Dans ce pays, dirigé par le Parti social-démocrate, qui prendra la présidence de l’Union le 1er juillet prochain, une formation europhobe, xénophobe, ultranationaliste et nostalgique du IIIe Reich gagne du terrain sur les partis traditionnels… Reportage.
En ce week-end morne et pluvieux d’avril, il n’y a pas âme qui vive sur l’immense place Renaissance et baroque de Banska Bystrica, fief du néonazi relooké Marian Kotleba, dont le Parti populaire-Notre Slovaquie (LSNS) a fait une entrée remarquée au Parlement slovaque en mars dernier, avec 8 % des suffrages. Pas un magasin n’est ouvert ce samedi après-midi, dans cette coquette ville de 79 000 habitants, située à 200 km au nord-est de la capitale Bratislava, où naquit, il y a soixante-douze ans, le soulèvement national slovaque (SNP) contre Hitler et son confetti local, l’Etat clérico-fasciste de Mgr Tiso (1939-1944). C’est sur cette place, dans un imposant bâtiment jaune, que siège l’administration de la région de Banska Bystrica (653 000 habitants), dirigée depuis 2013 par Marian Kotleba. Un drapeau slovaque est fièrement planté au centre de sa façade, qui porte sur son flanc une plaque rappelant la visite de Jean Paul II, en 2003. En revanche, pas un drapeau européen, alors que la Slovaquie doit prendre la présidence de l’Union le 1er juillet. Nostalgique revendiqué du IIIe Reich, Kotleba est un pourfendeur déclaré de cette Europe dont il se plaît à dénoncer les « diktats de Bruxelles ». Il n’apprécie pas non plus le souvenir du SNP, qui permit pourtant de ranger cette petite République alliée de Hitler dans le camp des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. « Le SNP a signifié la fin de notre Etat slovaque indépendant », a ainsi déclaré le gouverneur de Banska Bystrica.
« Terreur tsigane »
Kotleba, 39 ans, regard bleu acier, cheveux ras et fine moustache, dissimule à peine son passé. Kotleba, 39 ans, toujours souriant, regard bleu acier, costume épousant ses muscles de culturiste, cheveux ras et fine moustache, dissimule à peine son passé. Ce temps récent où, adepte des rixes de skinheads, il terrorisait avec ses sbires la population tsigane dans les villages, en paradant en uniforme noir, rappelant furieusement ceux de la garde Hlinka, nervis de l’Etat pronazi. Natif de Banska Bystrica, l’ancien videur puis professeur d’informatique a changé de look à la suite de l’interdiction, en 2006, de sa formation politique, Slovenska Pospolitost, qui prônait le renversement des institutions démocratiques… Mais il se fait toujours appeler vodca (« Führer » en slovaque) par ses fidèles, qui se saluent d’un « Na straz ! », l’équivalent local de « Heil Hitler ! » Et s’il a troqué l’uniforme contre un costume, ses troupes ont juste enfilé des tee-shirts kaki au nom du parti, et arpentent, crâne rasé et muscles saillants, les couloirs des trains de la région pour « surveiller » les Tsiganes ! Kotleba, relooké, reste inchangé : dans sa région symbole de la résistance aux nazis, où plusieurs villages furent rayés de la carte et leur population massacrée à l’instar d’Oradour, il évite soigneusement, comme ce fut le cas à Kremnicka, les cérémonies d’hommage aux victimes du nazisme. Il tient, au contraire, à consacrer une minute de silence à la mémoire des Allemands des Carpates tombés pendant la guerre, et non aux victimes de l’autre bord, comme à Zarnovica.
Cette attitude fait bondir le directeur du musée du SNP, un imposant bâtiment en béton érigé en 1955. « Comment peut-on se prétendre patriote quand on vénère un Etat fantoche mis en place par Hitler ? » tonne Stanislav Micev, attablé à la buvette du musée qu’il dirige depuis dix ans. Cet historien, qui est un des premiers à avoir qualifié Kotleba de « fasciste », se démène aujourd’hui pour éclairer la population : « Les jeunes ne veulent pas croire qu’il est fasciste. Ils vous disent qu’il veut juste rétablir l’ordre. Mais détruire, la démocratie pour faire de l’ordre, c’est justement cela, le fascisme, et on a déjà eu cela ici. »
WatchBBSK a établi que Kotleba a attribué nombre de juteux contrats à des proches.Une vingtaine d’activistes ont créé l’association WatchBBSK, pour étudier les dérives du Führer local, désormais député au Parlement. Ils publient chaque année un rapport sur sa gestion, démontrant combien il a échoué à remplir ses promesses électorales. En guise de rétablissement de l’ordre et de lutte anticorruption, le nouveau gouverneur a commencé par limoger les cadres de l’équipe précédente et placer ses proches, notamment ses deux frères et son épouse ! Grâce à une loi de transparence rendant obligatoire la mise en ligne de tous les contrats publics, WatchBBSK a établi que Kotleba a attribué nombre de juteux contrats à des proches. « Nous avons parcouru la région et interrogé beaucoup de responsables : partout les avis sont négatifs à son sujet, les gens utilisant souvent le mot « catastrophe » », note Ingrid Kosova, l’un des piliers de l’association, directrice de l’école maternelle Montessori. Elle considère « qu’un homme avec un tel passé n’aurait jamais dû accéder à une fonction publique, d’autant qu’il n’en a pas les compétences ».
