A Champagne-sur-Oise, une ville de moins de 5.000 habitants aux allures de village, dans le Val-d’Oise à quelques kilomètres de Paris, la vie est paisible, tout comme dans les communes alentours, Beaumont et Persan. Un de ses jeunes habitants, Adama Traoré, 24 ans, a pourtant trouvé la mort ce mardi 19 juillet à la suite de son interpellation par les gendarmes dans des circonstances qui, pour les gens du coin, sèment le doute et la colère. Si le rapport de l’autopsie a conclu à une « infection » grave, ses proches continuent de privilégier la thèse de violences policières…
A Champagne-sur-Oise tout le monde connaissait Adama. Le jeune homme, qui avait « toujours le sourire » et qui « ne se laissait pas faire », y vivait depuis l’enfance. Apprécié pour ses « principes » bien qu’il soit passé, « comme beaucoup d’autres », par la case « bêtises » ; garde à vue et prison, Adama n’était « pas un criminel », ni même « un méchant. » Plutôt un « bagarreur », auteur de petits délits, « serviable », qui jonglait avec les missions d’intérim dans le secteur de la manutention. Le premier à « monter les courses » ou à « te ramener une canette quand il allait à l’épicerie », se souvient Allan, l’un de ses amis d’enfance. Des amis qu’il a longtemps retrouvés, le dimanche, pour une partie de foot au « plateau ».
Depuis, les petits de Champagne ont grandi. Ils sont désormais technicien, agent commercial à la SNCF, conducteur de bus ou carreleur dans le bâtiment. Quelques-uns sont même devenus parents. Adama, lui, est mort. « Tué par les gendarmes, seul, sans nous, le jour de son anniversaire », crie sa soeur, Assa, la voix étranglée par les sanglots, devant une foule compacte, entre 1.500 et 5.000 personnes, venues participer ce vendredi 22 juillet à la marche organisée en sa mémoire.
Champagne-sur-Oise, une commune du Val-d’Oise de moins de 5.000 habitants aux airs de village, située à une poignée de kilomètres de Paris avec sa poste, la boulangerie de Thierry, ses trois écoles primaires et son cabinet de médecins, n’a jamais connu pareil drame. Ses voisines ; Persan, ancien fief communiste et Beaumont-sur-Oise, construite autour de son château et son Ciné Palace, non plus. Le 19 juillet pourtant, Adama Traoré, 24 ans, décède à la gendarmerie de Persan après son interpellation devant la bibliothèque municipale de Beaumont, dans des circonstances qui sèment le doute et la colère parmi les habitants du coin. Champagne-sur-Oise, Persan et Beaumont n’ont jamais connu pareil drame.
Depuis plusieurs jours, et plusieurs nuits émaillées de violences, le mot « bavure » surgit sur toutes les lèvres. Les résultats de l’autopsie d’Adama qui, selon le procureur de la République de Pontoise Yves Jannier, concluent à une absence de « traces de violences significatives » et à « une infection très grave » touchant « plusieurs organes », n’y feront rien. Les jeunes en sont convaincus : Adama a été « tabassé. » « Gendarmes assassins », « mensonges », crient-ils ce vendredi, pendant la marche sous un soleil de plomb. Car Adama ne serait pas « allé au contact » des gendarmes, comme l’a initialement indiqué le procureur.
Pour son frère, Baguy, le seul à être visé et recherché le jour du drame dans le cadre d’une enquête pour « extorsion de fonds », Adama aurait à l’inverse tenté d’échapper au contrôle d’identité. A partir de là, les versions divergent. Lorsque Baguy revoit son frère pour la dernière fois, Adama « est menotté, au sol », à la gendarmerie. Déjà sans vie, a-t-il confié au journal local, la Gazette du Val-dOise. Mais pendant plusieurs heures, la famille reste sans nouvelles d’Adama. Elle tentera même de lui apporter un sandwich, sans savoir que les pompiers, appelés en urgence, ne sont déjà pas parvenus à le ranimer.
« Le sandwich, c’est une anecdote mais c’est très révélateur », fait valoir l’avocat de la famille Traoré, Me Frédéric Zajac, à Marianne. « Il y a un vrai problème de confiance », déplore-t-il. Pourquoi la famille n’a-t-elle pas été aussitôt prévenue ? Pourquoi n’a-t-elle pas pu voir le corps dès les premières heures à la gendarmerie ? Pourquoi le procureur a-t-il seulement mentionné dans son communiqué « l’infection grave » et non le fait que le médecin légiste n’ait pas été capable de se prononcer sur les causes exactes du décès ? De nombreuses interrogations demeurent ainsi pour Me Zajac, qui a d’ores et déjà demandé une contre-autopsie.
