Battus en brèche par l’astronome Edwin Hubble, les aveuglements du plus grand physicien de tous les temps l’auront forcé à truquer arbitrairement ses équations pour faire tenir sa théorie de la relativité.
Derrière une erreur ou un aveuglement scientifiques, cherchez bien : vous trouverez presque toujours une interférence idéologique, politique ou théologique. Et, parmi tous les champs scientifiques, l’astrophysique et la cosmologie sont parmi les plus sensibles. En parlant de la forme et de l’histoire de l’Univers, ils touchent directement à la question de Dieu. Loin d’avoir été enterrés avec la séparation entre la religion et la science, de tels brouillages continuent à affecter la pensée supposée objective et rationaliste. Pour preuve, les aveuglements multiples qui ont entaché le travail du plus grand physicien de tous les temps, Albert Einstein.
Nous sommes en 1917. Alors que la relativité est une théorie communément admise, Einstein prend conscience d’un problème majeur de sa propre théorie : la théorie de la relativité qu’il défend conduit à un Univers instable, où la force de gravité conduirait les astres à s’attirer les uns les autres et l’Univers à s’effondrer à terme sur lui-même. Que faire ? Pour sauver l’Univers classique, le physicien, moins génial que d’habitude, introduit un facteur arbitraire dans ses équations, la « constance gravitationnelle » (appelée lambda), fondée sur une supposée « énergie du vide » qui n’a d’autre utilité et d’autre justification que de rendre possible un Univers stable. Cette constance gravitationnelle, appelée aussi « constante cosmologique », serait une sorte de facteur d’ajustement destiné à mettre en rapport une conviction scientifique et une vision du cosmos, un peu à la manière dont les astronomes qui, comme Ptolémée ou Tycho Brahe, refusant d’admettre que la Terre n’était pas au centre du Système solaire, étaient obligés de développer des équations inutilement compliquées pour expliquer le mouvement des planètes.
Pendant plus d’une décennie, les astronomes et les physiciens se sont accordés sur le fait que nous vivions dans ce qu’on appelle alors un « Univers d’Einstein » : un monde stable, fini, recourbé comme une sphère, dépourvu d’histoire, la théorie de la relativité conduisant à la vision rassurante d’un cosmos finalement peu différent de celui de Platon. Mais, en 1929, coup de tonnerre : observant des étoiles lointaines pouvant servir de repères, l’astronome Edwin Hubble découvre que les galaxies qui nous entourent s’écartent les unes des autres. Cela ne peut dire qu’une seule chose : l’Univers est en expansion, idée qui aboutit vite à celle d’un big bang inaugural qui aurait eu lieu il y a quatorze milliards d’années. Stupéfait, mais ne pouvant pas mettre en doute les observations de Hubble, Albert Einstein s’agace : «Vos calculs sont corrects, mais votre physique est abominable !» dit-il à Georges Lemaître, l’un des défenseurs de l’idée d’un Univers en expansion.
« La plus grosse bêtise de ma vie »Il imagine alors, pendant quelques mois, des solutions alternatives permettant de justifier son idée d’un Univers statique, avant de renoncer piteusement en 1932 et d’admettre, selon la légende, à son ami George Gamow « la plus grosse bêtise de [sa] vie ». Non seulement il avait dû truquer arbitrairement ses équations, mais son obsession lui avait interdit de prédire, des décennies avant son observation concrète, l’expansion de l’Univers. Alors qu’Einstein est obligé de se réfugier aux Etats-Unis et que l’Europe s’apprête à basculer dans le chaos, le physicien doit se faire à l’idée d’un Univers instable, destiné à se dilater et à se refroidir infiniment – ou, inversement, à se recontracter et se détruire en un nouveau big bang.
