L'islam de France passera par les femmes !

Alors que beaucoup s’interrogent sur l’organisation de l’islam de France, il est certain que la réussite de ce nouvel aggiornamento doit nécessairement intégrer la dimension féminine, voire féministe.

Dans la torpeur estivale, la polémique sur le burkini, hyper-médiatisée par les réseaux sociaux et les surenchères politiques, en dit long sur la société française et sur les religions en général, notamment dès qu’il s’agit des femmes. Concernant l’islam, qui compte plus de 5 millions de croyants en France, c’est encore plus vrai car si les femmes restent invisibles dans la sphère de la représentation religieuse, elles sont devenues malgré elles les marqueurs les plus visibles et les plus symboliques de la religiosité musulmane dans l’espace public. Pour beaucoup de musulmans, c’est par elles que passent désormais les enjeux fondateurs tels que : la transmission, la morale, les valeurs, l’honneur ou la pudeur.

Dans ce contexte codifié et étoilement surveillé, le dévoilement de leur corps s’apparente à un blasphème, pire, à une ligne jaune infranchissable. Chaque millimètre de leur nudité est évalué à l’aune d’une pureté supposée qui doit échapper au regard (toujours concupiscent) de l’homme. Et pourtant des musulmans en terre d’islam ont bravé cet interdit. Le père de l’indépendance tunisienne Habib Bourguiba va, dès 1956, promulguer le code du statut personnel et s’appuyer sur l’émancipation des femmes pour revitaliser la société tunisienne toute entière. Son premier fait d’arme, interdire le foulard dans l’espace public. Quarante ans plus tôt, le Turc Mustafa Kemal Atatürk, inspiré par la révolution française, va instaurer en 1922 la laïcité et donnera avant la France, pays des droits de l’homme, le droit de vote aux femmes. Deux exemples qui montrent à l’évidence que d’illustres leaders politiques musulmans, contre toute attente, dans un passé oublié, ont été capables malgré le poids du religieux de faire le choix de la raison, du progrès et des droits de l’homme et… des femmes. Ces deux révolutions sociétales, en Tunisie et en Turquie, se sont faites d’abord au bénéfice des femmes, même si elle furent pensées par des hommes. Quelles leçons en tirer aujourd’hui ?

En France, alors que beaucoup s’interrogent sur l’organisation de l’islam de France, il est certain que la réussite de ce nouvel aggiornamento doit nécessairement intégrer la dimension féminine (qui représente somme toute la moitié de la communauté des croyants), voire féministe. Organiser l’islam de France, c’est être attentif à la place qui sera donnée aux musulmanes de France, dans toute leur diversité et quels que soient leur niveau de croyance et de pratiques. Ainsi, la présence ou l’absence des femmes dans la future organisation de la fondation des œuvres de l’islam sera déterminante et sera un indicateur très révélateur de la capacité de l’islam de France de se « laïciser » et à trouver un compromis fécond entre la modernité et la foi. Le droit des femmes à disposer de leur corps, leur statut personnel, leurs droits sociaux en seront des marqueurs essentiels. Ainsi il ne sera plus accepté que des femmes d’engagement telles Mesdames Betoule Fekkar Lalbiotte ou Dounia Bouzar aient été obligées de démissionner des instances représentatives de l’islam pour que leurs voix de musulmanes soient enfin entendues. 

Aujourd’hui l’islam fait peur, notamment parce qu’ une image dégradée de l’asservissement des femmes lui est attachée. D’autres sont persuadés de sa corrélation avec le djihadisme. Hélas et ce n’est pas un secret, la deuxième religion de France souffre d’une double diabolisation, portée d’une part par une droite identitaire extrême qui se réfugie dans une chrétienneté outragée et d’autre part, par une gauche anti-cléricale qui ne se résout pas à accepter que les immigrés de la marche des beurs de 1983, dont les mobylettes carburaient au « mélange », ont fait des enfants musulmans. Comment, en effet, comprendre une telle mutation ? Cette religiosité nouvelle est-elle le signe avant-coureur, comme le pensent certains, d’une désintégration, d’une désaffiliation à la société française ? Pourquoi ces enfants d’immigrés, dont les parents ont pratiqué leur religion en toute discrétion pendant des décennies, sont-ils prêts aujourd’hui à en découdre pour plus de visibilité religieuse ?

Pour moi les raisons sont multiples. La première, la plus essentielle à mes yeux, est sans doute que dans la période troublée que nous vivons, qui voit un monde mourir pour qu’un autre renaisse, cette demande de spiritualité est d’abord une demande de Sens. Un sens qu’une société mondialisée, précarisée, matérialisée, fragmentée, n’offre plus. Il y a chez beaucoup de jeunes Français chrétiens un regain de spiritualité positive, comme l’a illustré le succès du dernier rassemblement des journées mondiales de la jeunesse à Cracovie. Pour beaucoup de musulmans aussi , le besoin de visibilité est un signe de sécularisation. C’est parce qu’ils sont de ce pays qu’ils souhaitent que leurs proches soient enterrés en terre de France, qu’ils souhaitent prier à ciel ouvert. Pas d’angélisme cependant, pour d’autres malheureusement en butte aux discriminations et à la marginalisation, le repli identitaire est un moyen de compenser une banalisation sociale et une égalités des chances qui n’est pas au rendez vous, avec un ascenseur social bloqué au sous-sol. Ils deviennent alors un terreau fertile pour la délinquance, le salafisme et tous les « ismes » qui prolifèrent comme des serpents vénéneux pour notre pacte social. C’est aux politiques de renverser ce cycle mortifère et de redonner de l’espérance.

Organiser l’islam de France, c’est donner la même voix aux hommes et aux femmes qui font vivre cette religion. C’est promouvoir les élites musulmanes pour qu’elles deviennent des modèles d’identification positive. C’est former aux lois de notre république des imams français et qui parlent français. C’est faire en sorte que dans nos prisons, on n’entre pas délinquant pour en sortir radicalisé. C’est faire que l’argent étranger pour construire les mosquées soit identifié et contrôlé . C’est enfin et surtout miser sur la CULTURE pour lutter contre l’ignorance et la barbarie. La culture pour éduquer, rencontrer, dialoguer, rire et aimer. La culture aussi pour se rappeler de nos héritages et de nos mémoires. Pour continuer à écrire ensemble notre récit national, fait de diversité et surtout d’unité. La culture pour célébrer nos ressemblances et minorer nos différences. Albert Camus nous rappelait : « Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude » . Et la plus grande servitude serait que nos croyances nous séparent de nos nos frères en humanité en érigeant des murs et en détruisant les ponts.

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