Selon elle, « il a juste utilisé ce poste comme marchepied pour accéder au Parlement ». Sa stratégie, poursuit-elle, a été d’éviter la confrontation. Ainsi, on ne l’entend plus parler publiquement de « parasites tsiganes », mais de « parasites dans leurs campements ». Sommet du cynisme, il a même « récemment commencé à les qualifier d' »extrémistes », en réaction aux accusations d’extrémisme à son encontre », s’étrangle Kosova ! Enfin, Kotleba esquive systématiquement la presse mainstream nationale ou internationale, qu’il considère à raison comme hostile, et n’accorde d’entretiens qu’aux médias amis, et surtout à Slobodny Vysielac (« l’Emetteur libre »), ainsi nommé en référence moqueuse à la Radio Londres, pendant la Seconde Guerre mondiale. Installée à deux pas du musée du SNP, cette radio adepte des théories conspirationnistes, chante ses louanges à longueur d’émission. Pis, la gazette régionale, publiée aux frais du contribuable et distribuée chez tous les habitants, fait elle aussi activement sa propagande. Ainsi un article justifie l’arrêt des subsides à l’ONG Stop à l’extrémisme, qui finançait des représentations de marionnettes dans les écoles : le projet avait le tort de « considérer comme extrémiste tous ceux qui se permettent de critiquer ouvertement la terreur tsigane ou les défilés pervers d’homosexuels ».
Nouveau Robin des bois ?
« Nous nous efforçons d’ouvrir les yeux des jeunes, dans les écoles et les autres lieux qu’ils fréquentent. Mais, dès qu’ils se retrouvent entre eux, ils ricanent et en disent du bien, comme si c’était le nouveau Robin des bois », se désespère Rado Sloboda, jeune libraire et activiste du WatchBBSK, qui souligne que le chômage atteint 18 % localement. « Le rejet du parti Smer-SD du Premier ministre, Robert Fico, est tel que beaucoup voteraient pour un tas de pommes de terre contre lui ! » soupire-t-il. En 2013, lors des régionales, Fico n’avait pas daigné venir soutenir son candidat entre les deux tours, estimant que « même un tas de pommes de terre » l’emporterait contre Kotleba. Résultat, ce dernier a triplé son score et avec 55 % des voix a écrasé le gouverneur sortant.
L’extrême droite a le vent en poupe, en Europe et dans la régionDans la salle de l’opéra municipal, bâti en 1949, a lieu la première de Visages muets. Les cris dans le silence, un ballet de Dana Dinkova contre le harcèlement moral et physique des jeunes. Le public, qui réunit une bonne partie de l’intelligentsia locale, applaudit frénétiquement avant de regagner ses foyers. Parmi eux, Zuzana Duricova-Hajkova, directrice du centre chorégraphique de Banska Bystrica, Divadlo Studio Tanca, qu’elle a fondé en 2004, victime directe de Kotleba qui l’a privée de sa subvention, pourtant attribuée par le ministère de la Culture. « La région s’est bien gardée de nous prévenir à temps. Si bien que nous avons dû, l’an dernier, annuler au dernier moment la 11e édition de notre festival international », s’indigne-t-elle. Cette année, le ministère a changé ses procédures, pour verser directement la subvention. Entre-temps, l’infatigable Kotleba s’est choisi une nouvelle tête de Turc. Alors qu’il assistait à une représentation du Théâtre de Brezno dans les environs de Banska Bystrica, en mars dernier, il faisait à nouveau scandale en l’interrompant, la jugeant « vulgaire ». Sa dernière cible en date est une école de la région, qui avait eu l’audace de vouloir déguiser en fille un garçon. Les réseaux sociaux se sont déchaînés contre elle, accusée d’encourager la perversion !
« Toute publicité est bonne à prendre », commente laconiquement le jeune Daniel Milo, chargé de la lutte contre l’extrémisme au ministère de l’Intérieur, à Bratislava. Notant que l’extrême droite a le vent en poupe, en Europe et dans la région, il souligne néanmoins la spécificité de Kotleba qui se réclame d’un Etat nazi.
Selon lui, les 210 000 électeurs, en majorité jeunes, qui ont voté LSNS aux législatives de mars risquent de voir leurs rangs encore s’étoffer. Alors que le Premier ministre, Robert Fico, fait campagne contre les migrants et que les affaires de corruption s’accumulent, Kotleba parcourt le pays, écoute les gens et leur promet des solutions. « Ses électeurs sont des gens qui voient dans leur entourage des problèmes avec les Roms, ou sont frappés par le chômage, les antisystèmes frustrés par l’Etat, qu’ils considèrent comme corrompu et impuissant, et les jeunes qui votent pour la première fois, énumère l’expert. Kotleba est jeune, à leur image, et à leur écoute. » Jusqu’où ira-t-il ?
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