Les très démocrates héritiers de Jan Hus

Moderne, ouverte et progressiste, codirigée par des laïques et ouverte aux femmes, l’Eglise hussite ne fait rien comme les autres. Passée d’un million de fidèles en 1950 à moins de 40 000 aujourd’hui, la troisième confession de la République tchèque se cherche un second souffle.

>> Cet article est le deuxième de notre série d’été consacrée aux religions méconnues, à retrouver jusqu’à fin août, chaque semaine, dans Marianne.

Dimanche 8 mai, la messe tire à sa fin dans l’église hussite tchécoslovaque du très huppé quartier praguois de Vinohrady, un superbe bâtiment constructiviste des années 30, flanqué d’une tour de 35 m, elle-même coiffée d’un calice en cuivre de 2,50 m. Dans la salle de prière, en forme d’amphithéâtre, quelques dizaines de fidèles, la plupart d’âge avancé, communient. Puis le chaleureux curé, Daniel Majer, quinqua sportif vêtu d’une soutane noire ornée d’un calice rouge sur la poitrine, emmène ses ouailles sur le parvis se recueillir devant une plaque commémorative. Celle-ci rappelle que, dans les premiers jours de mai 1945, l’église accueillait une radio clandestine, qui avait annoncé à la population l’arrivée de l’armée Rouge, l’appelant à rejoindre le soulèvement de Prague.

Deuxième arrêt, dans le columbarium, pour une prière devant le monument aux morts de la Seconde Guerre mondiale. Puis Daniel Majer invite les amateurs à se retrouver dans le bâtiment voisin. Il rejoint son épouse – l’Eglise reconnaît à ses prêtres le droit de se marier et, depuis 1947, l’ordination des femmes – pour s’installer avec ses fidèles autour d’une table couverte de fruits et de pâtisseries. L’époux d’une paroissienne – « juif libéral et civique », précise-t-il – raconte leur récent voyage en Terre sainte, avant de confier sa sympathie pour cette Eglise « si ouverte. Je conduisais ma femme en voiture, j’ai fini par rentrer et prier ». Jana, sa compagne, dit s’être fait baptiser à 33 ans : « J’apprécie cet esprit de tolérance, et les bonnes relations humaines au sein de cette Eglise. » La très discrète Eglise tchécoslovaque hussite est assez méconnue, même dans son propre pays

Ordonné diacre une semaine plus tôt, le jeune Filip Sedlak, 27 ans, longues mèches blondes et œil rieur, a troqué sa soutane noire pour une tenue plus simple : sweat-shirt, jeans et baskets. Marié et père de famille, mais toujours étudiant en théologie à la faculté hussite de la prestigieuse université Charles, Sedlak, jusque-là simple prédicateur, raconte son parcours. « Au lycée, mon professeur principal était prêtre. Puis je me suis inscrit à la fac hussite, qui n’a pas la réputation de vous assommer de travail. J’ai choisi théologie et histoire des religions. Je voulais glander », confie-t-il avec un grand sourire.

Filip Sedlak s’inscrit ensuite – sans plus de succès – à la très cotée Ecole supérieure d’économie de Prague. Un court passage chez Vodafone le convainc bientôt « de faire curé. Je me suis dit qu’ainsi j’aurais de l’argent, et un appartement », avoue-t-il tout aussi candidement. C’est alors, s’enflamme-t-il, qu’il a « trouvé la foi. Je me suis fait baptiser, et viens de me faire ordonner diacre », ce qui lui permet d’administrer certains sacrements, comme le baptême ou le mariage. L’enthousiasme du jeune homme a aussitôt fait un émule : son père, qui s’est inscrit à la même faculté « pour avoir de quoi parler avec moi. Cela lui a plu. Daniel Majer l’a baptisé la semaine passée ».

