Aix-en-Provence : fin de règne chez les Joissains

Contrat de travail illégal, conflit d’intérêts, emplois présumés de complaisance… la maire d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains, et son mari, Alain, ex-maire de la ville, sont englués dans un bourbier judiciaire dont ils n’arrivent pas à se dépêtrer…

A Aix-en-Provence, Maryse Joissains n’est plus que l’ombre d’elle-même. Certes, la séance du conseil municipal vaut toujours le détour. Dans la salle des Etats de Provence, on passe encore parfois du rire aux larmes. Blonde truculente aux yeux gris, éternelle robe noire, crucifix scintillant autour du cou, la maire Les Républicains de la ville, qui a fêté ses 74 ans le 15 août, aime jouer de sa gouaille et de son personnage cocardier. On guette ses bons mots, on sourit en voyant Tecky, son chien, mélange de teckel et de lévrier « aixois », monter sur les genoux du public. Mais il y a aujourd’hui comme un ressort cassé. Quand arrivent les sujets qui fâchent, l’édile monte sur ses grands chevaux et fait pleuvoir les invectives, « avé l’assent ».

Quelque chose a changé. Moins en verve, le regard plus souvent dans le vide, cette sarkoziste de choc semble victime d’un gros coup de fatigue. L’usure du pouvoir ? Ou le poids des affaires ? Comme à Levallois-Perret, où l’étau se resserre chaque jour un peu plus sur le couple Balkany, Maryse Joissains et son conseiller politique de mari, Alain, n’arrivent pas à se dépêtrer du bourbier judiciaire dans lequel ils se sont englués. Une fin de règne qui vire à la mauvaise farce familiale. « Les Joissains ont toujours eu l’art d’embrouiller les innocents » (tromper les naïfs, en provençal), s’amuse un vieil Aixois en sirotant son anisette sous ces platanes que Mme la Maire, engagée dans de grands projets urbanistiques, a décidé d’abattre, au grand dam de ses administrés. « Un arbre n’est pas éternel », philosophe la bétonneuse dans la dernière livraison du magazine municipal. Un clan politique non plus. Mais ça, Maryse Joissains n’est pas prête à l’entendre, malgré le tintamarre grandissant des casseroles dans son sillage.

On croyait le dossier clos depuis l’an dernier, une décision définitive du Conseil d’Etat y ayant mis un terme. Perdu : l’affaire du « contrat de cabinet » d’Alain Joissains continue de pourrir l’image de la ville et d’alimenter les conversations du côté du cours Mirabeau. Le 2 février 2015, monsieur a été condamné à rembourser près de 476 000 € à la commune dirigée par madame. Mais cette dernière n’a exigé de lui que… 77 000 €. Une facture largement minorée dont Alain Joissains s’est pourtant empressé de contester le mode de calcul devant le tribunal administratif de Marseille, pour retarder un peu plus l’heure des comptes. Vieille ficelle : entre le mari-collaborateur et l’épouse-employeur, le petit jeu de bonneteau dure depuis quinze ans.

L’histoire commence en 2001, quand Maryse Joissains remporte la mairie, dix-huit ans après son homme. Alain fut en effet le premier magistrat de la ville de 1978 à 1983, avant de renoncer à un second mandat en raison d’une vilaine affaire immobilière mouillant ses beaux-parents. Des travaux dans la villa de ces derniers avaient été financés en contrepartie de marchés publics. La magouille s’est soldée en 1988 par la condamnation définitive de l’ex-maire à 150 000 francs d’amende et deux ans de prison avec sursis pour « complicité de recel d’abus de biens sociaux ». Et par le suicide du père de Maryse, un ancien communiste ravagé par la honte. Alors, quand la famille revient enfin aux affaires, au tournant des années 2000, la nouvelle patronne de la ville prend des accents de tragédienne. « Cette élection s’est faite dans les larmes et dans le sang », clame-t-elle, bien décidée à « laver l’honneur » des siens.

