Municipales en Italie : le Mouvement 5 étoiles doit déjà faire sa révolution

Avec les résultats historiques obtenus par ses champions à Rome et à Turin, le Mouvement 5 étoiles fondé par Beppe Grillo affronte le second tour de ce dimanche 19 juin avec sérénité. Mais déjà, l’héritage du Père fondateur interroge les cadres du mouvement, qui s’engagent sur la sensible voie du compromis…

A moins d’un coup de théâtre pour le moment quasi-improbable, Virginia Raggi, du Mouvement 5 étoiles (M5s), arrachera la mairie de Rome au Parti démocrate ce dimanche 19 juin, profitant d’un ballotage qui lui est largement favorable. A Turin, le scénario pourrait être identique : le maire sortant Piero Fassino, du Parti démocrate, ayant devancé la candidate du M5s, Chiara Appendino, de seulement quatre points au premier tour. « C’est un résultat historique, la révolution gentille est en marche. Les Italiens ont estimé que nous sommes capables de gouverner. Courage !« , s’est immédiatement exclamé Luigi Di Maio, vice-président du Parlement et membre influent du directoire du M5s, composé de cinq parlementaires.

Pour le « résultat historique », c’est vrai. Mais pour la « révolution gentille », le mot fait tiquer compte tenu de la philosophie du mouvement qui multiplie les expulsions, fait signer un contrat à ses candidats prévoyant une amende de 150.000 euros pour les dissidents et contrôle les activités de ses élus. Un exemple ? Pour pouvoir participer à la course à la mairie de Rome, Virginia Raggi s’est engagée par écrit à faire approuver toutes ses décisions par Beppe Grillo, comique et fondateur du Mouvement, en cas de victoire électorale. « Le mouvement est militarisé. Les activités des parlementaires sont contrôlées, il y a eu d’ailleurs une discussion au Parlement à ce propos. La plupart plient la tête par peur, d’autres jettent l’éponge. C’est le cas d’un tiers des parlementaires élus en 2013, qui ont préféré rejoindre le groupe mixte », assène Paolo Romani, ancien ministre du Développement économique du gouvernement Berlusconi.

L’ombre de Beppe Grillo

Ces méthodes répressives ne font visiblement pas reculer l’électorat italien, qui a décidé de secouer le cocotier en permettant au M5s de s’enraciner dans le panorama politique. « Aux municipales, le mouvement a su exploiter le malaise des électeurs, notamment à Rome. Mais selon un sondage publié au lendemain du premier tour, il a perdu plus de 4 points au niveau national depuis les législatives de 2013. Redimensionnons les résultats ! », s’énerve la députée démocrate Sandra Zampa. Soit. Mais ce résultat marque une étape importante pour le M5s et tous les partis politiques qui vont devoir changer de stratégie. « Les grands partis politiques ont perdu leur capacité d’enracinement sur le territoire. Dans certaines zones, le Parti démocrate a quasiment disparu du paysage politique et le Mouvement profite de ce contexte pour coloniser les zones abandonnées », explique le politologue Alessandro Campi.

« Une nouvelle forme de populisme »Coloniser les zones abandonnées, cela veut surtout dire effacer les clivages politiques pour récupérer des voix toutes tendances confondues. Une technique que le mouvement, et surtout les nouvelles recrues, manient désormais à la perfection. « Le M5s représente une nouvelle forme de populisme, il est le défenseur populaire. Il ne se pose jamais sur un terrain explicitement de droite ou de gauche et tient toujours un discours double sur les questions importantes », analyse Antimo Luigi Farro du Centre d’analyses et d’intervention sociologiques (Cadis). C’est le cas par exemple du maintien de la péninsule dans la zone euro, une question que le M5s propose de soumettre aux Italiens en organisant un référendum. « Une victoire au référendum sur le Brexit renforcerait les positions du mouvement, qui réclame l’abandon de la monnaie unique », affirme le professeur Farro.

La coûteuse voie du compromis

Comme la droite et la gauche, le Mouvement 5 étoiles est aujourd’hui à la croisée des chemins. Mais si la situation est différente pour les partis traditionnels qui doivent se réinventer, la formation de Beppe Grillo doit en revanche se consolider et régler la question des contractions internes. Le prix à payer pour réussir à occuper sur le long terme l’immense vide politique qui s’est créé autour des partis. Lors de leur arrivée sur la scène politique, les membres du Mouvement se sont présentés comme les représentants de l’anti-établissement. Une force antagoniste partisane de la démocratie directe et contraire à toute forme de compromis avec les partis politiques.

Gérer l’après-Grillo« Si le mouvement veut démontrer ses capacités de bon gestionnaire, notamment si sa candidate remporte la mairie de Rome, il va devoir modifier ses relations avec le Parti démocrate qui a les clefs du Trésor public. Mais la voie du compromis est coûteuse », analyse Umberto Bossi, fondateur de la Ligue du Nord. Il y a aussi la question du vernis, le mouvement devant jeter aux orties ses oripeaux de pasdarans, son langage agressif et adopter aussi des discours constructifs, notamment en termes de propositions. Il doit aussi en finir avec l’obstructionnisme systématique au Parlement et au contraire composer, ce qui ne veut pas dire renoncer à ses convictions. Une opération plus facile après la mort du gourou du Mouvement en avril dernier, le communicant Giancarlo Casaleggio qui annonçait l’avènement en 2040 d’une civilisation venue de la planète Gaia.

Reste le « problème Grillo ». Mais son absence de la scène politique durant les derniers mois fait envisager une sorte de mise à l’écart. « Ils ont fait disparaître Beppe Grillo pendant toute la campagne électorale, cela a porté ses fruits et c’est un indicateur important », estime Antimo Luigi Farro. Toutefois, même si le trublion a officiellement pris un peu de distance avec la politique, il est toujours le garant et le juge suprême qui agite sa hache sur son blog pour faire taire les dissidents.

Pour Alessandro Campi, la transformation a déjà commencé et le mouvement affronte l’après-Grillo. « Le mouvement a changé en profondeur, la mort de Casaleggio a été un passage essentiel qui permettra sur le moyen terme de renforcer le processus de restructuration du mouvement », estime ce politologue. La mutation a commencé l’an dernier avec la mise en place d’un véritable organigramme, la nomination d’un directoire et l’arrivée d’une classe dirigeante. Autre symptôme important de cette nouvelle phase : l’abandon du recours systématique aux sympathisants à travers le réseau, l’instrument de communication du M5s pour leur demander d’approuver ou de rejeter les projets de lois et les nominations.

« Le mouvement peut continuer comme cela a été le cas depuis 2013, de faire levier sur la colère et le dégoût des électeurs mais c’est une stratégie perdante sur le long-terme », assène l’ex-sénateur démocrate et communicant Silvio Sircana. La modération, une tactique que Luigi Di Maio a fait sienne. Ce jeune Napolitain audacieux au physique de jeune premier très années trente, qui rêve de détrôner le président du Conseil Matteo Renzi, est partout. Durant un voyage officiel à Londres en avril dernier, à titre de numéro deux du Parlement, il a rencontré les représentants des deux principaux partis britanniques, soigneusement évité Nigel Farage leader de l’Ukip et discuté avec quelques journalistes de The Economist et du Financial Times. Et avant de rentrer sur Rome, Luigi Di Maio a fait un détour par Paris et Berlin. Du petit lait pour le Mouvement, du poison pour les autres partis.

 


 

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