A la faculté de théologie hussite, poursuit le jeune homme (qui y a été élu vice-président du conseil scientifique, un poste réservé à un étudiant), « l’ambiance est très ouverte. Ce fut longtemps le seul lieu d’étude du judaïsme, un département ouvert en 1991, juste après la chute du mur de Berlin. Les étudiants sont athés, car il y a dans notre pays de forts préjugés à l’égard des religions. Certains y trouvent la foi », conclut Sedlak.

Méconnue en son pays

Troisième confession de la République tchèque, avec, selon le recensement de 2011, 39 229 membres, loin derrière l’Eglise catholique (1,082 million) et l’Eglise évangélique des frères tchèques (51 858), la très discrète Eglise tchécoslovaque hussite est assez méconnue, même dans son propre pays. Un comble pour une confession par essence nationale – elle fut créée par des catholiques modernistes juste après la naissance de la Tchécoslovaquie, en 1918, sur les ruines de l’Autriche-Hongrie, en réaction contre l’Eglise catholique, jugée rigide, et complice de la germanisation des pays tchèques sous les Habsbourg. D’autant qu’elle compte parmi ses membres actuels l’ancien président de la République libéral Vaclav Klaus et l’ex-Premier ministre social-démocrate Jiri Paroubek. Découpée en six diocèses, dont un à Bratislava, la capitale slovaque, elle demeure l’une des rares entités ayant gardé l’appellation tchécoslovaque, après le « divorce de velours » du pays en 1993.

S’étant toujours réclamée de l’héritage du prédicateur Jan Hus, précurseur de la Réforme, excommunié puis condamné pour hérésie et brûlé lors du concile de Constance, en 1415, l’Eglise n’a ajouté l’adjectif « hussite » à son nom qu’en 1971. Plus que favorable à la prise de pouvoir par les communistes à Prague, en février 1948, elle fut en retour toujours soutenue par le régime, dont le principal ennemi était les catholiques romains. Cela lui valut rapidement la réputation d’avoir collaboré avec lui. Beaucoup gardent à l’esprit les images du journal télévisé présentant le patriarche en train de plaider pour la paix dans le monde, aux côtés des autorités…

« L’Eglise a inutilement fait des concessions au régime », juge l’historien Martin Jindra, de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires, détaché pour exploiter les archives de l’Eglise, dont il est membre. « Ses dirigeants ont dépassé les limites, contrairement à l’Eglise évangélique, qui a compté nombre de dissidents dans ses rangs. »

L’Eglise tchécoslovaque eut toutefois un succès immédiat : un demi-million de membres s’y ruèrent dès sa création Fondée sous la houlette du prêtre catholique moderniste Josef Farsky (1880-1927), qui aspirait à dire la messe en tchèque (et non plus en latin), prônait l’abandon du célibat des prêtres et un plus grand rôle des laïques – toutes demandes refusées par le pape Benoît XV en 1919 -, l’Eglise tchécoslovaque eut un succès immédiat : un demi-million de membres s’y ruèrent dès sa création, en février 1921, puis un million en 1950 ! Interdite et persécutée sous le protectorat de Bohême-Moravie et dans l’Etat slovaque nazi de Mgr Jozef Tiso, elle comptait plusieurs martyrs à la fin de la guerre : outre 39 prêtres internés au camp de concentration de Theresienstadt, il y eut l’étudiant Jan Opletal, tué lors d’une manifestation antinazie en octobre 1939, ou encore l’un de ses pères fondateurs, Matej Pavlik, devenu par la suite premier primat de l’Eglise orthodoxe tchèque, qu’il a fondée : ayant accueilli dans son Eglise les parachutistes responsables de l’attentat contre Reinhard Heydrich le 27 mai 1942, il fut exécuté par les nazis.

Forte de cette aura, et comptant nombre d’esprits progressistes parmi ses membres, l’Eglise, qui a longtemps « oscillé entre catholicisme et protestantisme », selon Jindra, s’est depuis sa fondation voulue démocratique. Elle associe les laïques à sa gestion – notamment à l’élection de ses six évêques et de son patriarche, tous nommés au maximum pour deux mandats de sept ans. Elle fut la première Eglise à élire une femme évêque, Jana Silerova, qui dirigea de 1999 à 2013 le diocèse d’Olomouc, en Moravie du Nord, avant de revenir à ses fonctions pastorales.

