Depuis fin juillet, quasiment plus un jour ne passe sans qu’une intervention de police ait lieu aux abords du métro Jaurès, où les migrants ont pris l’habitude de se regrouper. Ces interventions, parfois très musclées, embarrassent la mairie de Paris et suscitent la colère des associations de soutien. Samedi 6 août, alors qu’un rassemblement de protestation contre les méthodes de la police se tenait place de la République, les deux organisateurs de l’événement ont été empêchés de s’y rendre… avant d’être placés en garde-à-vue.
Depuis le 22 juillet, pas un jour ne passe sans que l’image de petits groupes installés aux abords du métro Jaurès ne frappe d’étonnement les passants, mobilise les soutiens, agite les services de police. Ce jour-là, un camp de fortune monté sous le métro aérien est démantelé. Selon les autorités, environ 2.500 personnes sont alors évacuées pour être placées dans des hébergements d’urgence, gymnases et hôtels, ou dans des locaux de rétention administrative (LRA). Mais dès le lendemain, de nouveaux groupes de gens arrivent dans ce coin du nord de Paris. Erythréens, Tchadiens, Soudanais, Ethiopiens, Afghans… Primo arrivants ou non. « Environ une soixantaine de migrants arrivent à Paris chaque jour », déplore Dominique Versini, adjointe d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, chargée notamment de la solidarité et de la lutte contre l’exclusion, qui qualifie la situation de « délicate à gérer ».
« La pression policière est inédite »
Les chiffres avancés par l’élue n’ont rien de nouveaux. Ce qui l’est davantage, ce sont les interventions quasi quotidiennes de la police ces dernières semaines et la mise à l’écart des collectifs de personnes solidaires. « La pression policière de ce niveau est inédite », estime Houssam El Assimi, l’un des membres du collectif d’aide aux migrants, la Chapelle debout, présent à leurs côtés depuis de nombreux mois.
Des vidéos publiées récemment sur Internet attestent d’interventions musclées des forces de l’ordre. Des images tournées dans la nuit du 31 juillet au 1er août sur l’avenue de Flandre, entre les stations Jaurès et Stalingrad, montrent par exemple une « opération de dispersion » organisée par la préfecture de police, avec usage intense de gaz lacrymogène et de coups de matraque. Résultat, des personnes peinant à se lever et des migrants reçus aux urgences : l’un pour une crise d’épilepsie et un autre pour une crise d’asthme liée au gaz. « Nous avons des consignes, nous y répondons par un usage strictement proportionné de la force », déclare-t-on au service de communication de la préfecture, qui se défend en évoquant, ce soir là, « des jets de projectiles ».
« Nous n’avons rien à voir avec ces opérations »
Mais deux jours plus tard, le lendemain puis encore ce lundi 8 août en début d’après-midi, rebelote. Des fourgons de police débarquent. Il s’agit, selon la police, d’effectuer des « opérations de contrôle de situations individuelles » : les migrants installés là dans l’attente de pouvoir demander l’asile en France sont invités à monter dans les camions, direction les commissariats voisins. « Le mot est passé que la police distribuait des OQTF (obligation de quitter le territoire français) et qu’on pouvait être envoyé loin de Paris, raconte Jo, un jeune Congolais de 17 ans arrivé en France il y a un mois. Du coup, les gens ne veulent plus être embarqués et alors la police tape, insulte et utilise les gaz », dit l’adolescent en mimant l’usage d’une bombe lacrymogène, comme celles qu’il a vu à l‘œuvre mercredi 3 août. Pendant que les Afghans avec qui il avait été arrêté passaient au relevé d’empreintes, lui a été remis en liberté. « Le policier m’a dit que je n’avais rien à faire ici ». Depuis, Jo est de retour à la case départ, avenue de Flandre.
Du côté de la mairie, on marque ses distances avec les récents événements et les pratiques des hommes en bleu, qui dépendent de la préfecture de police. « Nous n’avons rien à voir avec ces opérations », argue ainsi Dominique Versini. L’élue condamne « des interventions contraires aux méthodes de la Ville », qui ne serait pas tenue informée. « Je comprends que les soutiens s’affolent », ajoute-t-elle.
Pour protester contre ce qu’ils qualifient de « chasse », de « rafles » ou de « harcèlement » à répétition, lesdits soutiens ont souhaité organiser une manifestation, samedi 6 août. Mot d’ordre : dénoncer « le harcèlement et les violences policières sur les migrants ». Déposée par Houssam El Assimi, du collectif Chapelle debout, et Aubépine Dahan, du collectif parisien de soutien aux exilés (CPSE), la demande a été acceptée par la préfecture, à condition que l’action prenne la forme d’un rassemblement à 16h place de la République. Un rendez-vous est alors fixé une heure avant à proximité du métro Jaurès pour que les migrants et leurs soutiens se rendent en groupe à République. « Nous avions averti notre agent de liaison, assure Houssam El Assimi. Elle nous avait donné son accord pour que nous allions jusqu’à République en marchant sans mégaphone ni banderoles. Mais au moment d’y aller, ils ont changé d’avis : on s’est soudainement retrouvé « nassés » par les CRS ».
Contraint de rester bloqué par un cordon de fonctionnaires, le groupe n’est libéré qu’aux environs de 19h. Houssam El Assimi et Aubépine Dahan, eux, repartent avec une convocation au commissariat du XXe arrondissement le lendemain, à 10h, afin d’être « entendus sur les faits de délits de manifestation illicite », ainsi que l’indique le document qui leur est remis. Surprise : quelques minutes après l’heure de leur convocation, les deux militants se voient notifier leur placement en garde àvue. Ils passent près de huit heures en cellule. A leur sortie, à la terrasse d’un café du quartier de Ménilmontant, Houssam El Assimi rembobine le fil de la journée avec des proches et des amis du collectif. « En plus de faire la chasse aux migrants, on franchit un cap dans la criminalisation de la solidarité, c’est très grave », s’emporte-t-il. Le représentant de Chapelle debout n’est pas au bout de ses peines : Aubépine Dahan et lui-même ont quitté l’antenne de police avec une invitation à se présenter au Palais de justice de Paris le 9 novembre prochain.
Article actualisé le 8 août 2016, à 21h45.
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments