La mortification de Michel Butor par Audrey Azoulay

La ministre de la Culture Audrey Azoulay a rendu hommage à Michel Butor dans un communiqué ce 25 août… et à son roman « La Consolidation ». Sauf que ce prix Renaudot ne s’intitule pas du tout comme ça…

Vous êtes journaliste, rédacteur en chef ; et vous aimez la littérature plus que tout. Vous avez appris hier soir la mort de Michel Butor, l’ogre génial du Nouveau Roman, et cela a donné à votre nuit un mauvais goût de cendres. Vous avez peu dormi, et mal, songeant à celui qui était parti à l’âge de 89 ans. Vous vous êtes souvenu de certains de ses livres, et notamment de celui qui l’avait rendu célèbre auprès du grand public, ce roman bizarre, écrit à la deuxième personne du pluriel. La Modification. Vous vous souvenez encore de la tonalité de ce récit qui eut le prix Renaudot, et même de l’histoire : un homme qui fait un voyage en train, de Paris jusqu’à Rome, pour retrouver celle qu’il aime. Celle qu’il croit aimer. Vous vous dites qu’il faudrait relire ce roman qui avait fait scandale en 1957, tout simplement parce que le lecteur en était le héros. Vous vous endormez en pensant à cela : oui, vous allez relire La Modification, ce week-end, dans un parc.

Et puis, le jour se lève, et vous vous levez aussi. Vous regardez vos mails, en prenant votre café. Il faudrait vous dépêcher : le jeudi matin, c’est la conférence de rédaction à Marianne. Un mail attire votre attention : celui de la ministre Audrey Azoulay. Un communiqué de presse pour rendre hommage à Butor, envoyé à tous les journalistes à 8h09 précisément. Vous trouvez ça bien, que des ministres rendent hommage aux grands écrivains, surtout des ministres comme Azoulay, qui prennent si peu la parole. Vous vous demandez tout de même ce qu’elle pourrait bien dire qui sortirait de la langue convenue, politique, banale. Vous lisez la première phrase du mail : « Michel Butor était un écrivain inclassable, compagnon d’aventure du Nouveau Roman, d’Alain Robbe-Grillet, de Nathalie Sarraute ou de Claude Simon. » Pour l’instant, ça va : vous êtes d’accord. Azoulay ne prend pas trop de risque. Vous continuez votre lecture : « Grand prix de littérature de l’Académie française pour l’intégralité de son oeuvre en 2013, celui qui obtint le prix Renaudot pour  « La Consolidation », semblait animé d’un formidable »… Vous arrêtez de lire. Vos sourcils se froncent, et vos yeux rebroussent chemin. Vous relisez. La Consolidation ? Et là vous êtes effondré.

Vous relisez. La Consolidation ? Et là vous êtes effondré.

Vous vous tenez le front, et vous retenez un rire aussi amer que votre café. Vous vous dites que ce n’est pas possible de se tromper de la sorte, qu’il faut vraiment le faire exprès. Vous songez à Fleur Pellerin, qui n’avait pas lu Modiano. Vous vous dites qu’Azoulay n’a pas lu davantage. Vous dites à voix haute : « Ils ont modifié ‘la Modification’ », et aussi : « Cet hommage, c’est la mortification de Butor ! », parce que vous essayez de rire, parce que vous ne voulez pas admettre leur nullité. Rentrée littéraire oblige, vous avez lu il y a quelques jours le nouveau livre de Robert  Colonna d’Istria, Le testament du bonheur, qui invente et résume plus de cinquante livres qui n’existent pas. Vous vous dites qu’Azoulay, sans le savoir, vient d’écrire le post-scriptum de ce livre satirique. Mais tout de même : ça parle de quoi, un livre qui s’appelle la Consolidation ?

Vous regardez encore une fois le mail officiel, avant de partir pour la rédaction de Marianne. C’est signé : « Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication. » Vous fermez votre ordinateur en songeant qu’elle ne maîtrise hélas ni le premier terme, ni le second. Et vous quittez votre appartement. Ce week-end, vous relirez La Modification. Ce sera votre manière de rendre hommage à Butor. La seule façon possible de rendre hommage à un écrivain. 

 

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