Las ! En dépit de cette belle transparence, l’Eglise hussite n’a pas échappé aux scandales qui ont récemment éclaboussé d’autres confessions : élu en 2001, le patriarche Jan Schwarz fut contraint à démissionner en 2005, pour une gestion jugée trop dépensière. Quant à l’ex-évêque de Prague Karel Bican, soupçonné d’avoir collaboré avec la police secrète communiste, il dut quitter son poste en 2007 en raison de relations jugées douteuses avec un jeune homme qu’il avait aidé à sortir de prison…

Rejetant la pompe du culte catholique, dont elle est issue, l’Eglise hussite n’a pas de saints, et ne vénère pas la Vierge Marie. Le tutoiement est de rigueur entre « frères et sœurs », et la parité est un acquis depuis 1950 – aujourd’hui, les femmes prêtres sont majoritaires. L’un de ses membres les plus éminents, le sculpteur symboliste Frantisek Bilek (1872-1941), a consacré de nombreuses œuvres à ce culte. Pour l’église gothique Saint-Venceslas de la rue Resslova, à Prague, où officiait jadis son fils, Bilek a sculpté un superbe christ, des bancs et des bas-reliefs en bois. Prêtre dans cette paroisse, Emmanuelle Blazkova, 63 ans, désigne ces trésors en soupirant : « Voilà cent ans que nous existons, et nous n’avons jamais fait de travaux. »

Elevée sans religion, Blazkova dit avoir voulu devenir prêtre à l’âge de 14 ans. Ce qu’elle fit quelques années plus tard en Bohême du Nord. « Etre prêtre aujourd’hui est difficile, concède- t-elle. Attirer des jeunes est un défi ». Elle qui organise des veillées pour les étudiants chaque semaine avoue son inquiétude quant au renouvellement des fidèles, d’autant que « nous avons un problème de personnel »…

Dialogue avec le Vatican

Le patriarche de l’Eglise hussite n’est pas forcément choisi parmi ses évêques. C’est ainsi que Tomas Butta, 58 ans, docteur en théologie et simple prêtre jusqu’à son élection en 2006, fut reconduit en 2013 pour un second mandat de sept ans. Marié et père de trois fils, cet aimable moustachu, né d’un couple mixte hussito-catholique non pratiquant, reçoit dans les locaux dépouillés du siège de son Eglise, dans le quartier résidentiel de Dejvice.

« L’époque totalitaire a été très dure », résume-t-il, en soulignant que, à la différence des catholiques et des protestants, dotés de solides soutiens en Occident, son Eglise s’était retrouvée très isolée. Ainsi, « il nous a fallu couper tout lien avec nos paroisses en Amérique », note-t-il. Interrogé sur l’avenir de son Eglise, dans un pays de 10 millions d’âmes en majorité sans religion, le patriarche concède en souriant : « Notre image est un peu floue. Mais, présents dans plusieurs dizaines de maisons de retraite, nous sommes populaires auprès des personnes âgées. »

Tout juste sorti des festivités célébrant le 600e anniversaire de la mort de Jan Hus, l’an dernier, organisées conjointement avec l’Eglise évangélique, Tomas Butta a même été invité à une messe œcuménique au Vatican à cette occasion. Emboîtant le pas à Jean Paul II, qui avait exprimé ses « regrets pour le traitement cruel qui avait été infligé » à Jan Hus, le pape François y a qualifié ce dernier de « réformateur de l’Eglise ». Prochain objectif pour le patriarche : le centenaire de l’Eglise, en 2020. Et assurer sa viabilité pour l’avenir, l’Etat tchèque ayant accepté de restituer le patrimoine confessionnel sous condition d’en cesser le financement.

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