Bygmalion : nos révélations sur l'accablant réquisitoire du parquet contre le système Sarkozy

Le parquet de Paris a demandé le renvoi de Nicolas Sarkozy devant le tribunal correctionnel pour « financement illégal de campagne électorale » dans le cadre de « l’affaire Bygmalion », que l’on peut plus que jamais renommer « affaire Sarkozy ». Ses proches dénoncent un « acharnement ». Marianne s’est donc procuré la version intégrale du réquisitoire pour en avoir le cœur net. Révélations en trois parties.

La nouvelle a fait sensation hier : la demande de renvoi par le parquet de Paris de Nicolas Sarkozy devant le tribunal correctionnel pour « financement illégal de campagne électorale », ainsi que des 13 autres mis en examen dans le cadre de l’affaire Bygmalion. Les 142 pages du réquisitoire rédigé par le vice-procureur Nicolas Baietto, que Marianne a pu se procurer, sont ainsi accablantes pour l’ex-chef de l’Etat et ses équipes.

Si ses amis politiques et son avocat, Thierry Herzog, ont immédiatement présenté Nicolas Sarkozy, candidat à la future primaire des Républicains, comme la victime d’un « acharnement » judiciaire, politique, et médiatique, les faits recueillis après instruction montrent incontestablement l’existence d’un système organisé visant à dissimuler les dépassements considérables de dépenses lors de sa campagne de 2012.

Le vice-procureur va même plus loin en pointant directement la responsabilité de Nicolas Sarkozy, considérant qu’il était « le principal bénéficiaire et le principal donneur d’ordres des événements, puisqu’il était le décideur final de leurs éléments essentiels ». Et de préciser que « compte tenu de sa formation et de sa très grande expérience en matière de campagne électorale, il était logique d’estimer que sa seule connaissance du dépassement du plafond de dépenses impliquait la connaissance de l’usage de moyens frauduleux inhérents à une telle dissimulation ».  

 

Une alerte des experts comptables volontairement ignorée

En effet, l’enquête démontre que Nicolas Sarkozy et son équipe ont augmenté considérablement le nombre de meetings au cours de la campagne, en tout connaissance de cause concernant les surcoûts qui en découlaient. De 15 meetings prévus à l’origine, 44 seront finalement organisés, dont trois grands, à Villepinte, La Concorde et au Trocadéro.

Pourtant, dès le 7 mars 2012, une note émanant des experts comptables de la campagne, transmise à Guillaume Lambert, directeur de la campagne, et aujourd’hui mis en examen pour usage de faux, recel d’abus de confiance, escroquerie, et complicité de financement illégal de campagne électorale, alertait sur le dépassement du plafond autorisé par la loi.

Une note immédiatement portée à la connaissance de Nicolas Sarkozy par son collaborateur, selon les dires de ce dernier lors de l’enquête. Ce qui permet au parquet de conclure :

« Loin de répondre aux recommandations des experts-comptables, les décisions prises allaient exactement à leur encontre (…) A la suite de l’alerte du 7 mars, le candidat et son équipe décidaient d’augmenter très fortement le nombre de meetings pour le porter à un rythme d’un par jour. Cette multiplication des meetings pouvait s’expliquer par l’évolution de la courbe d’intentions de vote, qui était apparemment corrélée à la fréquence de meetings ».

C’est pour cette raison que le parquet considère que la responsabilité de l’ancien président est « pleinement engagée du chef de financement illégal de campagne, car il était démontré qu’il avait donné, en connaissance de cause, des instructions en faveur d’une augmentation des dépenses, au mépris des recommandations contraires des experts comptables ».

 

« Deux modes opératoires distincts »

D’une affaire Bygmalion, on est donc bien passé à une affaire Sarkozy. C’est l’autre enseignement du réquisitoire du parquet. Les dépassements des coûts de la campagne ne concernaient pas uniquement la société de communication mise sous les feux des projecteurs depuis deux ans. Nicolas Baietto rappelle ainsi « la découverte de dépenses effectuées pour des prestations de nature électorale d’un montant supérieur à 10 millions d’euros, sans rapport avec la société Event&Cie [filiale  événementielle de Bygmalion, ndlr], et prises en charge par l’UMP, dans les comptes desquels elles étaient dissimulées ».

Ce qui permet au vice-procureur de décrire « deux modes opératoires distincts par lesquels le dépassement du plafond légal des dépenses de campagne présidentielle avait été dissimulé à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au Conseil constitutionnel », c’est-à-dire à la fois « la minoration frauduleuse des dépenses de campagne déclarées, au moyen d’une fausse facturation massive consistant à déplacer des dépenses de meetings ou réunions publiques en sous-facturant des prestations réelles au moyen d’une fausse facturation distincte de prestations fictives », mais aussi « l’omission déclarative totale ou partielle de dépenses de nature électorale dans le compte de campagne, dépenses de campagne payées par l’UMP et frauduleusement conservées dans la comptabilité du parti ».

 

« L’omniprésence » d’Eric Césari dans le système

Le réquisitoire du parquet permet également de cerner les responsabilités des différents mis en examen dans l’affaire. Le vice-procureur constate « la prépondérance du rôle ( …) dans la préparation et l’organisation de la campagne » de Jérôme Lavrilleux, ancien directeur adjoint de la campagne, et ancien directeur de cabinet de Jean-François Copé à l’UMP, et mis en examen pour usage de faux, recel d’abus de confiance, complicité d’escroquerie, et complicité de financement illégal de campagne électorale.

