"Je suis un citoyen normal qui a fait quelque chose d'anormal"

A Nice, au Bataclan, confrontés à une noyade ou à un incendie, ces femmes et ces hommes ont su réagir. Réfléchi ou instinctif, leur courage hors du commun fascine, et leur altruisme dément l’individualisme de notre société.

Après chaque événement dramatique, au milieu du déversement d’images de détresse et de chaos, surgissent des récits que l’on croirait sortis de l’imagination de scénaristes hollywoodiens. L’exemple de Franck compte parmi les plus spectaculaires. Le 14 juillet dernier, ce Niçois de 49 ans rattrape à scooter le camion meurtrier de la Promenade des Anglais, se hisse jusqu’à la cabine du conducteur et le frappe au visage à plusieurs reprises, jusqu’à ce que les balles des policiers mettent enfin terme à la course macabre du terroriste. « Je suis un citoyen normal qui a fait quelque chose d’anormal », analysera Franck quelques jours plus tard au micro de France 2. On le sait : face à une situation inhabituelle, extrêmement dangereuse, et alors que d’autres restent pétrifiés, des hommes et des femmes ordinaires peuvent adopter un comportement extraordinaire, « héroïque ». Mais y a-t-il des points communs entre ces individus qui se sont mis en danger pour en sauver d’autres ? Et, surtout, quels enseignements peut-on collectivement tirer de leurs actes pour valoriser l’entraide dans notre société qui, de toute évidence, n’en a pas fini avec les attaques aveugles et sanglantes ?

« J’Y SUIS ALLÉ, C’EST TOUT »

Guillaume Dezecache, docteur en sciences cognitives et chercheur postdoctorant à l’université de Neuchâtel, en Suisse, mène une étude sur les réactions à la menace au cours de l’attentat du Bataclan à Paris, le 13 novembre dernier. Son travail, qui n’en est encore qu’aux prémices, vise à identifier les « ingrédients » qui amènent les gens à faire preuve de comportements « prosociaux », c’est-à-dire à s’aider les uns les autres. « Il y a avant tout une question d’opportunité, on a plus de chance d’être héroïque en ville qu’à la campagne, note-t-il. Mais l’éducation joue un rôle important. Le fait d’avoir été bénévole, par exemple, augmente la probabilité d’acte héroïque. »

Première leçon, basique mais cruciale : pour être un héros, il faut d’abord s’intéresser aux autres. Les témoins interrogés par Marianne confessent tous une propension à intervenir dans les situations délicates qu’ils peuvent rencontrer au quotidien. « Pas du genre à détourner le regard », dit Arnaud Gonnet, qui a empêché le viol d’une de ses collègues de travail ; une « tendance à ne pas avoir peur de grand-chose », pour Christian Souillé, qui a risqué sa peau pour sauver une vieille dame d’un incendie. « C’est vrai que je suis du genre à mettre mon grain de sel quand je vois quelqu’un se faire embrouiller dans la rue, reconnaît Pierre, rescapé de la fusillade du Carillon, qui a organisé les premiers soins aux victimes autour de lui. Je fais attention à ce qui se passe autour de moi. »

Les héros ordinaires répondent à un appel instinctif, « viscéral »Lorsqu’il s’agit d’intervenir physiquement, être à l’aise dans son corps et croire en ses capacités ajoute des points de confiance au héros potentiel. Bénévole dans le club de rugby du coin, Robin est à la fois altruiste, sportif, et habitué à encaisser des coups de coude pendant les mêlées. Il n’a pas hésité à se précipiter sur un cambrioleur qui venait d’agresser violemment sa victime. « Je ne me suis pas posé de questions, j’y suis allé, c’est tout », dit-il simplement. Et, de fait, il semble qu’en de telles situations la réflexion ne soit pas de mise. « Si on réfléchit, on n’y va pas, ça ne fait aucun doute », résume Christian Souillé, qui a bien failli mourir dans l’incendie dont il a sauvé sa voisine.

Confrontés à un événement grave, les héros ordinaires répondent à un appel instinctif, « viscéral », pour reprendre le terme qu’a employé François Devaux, cofondateur de l’association La parole libérée, qui dénonce le silence de l’Eglise face à la pédophilie des prêtres. Et ce, quelles que puissent être les conséquences pour eux-mêmes. Pour le chercheur Guillaume Dezecache, c’est ce dépassement des préoccupations individuelles qui définit l’héroïsme. « Il ne s’agit pas seulement de rester droit dans ses bottes dans une situation, précise-t-il. Celui qui accomplit un acte héroïque transcende sa propre existence au nom d’une idée, d’une valeur. » Une personne qui sauve un inconnu n’a, par définition, aucune sympathie particulière à son égard, ni aucune idée de ses qualités ou de ses défauts. C’est donc par attachement à la vie humaine et en défense de cette valeur fondamentale qu’elle se lance à sa rescousse. Dans son témoignage, Pierre invoque un « devoir par rapport à l’humain » ; Philippe Martinez, le marin qui a sauvé des migrants, parle de « devoir » ; Robin, de « civisme ». Pour François Devaux, il s’agit encore de « remettre la morale à sa juste place ».

Des idéaux qui, lorsqu’ils sont solidement ancrés, résistent à tout, y compris aux consignes parentales de se mêler de ses propres affaires. Pour le Dr Philippe Nuss, qui dirige l’étude sur les rescapés du Bataclan, nos sociétés modernes manquent hélas trop souvent l’occasion de cultiver ces « valeurs intemporelles ». « La morale, l’honneur, le respect de l’humain sont considérés comme antimodernes. Pour avoir le sentiment d’exister, on ne peut pas se fonder sur une valeur, alors on se fonde plutôt sur l’opinion commune », constate-t-il. Or, à en croire Philip Zimbardo, psychologue américain qui a notamment étudié les actes d’humiliation et de tortures commis dans la prison d’Abou Ghraib, le conformisme serait le plus court chemin vers le Mal, avec un grand « M ». A noter qu’il classe dans cette catégorie non seulement les actes intentionnels, mais aussi la tolérance passive, l’inaction ou encore l’indifférence.

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