La "guerre" contre le terrorisme, oui mais jusqu'où ?

Faut-il publier les photos des terroristes ? Doit-on voter une législation d’exception ? La Constitution est-elle un obstacle à notre défense ? « En guerre » contre la terreur islamiste, la France de 2016 se pose des questions qui nous auraient paru pour certaines impensables il y a seulement quelques années.

« Nous sommes en guerre », martèlent inlassablement François Hollande et Manuel Valls depuis les attentats de 2015. Une rhétorique reprise à nouveau par le couple exécutif après l’égorgement d’un prêtre dans une église de Saint-Etienne-du-Rouvray, en Seine-Maritime, ce mardi 26 juillet. « Cette guerre sera longue », a prévenu le chef de l’Etat au soir de ce nouvel attentat islamiste, mais « nous la gagnerons ». Derrière ce vocabulaire belliqueux, repris dans la plupart des camps politiques, quelles conséquences concrètes cet état de « guerre » a-t-il sur les principes qui régissent la vie de la nation ? Elles sont potentiellement multiples : depuis l’attaque de Nice le 14 juillet, les propositions se multiplient pour appeler à des ruptures dans des domaines aussi divers que l’armée, les médias ou même le droit. Tour d’horizon de nouvelles questions qui émergent dans notre pays « en guerre« .

 « Intelligence avec l’ennemi » : utiliser l’arsenal juridique lié à la guerre ?

La proposition est de plus en plus reprise à droite et au Front national. Dans une interview au JDD, dimanche, François Fillon a demandé « l’application du livre IV du Code pénal, qui permet d’aggraver fortement les peines pour les actes de terrorisme ou de complicité ». Cet article, qui trouve sa source dans l’ancien code de justice militaire, punit sévèrement « le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France ». Marine Le Pen avait déjà réclamé en juin l’application de cet article contre les individus en lien avec le groupe Etat islamique.

Mais cette proposition se heurte à une fragilité juridique. Interrogée dans une question écrite par le député Les Républicains (LR) Claude Guoasguen en janvier dernier, Christiane Taubira, alors ministre de la Justice, avait estimé qu’il serait « complexe » d’employer cette disposition « afin de réprimer des comportements qu’elle n’avait manifestement pas vocation à appréhender ». « L’incrimination existe ; elle n’est jamais utilisée car elle est très difficile à manier, et c’est pourquoi on utilise aujourd’hui la législation anti-terroriste », observait pour sa part en 2015 le juge Marc Trévidic, spécialiste de l’antiterrorisme, lors d’une audition à l’Assemblée nationale. Se dire « en guerre », oui, mais de là à employer l’arsenal juridique propre à cet état, le pas n’a pas (encore) été franchi.

« Législation d’exception » : vers une remise en cause de l’Etat de droit ?

Une partie de la droite, Nicolas Sarkozy en tête, n’hésite plus à justifier par la lutte contre le terrorisme la remise en cause de certains principes fondamentaux du droit. Après l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, l’ex-chef de l’Etat, qui plaide pour le placement en rétention d’une partie des individus fichés S, a fustigé « les arguties juridiques » qui empêcheraient l’exécutif de reprendre sa proposition. La Constitution interdit en effet de détenir une personne de façon arbitraire. Ce qui n’empêche pas le président de LR d’en remettre une couche dans un entretien au Monde ce mercredi 27 juillet, en appelant à mettre hors d’état de nuire « les auteurs probables d’un futur attentat ». « Il y a dans cette guerre que nous engageons, les innocents, les coupables et une zone grise, avec ceux qui ne sont pas encore passés à l’acte », estime Nicolas Sarkozy. Se plaçant dans le sillage de plusieurs élus de droite qui, après l’attentat de Nice, avaient déjà donné dans la surenchère sécuritaire. Le patron des députés LR, Christian Jacob, réclamait ainsi « une législation d’exception », tandis que le député des Yvelines David Douillet reprochait carrément à la gauche de se réfugier « systématiquement derrière cette sacro-sainte Constitution »

Médias et propagande : rendre les terroristes anonymes ?

Au fil des attentats, un débat émerge dans les salles de rédaction sur l’opportunité de diffuser les noms et photos des terroristes. Le risque pointé par certains : servir la propagande de l’EI, qui y verrait une glorification de ses prétendus « martyrs ». Le choc suscité par l’égorgement du père Jacques Hamel marque une évolution : BFMTV, Le Monde et La Croix ont décidé ce mercredi de ne plus publier de photos des auteurs d’attentats, tandis qu’Europe 1 a annoncé qu’elle ne citerait plus leurs noms à l’antenne.

Après la diffusion d’images choquantes la nuit de l’attentat de Nice, le gouvernement avait déjà mis un pied dans ce débat. Dans metronews, la secrétaire d’Etat à l’Aide aux victimes, Juliette Méadel, a ainsi souhaité que les médias et les géants du web « se mettent d’accord autour d’une éthique ». Mais d’autres voix s’opposent à un « blackout » sur l’identité des terroristes. « Les djihadistes n’ont pas besoin des médias de masse pour exister, observait récemment le journaliste spécialisé David Thomson dans Libération. Le fait de diffuser nom et portrait des terroristes n’a aucune incidence sur le rythme des attentats. Au contraire, ne pas publier ces données développerait les théories du complot déjà nombreuses alors que les informations circulent. » A l’heure des réseaux sociaux, il paraît en effet difficile de sacrifier la transparence journalistique sur l’autel de la guerre contre le terrorisme.

 

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