La sélection de « Marianne » à petits prix, pour ne pas bronzer idiot.
On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux», disait Gandhi. En France, même si le code civil certifie depuis 2015 que «les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité» (qui en doutait ?), les débats autour de l’élevage intensif ou de la maltraitance dans les abattoirs s’intensifient, comme en témoigne la récente visite de l’académicien Alain Finkielkraut à la «ferme des 1 000 vaches». L’ouvrage Montaigne et les animaux, de Bénédicte Boudou, professeur de littérature du XVIe siècle à l’université de Nanterre, est donc tout à fait bienvenu.
Ce livre rafraîchissant montre que l’Antiquité avait compris, depuis Homère, que l’animal est un être vivant sensible : déjà, dans l’Iliade, les chevaux de Patrocle pleuraient leur maître tombé sous les coups d’Hector. Hélas, l’humanisme de la Renaissance, au nom de l’anthropocentrisme, préfère insister sur la primauté hiérarchique de l’homme. Et la religion n’avait rien contre cette idée-là. Seule contre cette pensée dominante s’éleva la voix de Montaigne. Précocement, l’auteur des Essais voit dans l’animal un semblable, presque un égal, qu’il refuse d’appeler bête. Son plaidoyer, toujours actuel, s’appuie sur des anecdotes piquantes et de subtiles observations : oui, l’animal communique, élabore des stratégies, tient de mystérieux discours intérieurs et même… rit ! A maints égards, Montaigne explique que les animaux sont humains ! Bénédicte Boudou souligne l’humour avec lequel l’écrivain confère alors une pensée à la bête, rappelant par là les slogans adoptés par les associations de protection des animaux, comme «J’ai tellement peur que mon maître soit perdu».
Oui, Montaigne présenté par Bénédicte Boudou emporte notre adhésion. Parions qu’il aurait applaudi devant Nietzsche serrant contre lui un cheval et écrivant : «J’ai trouvé plus de danger parmi les hommes que parmi les animaux.»
Comment la modernité, qui a tant contribué à le libérer de la contrainte collective, fait-elle de l’individu sa victime ? Contrairement à la promesse de Facebook, Twitter ou Instagram, qui nous mettent en scène perpétuellement, nous ne sommes pas heureux pour autant. Carlo Strenger, psychanalyste et écrivain de nationalité suisse et israélienne, ne compte plus les patients désemparés venant le consulter. Dans La peur de l’insignifiance nous rend fous, il montre que le désir de reconnaissance qui explique le besoin de se montrer, d’exposer sa vie privée, surexpose l’individu au jugement et à une concurrence exacerbée. Désormais, l’intensité de notre existence et la valeur de notre vie dépendent des commentaires laissés sur les réseaux sociaux, du nombre de likes. C’est à leur aune que se mesure la réussite. Au même moment, l’entreprise s’empare du besoin de chaque individu d’affirmer sa singularité et en fait un outil de vente. La publicité retourne l’axiome socratique «Connais-toi toi-même», tourné vers la recherche de l’harmonie, pour en faire une stratégie de différenciation. Nulle surprise si les individus sont oppressés par l’obligation permanente de valoriser leur singularité par la réussite publicisée. Dès lors, comment échapper à la pression sociale et médiatique ? Strenger nous invite à sélectionner les valeurs qui comptent et à éviter les vertiges de ce qu’il appelle le «moi marchandise», en d’autres termes, la mise en scène de nos vies sur Internet. Pour sortir du «royaume de l’insignifiance», il encourage chacun à s’affranchir du jugement d’autrui pour retrouver un équilibre et la possibilité du bonheur. La peur de l’insignifiance nous rend fous est donc un essai éclairant et accessible, dans lequel le psychanalyste offre à chacun de se libérer du moi social asservissant. Une bouffée d’oxygène à chaque page.
Peut-on écrire sur la bêtise sans s’abêtir ? C’est le pari réussi par l’écrivain et professeur d’études comparées à l’université de Caen Belinda Cannone, dans La bêtise s’améliore. L’auteur utilise habilement la forme romanesque pour exposer sa réflexion : trois personnages – le narrateur, sa fiancée, Clara, et son ami Gulliver – discutent sur la notion de «bêtise intelligente», autrement dit la bêtise des gens cultivés, une bêtise bien plus répandue qu’on ne le pense… En effet, à l’heure où le savoir érudit vulgarisé empêche toute pensée autonome, quoi de plus aisé que de tomber dans les raccourcis de la doxa, d’autant plus pernicieuse qu’elle avance masquée ? Belinda Cannone nous met en garde : ne confondons pas conformisme et adaptation, l’un conserve son identité, l’autre la dissout dans la copie. Pour saisir toute la dimension de la pensée sous influence, l’auteur grossit le trait en s’appuyant sur un grand classique, le Zelig de Woody Allen. Dans ce film, un homme caméléon se transforme au fur et à mesure de ses rencontres : «gros parmi les gros, Noir avec les Noirs, médecin dans un hôpital, musicien dans une formation de jazz…» A l’image de Zelig et de son évanescence, la «bêtise intelligente» est le calque de la pensée sur la tendance, l’abdication de la réflexion face au on majoritaire.
Dès lors, quels sont les écueils à éviter ? Au fil des discussions, les trois personnages tombent d’accord : le réflexe qui nous pousse vers la «pensée mode», la paresse et le bon sentiment nous empêche de penser librement. Finalement, ce n’est pas l’intelligence qui sauve de la bêtise, mais plutôt la pensée alerte, en éveil, toujours prête à l’autocritique. Comme l’écrit Georges Courteline, «seuls les idiots n’ont pas de doutes. – Vous en êtes sûr ? – Certain».
Créée sous le second Empire pour des raisons sanitaires et disciplinaires, la police des mœurs avait pour mission d’arrêter les prostituées des rues, à une époque où l’on ne tolérait que les maisons de tolérance. Ses agents renvoyaient une image terrifiante : les conditions d’arrestation étaient violentes, et les bavures, nombreuses. Quelle est la réalité de la Mondaine sous le second Empire et la IIIe République ? Quels sont les enjeux soulevés par cette police particulière ? Autant de questions que pose Jean-Marc Berlière, professeur d’histoire à l’université de Bourgogne et spécialiste de la police aux XIXe et au XXe siècle, dans son dernier ouvrage, la Police des mœurs. Dans ce livre d’Histoire très documenté et accessible, il montre comment les lois successives permirent à la police d’agir en toute impunité : arrestations sans contrôle du juge, incarcérations préventives, emprisonnements sans jugement ni appel… Des procédés hors la loi, qui révolteront jusqu’aux préfets de police. Mais alors, dira-t-on, pourquoi la police des mœurs échappe-t-elle à la réforme, à l’heure où le nouveau régime républicain se pare de la devise «Liberté-égalité-fraternité» ? Là est l’ambivalence : la Mondaine savait tout des grands et des politiques. Elle informe, fait pression, menace, se rend indispensable… Berlière le montre parfaitement : la police des mœurs se servait des mœurs pour survivre. Et puis les mœurs l’ont vaincue.
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments