l’élection, qui s’ajouteraient aux déplacements effectués en qualité de Président de la République, mais qui s’inséraient dans la campagne pour la réélection de celui-ci. Figurent nommément dans cette liste des propositions de grandes villes pour les futurs meetings et sont mentionnés dans les déplacements présidentiels, mais à caractère électoral, de mémoire la réunion publique du Président à Toulon en décembre 2011 et le déplacement au Plateau des Glières en Savoie ».

 

En mars 2015, Marianne dans un dossier consacré à Bygmalion, avait publié la note technique de ce « groupe logistique » assurant un lien entre l’UMP et l’Elysée dans la préparation de la campagne, dans laquelle il était effectivement question d’« une dizaine de lieux de grands meetings ». « Ce nombre de meetings n’était [à l’époque] nullement envisagé comme un minimum », précise aujourd’hui le parquet.

On connaît la suite… D’une dizaine de meetings prévus à l’origine la campagne s’est terminée sur 44 meetings, et il y a bien fallu cacher aux autorités les dépenses des comptes… d’où les différentes trouvailles de facturation : double facturation, omission de factures.

 

>> Les suites de nos révélations concernant le réquisitoire du parquet sont à retrouver très bientôt sur Marianne.net !

>> 

 Retrouvez le premier volet de nos révélations par ici

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