A l’appui de cette démonstration, un mail datant du 1er mars 2012 rédigé et signé par les conseillers, Patrick Buisson, Pierre Giacometti, et Jean-Michel Goudard, et envoyé à Nicolas Sarkozy, pour lui demander d’accroître les fonctions de Jérôme Lavrilleux : « en réunions, l’organisation est bien tenue par Guillaume, ainsi que les finances, mais le punch, la rage du combat, c’est Lavrilleux. Et nous en avons besoin ».

Mais contrairement au storytelling développé depuis le début de l’affaire par certains proches de l’ex chef de l’Etat, Jérôme Lavrilleux est loin d’être le seul responsable dans l’emballement de la campagne. Ainsi, le réquisitoire décrit ainsi Eric Césari, ancien directeur général de l’UMP, et mis en examen pour faux et usage de faux, abus de confiance, complicité d’escroquerie, et complicité de financement illégal de campagne électoral,  comme « le pivot de l’administration » du parti, alors même qu’il a tenté, devant les enquêteurs et les juges, à « minimiser l’étendue de ses missions au sein de l’UMP, notamment en se disant étranger aux questions financières ». Selon le vice-procureur, Eric Césari disposait d’une « forme d’omniprésence dans la vie interne du parti ». Concluant :

« Dès lors, son niveau hiérarchique dans l’organisation de la campagne était pratiquement équivalente à celle de Jérôme Lavrilleux ».

 

« La signature automatique » du trésorier !

Comme Marianne l’avait précédemment décrit, le parquet constate de nombreuses « anomalies grossières » dans les signatures des engagements de dépenses du parti au cours de la campagne, et pointe des « incertitudes quant aux conditions d’utilisation de la signature de Dominique Dord [le trésorier de l’UMP à l’époque des faits, et témoin assisté dans le dossier, ndlr] ».  Autrement dit, le parti a utilisé massivement au cours de la campagne « la signature automatique [électronique, ndlr] » de son trésorier, ce qui amène le vice-procureur à s’interroger sur le sérieux du « suivi des dépenses » de l’UMP tout au long de cette période, alors que des réunions hebdomadaires de suivi budgétaire étaient tenues entre responsables de l’équipe de campagne et responsables de l’UMP, au sein des locaux du QG de campagne, rue de la convention dans le 15e arrondissement de Paris.

Par ailleurs, l’engagement de toute dépense de plus de 3 000 euros était censé subir un contrôle strict, impliquant la signature d’au moins quatre personnes. On peut voir sur le document ci-dessous que cette règle n’a pas toujours été respectée, même pour des montants de plusieurs millions d’euros. Pour les autres, Jérôme Lavrilleux, Eric Césari, Pierre Chassat (directeur de la communication de l’UMP) et Fabienne Liadzé (directrice administrative et financière) ont adoubé des bons de commande à parfois plus de trois millions d’euros.

 

« L’alter ego du candidat M. Louvrier »

Justement, au cours de l’une des auditions, l’un des participants à ces réunions, Philippe Blanchetier, alors avocat de l’UMP, et mis en examen pour usage de faux, recel d’abus de confiance, escroquerie, complicité de financement illégal de campagne électorale, décrit « des personnes de l’état major du parti politique » comme « donneurs d’ordre » au sujet de l’orientation de la facturation (soit vers l’UMP, soit vers l’association des comptes de campagne).

Ajoutant : « Je n’ai pas de certitudes. Je pense que c’était la direction de l’UMP en liaison probablement avec l’alter ego du candidat qui était M. Louvrier ». A l’époque des faits, Franck Louvrier était le conseiller communication du président Sarkozy, et l’un de ses plus proches collaborateurs à l’Elysée. Selon le réquisitoire, c’est d’ailleurs lui qui a proposé que la société Agence Publics s’occupe des trois gros meetings de la campagne, en plus d’Event&Compagnie, la filiale de Bygmalion.

 

Des « suppressions » de documents budgétaires

Le réquisitoire évoque aussi des documents budgétaires « supprimés » de la comptabilité de l’UMP, et retrouvés au cabinet de Philippe Blanchetier, lors d’une perquisition. Ce qui amène le vice procureur, constatant que « des délits dissimulés ayant été commis », à émettre l’hypothèse « qu’un ordre avait été donné de faire disparaître les documents permettant de reconstituer la genèse du dépassement du plafond légal et des leviers utilisés pour le dissimuler, ainsi que d’identifier les protagonistes de cette fraude ». A l’appui de cette conclusion, un mail d’Eric Césari, envoyé le 4 mai 2012 à Guillaume Lambert, avec copie à Jérôme Lavrilleux, et Nicolas Princen, conseiller technique de l’Elysée de 2007 à 2012 :

« Guillaume, Nicolas,

Il est indispensable de ne rien anticiper sur les actions à engager concernant les fichiers. Toutes les interventions, et en particulier les suppressions, doivent être décidées en commun par nos équipes ».

 

>> Les suite sde nos révélations concernant le réquisitoire du parquet sont à retrouver très bientôt sur Marianne.net !

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