La voix rauque, presque inaudible, Assa, la soeur d’Adama, ne se fait toutefois pas d’illusions. Pour elle, il ne fait aucun doute : son frère était victime d’un « acharnement. » « Systématiquement, quand il y avait une histoire avec un noir, c’était Adama et les Traoré que les gendarmes venaient chercher », précise-t-elle, évoquant l’utilisation de gros moyens. « Une fois, les gendarmes sont venus à quinze avec le camion et les chiens chez ma mère. Ils sont entrés, ils ont tout retourné, tout saccagé et sont repartis. »
Une utilisation disproportionnée de la force dont témoigneraient par ailleurs, selon la jeune femme, les récentes affaires de son frère, l’acquittement dont il a bénéficié l’année dernière par exemple, alors qu’on l’avait arrêté pour des jets de projectiles. Mais aussi son comportement lorsqu’ils se feront tous les deux agresser, en juillet 2015, à la suite d’un contentieux sur la route. Menacés par un automobiliste muni d’une arme, sous les caméras de surveillance au niveau de l’hôpital de Beaumont, Assa et Adama verront arriver à temps les gendarmes. Mais seule Assa ira porter plainte : « Je ne veux pas aller à la gendarmerie », lui aurait alors dit Adama, « ils vont encore m’enfermer ». « On est une famille très soudée », souligne Assa, « ce qui nous fait mal ce sont les circonstances dans lesquelles la mort d’Adama s’est produite. Sa mort, on l’aurait pleurée avec peine, mais là on pleure avec rage. »
« Il y a un vrai problème de confiance » D’autant que selon Riad, un ami d’enfance d’Adama, les contrôles d’identité incessants ne concernent pas seulement la famille de son ami. Les jeunes du quartier les vivent à présent « au quotidien. » « On se fait toujours contrôler pour rien, regrette-t-il. Avant quand c’était la police, (la gendarmerie a remplacé à Persan la police après une refonte initiée en 2013 par le gouvernement de Manuel Valls, ndlr), c’était différent. Les policiers faisaient leur travail mais ils ne venaient pas pour rien. Et même, au niveau relationnel, ce n’était pas pareil. Là, pour un détail, ils peuvent t’embarquer. Les gendarmes n’ont rien à faire, on est à la campagne ici. Donc ils nous contrôlent… Et quand on leur demande pourquoi ils ne contrôlent pas les blancs, ils ne donnent aucune réponse ».
« La vérité, poursuit Riad, c’est qu’Adama a toujours eu des problèmes avec la justice, pour des bagarres, des vols », mais cela n’explique pas comment « ce costaud de 90 kilos, sportif, qui s’était toujours relevé » des coups, de la vie notamment mais aussi de la prison de Fresnes ou de Bois d’Arcy, a succombé mardi à l’intérieur d’une gendarmerie. « C’est un cauchemar. Adama c’était notre force. S’il ne nous voyait pas pendant trois jours, il nous disait, « alors t’as disparu » ? »
La question de la refonte police/gendarmerie à Persan, Arnaud Bazin, le Président du Conseil départemental (LR) du Val d’Oise, la connaît bien. Elu maire de la commune de 1995 à 2011 après l’avoir ravie aux communistes installés depuis la Libération, ce filonniste n’a, dit-il, « pas constaté de tensions » depuis l’installation des gendarmes. Pour lui, la situation actuelle tient davantange « aux circonstances précises de ce qu’il s’est passé. » La gendarmerie s’étant « vite adaptée » lors de son arrivée, en 2013, et le changement ayant été alors « bien vécu » par la population.
Un avis que partage Fabrice Millereau, ancien maire divers gauche de Beaumont-sur-Oise, qu’il a dirigé pendant 25 ans avant de se retirer en 2014. « J’étais très favorable à l’arrivée des gendarmes, notamment parce que ça signifiait des moyens supplémentaires », nous explique-t-il. « Beaumont est globalement une ville coupée en deux, avec des quartiers résidentiels à l’ouest », plus aisés, « et des logements sociaux construits où il restait de la place, dans l’est de la ville », où vit une population plus fragile. « Au cours de mon mandat, bien que je sois parti un an seulement après l’arrivée des gendarmes, je n’ai pas eu de retours négatifs », assure-t-il.Des nuits de violences « inacceptables » et deux enquêtes
« Les gendarmes sont des militaires, ils répondent à des procédures », rappelle l’association professionnelle de gendarmes GendXXI. « Une interpellation dans le cadre d’une enquête est toujours préparée. Une mort survenue en opération est par conséquent un drame pour la famille et les gendarmes », réagit Kevin Jorcin, l’un des vices présidents de l’association, auquel les éléments concernant les circonstances entourant la mort d’Adam Traoré n’ont cependant pas été transmis et sur lesquels il ne peut donc pas se prononcer. GendXXI déplore cependant les nuits de violences « inacceptables » qui ont suivi le drame, les tirs entre autres de mortiers artisanaux, de chevrotine et d’arme à plomb qui continuent de viser les gendarmes, dont plusieurs ont été légèrement blessés. L’association réaffirme également son soutien total aux effectifs qui feront, rappelle-t-elle, l’objet de deux enquêtes distinctes menées par la section de recherches et l’inspection générale de la gendarmerie.
Au sujet des contrôles répétés voire au faciès, ceux-ci répondent selon GendXXI toujours à un cadre légal, motivé soit par le constat d’une infraction, soit par une demande du procureur, soit dans un cadre administratif. « Lorsqu’il y a un seuil d’infraction dans un secteur particulier, comme des vols commis dans une rue entre 23h et 3h du matin, les gendarmes peuvent procéder à des contrôles dans le cadre de la prévention ». Or à cette prévention « s’ajoute actuellement l’état d’urgence », souligne Kevin Jorcin. « Les jeunes se plaignent de contrôles toutes les semaines, mais ça devrait être tous les jours. »
Contactée, la gendarmerie de Persan n’était quant à elle pas habilitée à communiquer. Son référent, le groupement de gendarmerie de Pontoise, n’a pas répondu à nos sollicitations. Non loin, à Champagne, Beaumont, les amis, proches, et anonymes continuent d’affluer au domicile de la famille Traoré, où l’on reçoit les nombreuses condoléances, après les premiers jours de deuil et de soupçons.
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