En renonçant à sa théorie, Einstein laisse alors définitivement d’autres physiciens défendre, pour des raisons toujours idéologiques, cet Univers immobile, sans âge, et qui n’existe pas. Mais, l’histoire de la physique n’étant pas sans paradoxes, l’idée d’une « constante cosmologique » et d’une « énergie du vide » ou de la « matière noire » est revenue sur le devant de la scène depuis quelques décennies, les astrophysiciens contemporains en faisant la force dominante de l’Univers, non pour en justifier l’immobilité, mais, au contraire, pour en faire la seule explication du constat fait de l’expansion accélérée de notre Univers.
Le cas de cette « constance » introduite dans les équations pour répondre à une inquiétude existentielle n’est pas unique : à plusieurs reprises, Albert Einstein semble avoir eu du mal à assumer les conséquences radicales de ses théories. Ainsi, le physicien allemand réintroduisit dans sa physique, dans les années 20, la vieille notion d' »éther », ce cinquième élément invisible censé remplir le vide depuis Aristote et où Newton voyait le « sensorium sei », le toucher de Dieu. Affirmant que, « selon la théorie de la relativité générale, un espace sans éther est inconcevable », il vida la notion de son sens métaphysique passé pour en faire un simple synonyme d’« espace-temps » assez inutile, mais la conserva tout de même, par hommage à son maître, Hendrik Antoon Lorentz, et à une longue tradition de savants qu’il admirait.
Einstein se trompa encore une foisEinstein se trompa encore une fois, en 1936, dans un article où il avait renié une des conséquences importantes de sa propre théorie de la relativité, l’existence des ondes gravitationnelles. Mais, comme il le disait à son ami Leopold Infeld, avec un peu d’humour et beaucoup d’humilité : « Il existe des articles inexacts signés de mon nom. » Certes, Einstein, prix Nobel depuis 1921, fut vexé lorsque la Physical Review refusa de publier cet article – il ne lui soumettra jamais plus d’articles -, mais il comprit ensuite sa propre erreur et renonça à contester l’existence de ces ondes gravitationnelles, distorsions de l’espace-temps qui lui semblaient si hypothétiques et étranges alors même qu’elles sont aujourd’hui un pilier de notre compréhension moderne du cosmos, en servant par exemple à comprendre l’existence et le fonctionnement des trous noirs, objets déconcertants dont Einstein contesta également la réalité.
Un dernier exemple, qui ne relève pas d’une simple erreur mais d’un véritable acharnement, c’est la controverse qu’Einstein mena avec Niels Bohr, l’inventeur de la physique quantique, théorie de la matière fondée non sur des calculs déterministes, mais sur les probabilités. Pendant vingt ans, Einstein admit la théorie des quantas, qu’il considéra comme « un miracle », mais voulut défendre le sens commun selon lequel la réalité de la nature ne peut être d’essence constamment variable et indéterminée. Il polémiqua avec Bohr en lui adressant cette pique restée célèbre : « Dieu ne joue pas aux dés. » Ce à quoi Bohr aurait répondu : « Mais qui êtes-vous, Albert Einstein, pour dire à Dieu ce qu’il doit faire ? »
Il chercha tantôt à transformer à sa façon la théorie de Bohr en introduisant des « variables cachées », pour en démontrer les paradoxes et chercher à la réfuter : « Je trouve très intolérable l’idée qu’un électron expose a un rayonnement choisisse de sa propre initiative non seulement le moment ou il sautera, mais aussi sa direction. Dans ce cas, j’aimerais mieux être cordonnier ou même employé dans une maison de jeux que physicien », expliqua-t-il un jour. Mais, pendant vingt ans, alors même que la théorie générale de la relativité triomphait, ouvrant la porte, entre autres, à l’invention de l’arme atomique, alors qu’Einstein était devenu une icône objet de shows et adulé dans le monde entier, il perdit toutes les batailles dans son conflit avec la réalité probabiliste de la théorie des quantas. Car, pour la physique contemporaine, décidément, il n’y a pas de « variable cachée » capable de rassurer l’âme inquiète d’un physicien qui ne voulut jamais croire totalement aux conséquences insécurisantes de ses spéculations pour l’espèce humaine.
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