TRAITEMENT DE FAVEUR

Curieusement, la grande lessive commence par le recrutement d’un repris de justice. Le 18 avril 2001, la maire d’Aix-en-Provence paraphe de sa main le contrat d’Alain Joissains comme conseiller spécial rattaché à son cabinet. Puis le 23 août 2001 et le 24 octobre 2002, deux avenants, toujours signés Maryse Joissains, le nomment directeur de cabinet et augmentent son traitement. Personne n’a jamais contesté la réalité de cet emploi, simplement le salaire qui va avec. Lucien-Alexandre Castronovo, un opposant politique élégamment surnommé « casse-couilles » par le couple, a bataillé âprement pour obtenir la vérité. Après avoir saisi la Cada, la commission d’accès aux documents administratifs, il découvre, ô surprise, que le mari dépasse, et de beaucoup, le plafond pour ce type de boulot. Maryse Joissains s’est en effet montrée très généreuse avec son cher et tendre, dont elle est séparée mais pas divorcée. Même si « Alain a fait le couillon [il lui a fait deux enfants dans le dos], il a des problèmes d’argent, le pôvre », se répand-elle dans toute la ville. Récemment, à un enterrement, elle a confié très fort, pour que tout le cimetière l’entende : « Alain, je me le suis récupéré, je lui ai dit, t’as pas d’argent, viens vivre au rez-de-chaussée. Et c’est moi qui raque pour toute la famille. » La commune d’Aix-en-Provence a donc engagé ce nécessiteux pour un salaire de 5 605 € brut par mois en 2001, puis 5 820 € jusqu’en 2008. De quoi voir venir. Problème : selon la loi, il ne pouvait toucher plus de 90 % de l’indice le plus élevé du fonctionnaire le plus haut placé de la mairie, soit 3 699 € par mois en 2001, puis 3 761 € entre 2002 et 2008.

GUERRE DES CHIFFRES

L’entêtement de Lucien-Alexandre Castronovo à mettre au jour ce traitement de faveur a mis du temps à payer. Le 28 octobre 2008, le tribunal administratif annule purement et simplement le contrat. Prudent, Alain Joissains prend sa retraite, mais revient comme conseiller bénévole, fonction non rémunérée qu’il exerce encore aujourd’hui auprès de sa femme. Les Joissains, tous deux avocats, entament alors une longue bataille procédurale. En 2011, la cour administrative d’appel de Marseille leur donne raison et annule le premier jugement pour un vice de forme. Début 2013, le Conseil d’Etat annule l’annulation et dans la foulée, la cour d’appel de Marseille confirme, cette fois-ci, le jugement du tribunal administratif. La mairie tente un baroud d’honneur en saisissant à son tour le Conseil d’Etat. Sans succès : en février 2015, la plus haute juridiction administrative tranche définitivement le litige. Le contrat était entaché d’illégalité dès l’origine, il est donc bel et bien annulé. Sauf que depuis cette date, les interprétations divergent sensiblement sur le montant de l’addition…

A la mairie, où ni Maryse Joissains ni son mari n’ont souhaité nous répondre, la directrice de la communication, Isabelle Loriant-Guyot, avance l’explication suivante : « Alain Joissains a travaillé durant sept ans comme directeur de cabinet. Il a touché pour le travail effectué la somme de 450 000 €. Le tribunal administratif a jugé qu’Alain Joissains avait perçu de l’administration 71 000 € de trop et [la ville] a émis un titre de recette. A ce jour, Alain Joissains conteste ce titre de recette devant le tribunal administratif de Marseille. La procédure est en cours. » La guerre des chiffres, toute en imprécision, bat son plein. Car, de son côté, Lucien-Alexandre Castronovo, un fonctionnaire en retraite qui s’y connaît en calcul d’indice, n’en démord pas : pour lui, Alain Joissains a touché au total 475 818 €. « Et il doit tout rembourser, pas seulement le trop-perçu, que j’estime pour ma part à 167 850 €, martèle-t-il à Marianne. Contrairement à ce que racontent les Joissains, c’est l’ensemble de la somme qui doit être rendu ! »

Le petit jeu de bonneteau dure depuis quinze ans mais pourrait prendre fin

Une analyse confirmée par tous les experts en droit public que nous avons interrogés : un contrat signé par une collectivité est la seule base possible pour percevoir une rémunération. Si le contrat est annulé, c’est comme s’il n’avait jamais existé. Les salaires perçus doivent donc être remboursés en intégralité. A condition que la victime – la Ville d’Aix-en-Provence en l’occurrence – les réclame en bonne et due forme… Devant l’imbroglio créé par la requête de son mari contre le titre de recette émis par la municipalité, Maryse Joissains a fait voter l’an dernier une piquante délibération qui transfère à son premier adjoint le soin de la représenter désormais dans ce dossier. Motif ? « Compte tenu des liens familiaux existant entre le maire et M. Joissains », il a semblé préférable que les intérêts de la ville soient défendus par un tiers, « en toute transparence »« C’est bien la preuve qu’il y a, depuis le début, un conflit d’intérêts évident dans ce contrat », souligne Edouard Baldo, le chef de file de l’opposition socialiste à la mairie.

L’affaire, cantonnée au droit administratif, n’a pas eu de suites pénales. Mais une autre, tout aussi personnelle, vaut à Maryse Joissains une mise en examen depuis 2014 pour prise illégale d’intérêts. Le personnage central, costume serré et cheveux gominés, est un pilier du petit théâtre aixois : Omar Achouri, le chauffeur de madame. Un intime qui déjeune avec elle tous les jours selon un rituel immuable à la brasserie Léopold et l’accompagne lors de ses vacances en Bretagne. Maryse Joissains n’ayant pas de portable, Omar Achouri joue aussi les standardistes, ce qui donne lieu à des scènes cocasses. En 2012, en plein conseil municipal, l’homme de confiance tend le téléphone à la maire et lui glisse à l’oreille : « C’est le président de la République, Nicolas Sarkozy. » Maryse Joissains n’a pas entendu. Elle se retourne et demande, micro ouvert : « Qu’est ce qu’il y a, mon chéri ? »

PROMOTION TURBO

Pour sa fidélité sans failles, le « chéri » en question a bénéficié d’un joli coup de pouce de la part de sa patronne. En avril 2013, Maryse Joissains préside une commission administrative paritaire à la mairie, l’instance chargée de l’avancement des fonctionnaires. Il y a deux postes ouverts pour passer en catégorie A, l’échelon le plus élevé de la fonction publique territoriale… et 167 candidats. Omar Achouri répond aux conditions avec ses trente-cinq ans d’ancienneté, mais par rapport aux autres, toutes qualités confondues, il n’est classé qu’ à la 46e place (43e si l’on compte les ex aequo). Et ses notes en formation et en mobilité ne sont pas brillantes : zéro ! Contre toute attente, alors que le jury débat des mérites des candidats occupant les cinq premières places, Maryse Joissains tranche : ce sera Omar. Alain Capus, membre du syndicat FSU-SDU, était lui aussi sur les listes et n’en a pas cru ses yeux : « J’ai fait un recours administratif et j’ai gagné : l’arrêté de nomination de M. Achouri a été annulé, il est resté en catégorie B. »

La mairie a fait appel ; l’affaire n’est pas encore jugée. Ce contentieux administratif est arrivé aux oreilles du procureur de la République, par le biais d’une opportune lettre anonyme, lequel a ouvert une information judiciaire. En se penchant sur cette promotion « turbo » du chauffeur, les enquêteurs ont établi une curieuse coïncidence. Maryse Joissains avait perdu son mandat de députée des Bouches-du-Rhône peu de temps auparavant, entraînant dans sa chute Omar Achouri qu’elle rémunérait, en sus, comme attaché parlementaire. Sa montée en grade dans la fonction publique territoriale visait-elle à compenser cette subite perte de revenus ? A l’issue de son audition chez le juge, la maire d’Aix ne doutait pas que sa mise en examen finirait rapidement par « un non-lieu global ». Deux ans plus tard, le dossier est toujours entre les mains de la justice. Comme celui de Sylvie Roche, une autre collaboratrice de Maryse Joissains, missionnée à la communauté d’agglomération du pays d’Aix – présidée par Maryse Joissains- sur les questions de maltraitance animale. Une noble cause, sans aucun rapport avec les compétences de cette collectivité… L’agglo ayant disparu cette année, avalée par la métropole d’Aix-Marseille-Provence, Maryse Joissains se retrouve à présent plus isolée que jamais face à son meilleur ennemi, Jean-Claude Gaudin, le maire de la cité phocéenne.

Dans cette bataille épique pour sauver « sa » communauté de communes, l’Aixoise a laissé beaucoup d’énergie. Mais elle peut maintenant compter sur le retour au bercail de sa fille, Sophie, sénatrice UDI des Bouches-du-Rhône, qui a renoncé à la vice-présidence de la région Paca pour occuper pleinement son fauteuil d’adjointe à la mairie d’Aix, en charge de la politique de la ville et de la culture. La relève est prête. Les détracteurs du « système Joissains » aussi, qui fourbissent déjà leurs armes.

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