Attentat de Nice : l’état d’urgence en garde à vue

L’état d’urgence, dont François Hollande a annoncé ce vendredi la prolongation pour trois mois, est au centre des débats à la suite de l’attentat qui a coûté la vie à plus de 80 personnes à Nice ce jeudi 14 juillet. Son efficacité ou non, la possibilité de l’améliorer voire d’un « état d’urgence permanent » : la mesure divise la classe politique.

Au lendemain de l’attentat qui a coûté la vie à plus de 80 personnes à Nice, François Hollande a annoncé ce vendredi 15 juillet la prolongation pour trois mois de l’état d’urgence, en vigueur depuis les attaques du 13 novembre 2015 à Paris. Cette annonce intervient alors que le dispositif devait prendre fin à l’issue du tour de France, le 26 juillet prochain. Sautant sur ce revirement provoqué par les circonstances dramatique, plusieurs politiques ont remis en question l’action du gouvernement, non sans parfois une certaine mauvaise foi.

« Si l’heure n’est pas à la polémique, je me pose bien sûr des questions… Pourquoi l’Etat a-t-il annoncé hier à midi la levée de l’état d’urgence et décidé hier soir qu’il faut le prolonger de trois mois ? » s’est interrogé le président LR de la région Paca et ancien maire de Nice, Christian Estrosi, quelques heures après l’attentat qui répondait à sa question.

Un état d’urgence permanent ?

« La menace, elle est permanente« D’autres ont poussé ce raisonnement plus loin, appelant carrément à l’instauration d’un état d’urgence permanent. « Nous devons être dans un état d’urgence permanent parce que la menace, elle est permanente, elle est maximale« , a ainsi déclaré ce vendredi matin sur France Info le président du conseil départemental des Alpes-Maritimes Eric Ciotti (LR), alors que le député Olivier Falorni (ex-PS) livrait la même analyse sur RTL. 

Une question que le gouvernement pensait avoir déjà réglée avec la loi contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, promulguée le 3 juin dernier et qui était censée avoir doté « l‘arsenal de répression » français « des outils qui lui manquaient« , selon le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas. Cette loi, qui prévoit notamment la mise en place d’une rétention de quatre heures à l’issue d’un simple contrôle d’identité de toute personne soupçonnée de participer à une activité terroriste, ou l’assouplissement pour les forces de l’ordre de l’usage de leur arme, devait permettre à la France d’affronter la menace terroriste en dehors du cadre juridique d’exception qu’est l’état d’urgence.

L’efficacité peu convaincante du dispositif

L’analyse de ceux qui proposent un état d’urgence permanent fait peu cas des conclusions de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2015, présidée par le député Les Républicains Georges Fenech. Son rapport, publié pas plus tard que le 5 juillet dernier, reconnaissait « qu’au soir du 13 novembre, l’état d’urgence se justifiait pleinement » mais pointait le caractère inopérant du dispositif sur le long terme.

Les témoignages recueillis par la commission d’enquête avaient ainsi mis en avant que l’effet de la possibilité de « fixer » des individus grâce aux assignations à résidence, et ainsi d’empêcher « la tenue de réunions conspiratives« , s’était « rapidement amenuisé« , tout comme « l’effet déstabilisateur » qu’avaient eu les perquisitions « menées massivement dans les 1ers jours« . Soulignant le nombre dérisoire de saisines du parquet antiterroriste permises par ces perquisitions administratives (6 saisines, contre 96 ouvertes sur la base de procédures exclusivement judiciaires), la commission avait mis en avant que « les mesures prises pendant l’état d’urgence n’ont pas été évoquées par les spécialistes de la lutte contre le terrorisme comme jouant un rôle particulier dans celle-ci« .

« L’état d’urgence est une réponse politique à une angoisse »De telles conclusions interrogent forcément sur l’opportunité de prolonger un tel dispositif, d’autant plus au regard du mode opératoire utilisé pour l’attentat de jeudi soir, et sachant que son auteur n’avait pas été repéré par les services de renseignement. « L’erreur, c’était de maintenir cet état d’urgence depuis le début puisque la preuve de son impuissance a encore été révélée hier« , a estimé Jérôme Karsenti, avocat pénaliste au barreau de Paris, au micro de France Info ce vendredi matin. « L’état d’urgence n’a pas empêché cet attentat et n’aurait pas pu l’empêcher, a-t-il encore martelé. En réalité, l’état d’urgence est une réponse politique à une angoisse qui étreint les Français, au sentiment de peur qui nous anime, mais n’est pas une réponse à la lutte contre le terrorisme« .

La tentation de la récupération politique

Après avoir, à rebours des premiers éléments révélés par l’enquête, qualifié l’attaque de Nice de « prévisible« , le président de la commission d’enquête parlementaire Georges Fenech, qui avait fustigé le dédain de Bernard Cazeneuve pour les conclusions de son rapport, n’a pas manqué l’occasion d’entonner ce vendredi la vieille rengaine du « je vous l’avais dit », confirmant sur BFMTV que selon lui l’état d’urgence n’est pas la bonne réponse : « J’entends aujourd’hui l’annonce de quelques mesures par le président de la République, notamment l’état d’urgence. Mais on voit bien que l’état d’urgence, qui est en ce moment appliqué, n’empêche pas ces actions« . L’ambiguïté de la droite, réclamant à la fois plus d’état d’urgence tout en fustigeant son inutilité, a été assez bien résumée dans la journée par le maire de Béziers Robert Ménard, tweetant à quelques heures d’intervalle ces deux messages contradictoires :

Une ambivalence que l’on a retrouvée au sujet de la dernière disposition principale permise par l’état d’urgence : l’interdiction des rassemblements. « Force est de constater que nous n’avons pas les moyens d’assurer la sécurité des grands rassemblements, partout et tout le temps », a souligné ce vendredi François Fillon qui se disait déjà, le 10 avril dernier en parlant de Nuit Debout, « profondément choqué qu’on ait d’un côté l’état d’urgence, et que de l’autre on tolère ce type de rassemblement« . De son côté, Christian Estrosi avait soutenu en juin le préfet de Paris quand celui-ci avait interdit une manifestation contre la loi Travail, dénonçant une « attitude dangereuse et irresponsable ». Mais quand il s’est agi des « fan zones » pour l’Euro de football, comme chez Alain Juppé à Bordeaux, ou des rassemblements pour la Fête nationale, auxquels Christian Estrosi et Eric Ciotti participaient justement jeudi soir à Nice, on a moins entendu la droite maugréer contre une violation de l’état d’urgence.

 


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