L'après-Orlando

Après l’attentat d’Orlando, être gay ne se vivra plus de la même manière, car les homosexuels savent désormais qu’il n’existe nul endroit où ils puissent se penser protégés.

«Fusillade dans une boîte d’Orlando.» Ce dimanche 12 juin, l’immense majorité des médias français relayaient le drame sous cette forme alors que, dans les autres pays occidentaux, on titrait, depuis longtemps, sur «l’attentat dans une discothèque gay». Le plus glauque est que c’est sans doute le nombre des victimes qui a dessillé les yeux de certains confrères. Apparemment pas de tous, car le lendemain matin la totalité des quotidiens de l’Hexagone – à une ou deux exceptions – présentait la tragédie en occultant sa nature homophobe. Une prudence dictée par les débuts de l’enquête ? Dommage alors que ce souci ne s’impose pas à chaque fois que survient un événement de cette nature.

Deux poids, deux mesures. On ne s’étonnera pas que l’UEFA ait jugé «irréaliste», ce dimanche et ce lundi, de rendre hommage aux 49 victimes. L’organisation avait pourtant jugé réaliste – à juste titre – de permettre une minute de silence en hommage aux victimes des attentats de Bruxelles. Comme si la visibilité du caractère homophobe du crime commis lui enlevait d’un coup son caractère universel ignorant la fameuse phrase de Kafka : «Celui qui frappe un juif frappe l’humanité tout entière.»

Les gays veulent être considérés comme des citoyens à part entière

Dès lors, n’est-il pas pour le moins incongru de demander aux homosexuel(le)s d’arrêter de penser en termes de communauté ? Notons, au passage, que l’injonction émane souvent de ceux qui, eux, ne pensent qu’en ces termes quand des proches sont assassinés. Et cette réaction est bien normale. J’ignore s’il y a une ou des communautés homosexuelles, ce que je sais, en revanche, c’est que dans leur immense majorité les gays sont étrangers au communautarisme et communient dans l’universalisme. Parce que – à l’inverse de ce qu’ont répété les propagandistes tradismatiques -, ils ne réclament pas des droits pour eux seuls. Non. Ils demandent tout simplement les droits de tous et de toutes, ils veulent être considérés comme des citoyens à part entière et non de seconde zone, la nuance est ici de taille.

Ce que je sais aussi, c’est que, depuis ce dimanche 12 juin, être homosexuel(le) ne se vivra plus de la même manière parce que s’est installée désormais la claire conscience que cette communauté est une des cibles principales de ce totalitarisme primitif qui vient.

Des politiques auront nié l’homophobie de l’acte

Alors, oui, il y aura un avant – et un après – Orlando, et un pendant aussi durant lequel des politiques auront nié l’homophobie de l’acte mais aussi son lien avec l’islamisme. On aura même entendu des experts en expertologie s’interroger afin de savoir s’il s’agissait d’un acte terroriste ou homophobe ou si l’assassin était un homo refoulé ou un djihadiste ! Quelle différence pour ces existences détruites dont le seul crime était de vivre et non de se mortifier en attendant l’hypothétique futur promis par un ami imaginaire ? Espérons que cet après-Orlando ne soit pas tissé de solitude parce que ce dimanche 12 juin, au-delà de la compassion ou de la tristesse, les homosexuel(le)s ont ressenti combien, à ce grand banquet social, ils ne sont finalement que des invités en bout de table.

«Les vrais amis qui deviennent la famille.» Telle est la dernière publication Facebook de Luis S. Vielma, 22 ans, assassiné. Je voudrais juste m’arrêter sur ce que nous dit ce statut au-delà de la convivialité du propos. Il nous dit que l’homophobie qui règne non seulement aux Etats-Unis mais aussi partout dans le monde, fortifiée par cette pandémie politique qu’est l’identitarisme, oblige souvent les homosexuel(le)s à se choisir ou construire une autre famille. Un dramaturge québécois, Michel Marc Bouchard, a écrit : «Avant d’apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir.» Pour se protéger notamment de la surexposition au risque suicidaire.

Vouloir construire une famille n’est pas un caprice, comme on l’a maintes fois suggéré lors du débat sur la loi Taubira. C’est, aussi, le désir de trouver une protection. A cet égard, la boîte gay où a eu lieu le massacre, The Pulse, voulait être cela très prosaïquement, «un foyer pour les sans-famille», comme l’écrit Richard Kim, éditorialiste à The Nation dans Libération. La propriétaire avait créé ce lieu en mémoire de son frère mort du sida pour offrir un refuge aux réprouvés. Par une cruelle ironie, les gays qui s’y trouvaient se considéraient à l’abri. Après Orlando, ils savent qu’il n’existe nul endroit où ils puissent se penser protégés.

De fait, nous voulons tous croire à un «après-Orlando» et que nous ne sommes pas condamnés à revivre ce massacre encore et encore. Et si c’était là une illusion ? Et si, à l’exemple de l’attentat de Sarajevo, celui perpétré en Floride produisait des résultats en chaîne ? Premier ébranlement : l’éventuelle victoire de Donald Trump, ce suprémaciste, sombre héraut de l’Amérique bigote, prêt à faire don de son corps aux gays qui n’en demandent pas tant. La secousse qui s’est produite ce dimanche 12 juin est tellurique. Nul n’en mesure encore les conséquences et bon nombre de nos politiques préfèrent courir dans tous les sens, considérant sans doute que de l’agitation naît l’action. Or, ne pas prendre le temps de réfléchir, de se poser, c’est ne pas vouloir décider et prendre le risque, au-delà des postures et des coups de menton, de voir se répéter à l’infini le même scénario fatal. Car c’est justement là que s’installe la terreur distillée par Daech aujourd’hui et demain par une autre organisation islamiste : l’idée qu’il n’y ait pas d’après, mais que nous devions vivre un présent perpétuel lové dans les entrailles de l’horreur.


 

>>> Cet éditorial est paru dans le numéro de Marianne en kiosques, en vente de ce vendredi 17 au 30 juin inclus.

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