Entre monstre et monument, pour ou contre Robespierre ?

Une élue a présenté un vœu au Conseil de Paris pour baptiser une rue de la capitale du nom du révolutionnaire. Personnage central et ambigu du dernier best-seller policier de Fred Vargas, assassin sanguinaire dans un blockbuster mondial du jeu vidéo, et, bien sûr, sempiternel objet du débat politique français, Robespierre est, de toutes les figures historiques, celle qui suscite le plus de passions contraires.

Danielle Simonnet, élue parisienne du Parti de gauche, a présenté mardi 14 juin au Conseil de Paris un vœu appelant à « donner le nom de Robespierre à une rue, une place ou un autre lieu à Paris ». Mais la proposition a été rejetée, seuls le groupe communiste et quelques élus socialistes ayant voté pour. Une tentative similaire avait déjà échoué en 2011. Nous republions à cette occasion un article paru dans nos colonnes le 22 janvier 2016.

La célèbre auteur de roman policier Fred Vargas explique comment, un jour, Robespierre est venu à elle. «Il a déboulé et il m’a dit : « Ce sera moi. » On a discuté. Je lui ai répondu : « C’est un roman policier contemporain, je ne peux pas te prendre, désolée… » Il n’est jamais parti !» On aurait tort de prendre à la rigolade l’entrée par effraction de Maximilien chez la reine Vargas – d’autant que Temps glaciaires, le polar qu’il a squatté de sa jacobine présence, s’est vendu en dix mois à plus de 420 000 exemplaires. Cette Pentecôte littéraire s’entend fort bien : l’Incorruptible est partout, à toutes les sauces, et, en effet, il ne part pas. «Robespierre meurt longtemps», avait ciselé, tout en oxymore, le Journal universel, le lendemain de sa décapitation ; aujourd’hui encore, son spectre hante et électrise le débat national. A Paris, cela fait des années que les autorités envisagent de créer une place Robespierre, reculant à chaque fois par peur du tollé (en 2011, Anne Hidalgo, encore première adjointe au maire, s’y était opposée, en raison d’une «absence de consensus»). A Marseille, en revanche, c’est la menace de débaptiser une place à son nom qui a suscité l’émotion : un collectif a même été créé pour éviter que ne se produise «un nouveau complot visant à effacer de l’Histoire un de ses plus éminents acteurs».

L’effacer ? Cela ne risque pas… Avant d’inspirer le best-seller policier français de 2015, Maximilien avait incarné, en 2014, le méchant sanguinaire et charismatique dans le jeu vidéo «Assassin’s Creed», et créé, un an plus tôt encore, une formidable bronca quand l’artiste Philippe Froesch, épaulé par le médecin légiste Philippe Charlier, prétendirent reconstituer sa «vraie tête» : pour lui avoir donné le regard dur et avoir parsemé sa peau de cratères, le duo fut taxé d’antirobespierrisme primaire et de révisionnisme contre-révolutionnaire…

Incroyable surface de projection de nos fantasmes

Il est bien normal, en vérité, que Robespierre n’ait pas de visage. L’Incorruptible est avant tout une incroyable surface de projection de nos fantasmes, chacun convoquant à l’envi ses facettes, réelles ou mythologiques, pour exalter l’esprit de la Révolution, ou pour agonir la Terreur. Jean-Luc Mélenchon et Michel Onfray en ont fait, un temps, leur principale source de discorde puis, même, la cause majeure de leur divorce politique, le premier célébrant «notre libérateur», «figure la plus allante de la Révolution», le second vomissant le «massacreur», qui «avait mis toute son intelligence au service des furies de son cerveau reptilien». Franz-Olivier Giesbert a également une opinion «tranchée» sur le petit avocat d’Arras : il ne le supporte pas, et voit dans ce «xénophobe frénétique» le «précurseur du lepénisme».

Une aversion que ne partage en rien Alain Badiou. Le philosophe – qui tient absolument à nous faire prendre les djihadistes pour le nouveau tiers état en révolution contre notre joug blasphémateur – en appelle, à l’inverse, à l’esprit de Robespierre pour contrecarrer les bassesses de Voltaire qui inspirent des revues «obscènes» comme Charlie Hebdo. Dans une tribune au Monde publiée il y a un an, ce marxiste canal victimiste avait vanté «la sagesse de Robespierre quand il condamne tous ceux qui font des violences antireligieuses le cœur de la Révolution et n’obtiennent ainsi que la désertion populaire et la guerre civile». On l’a compris : pour Badiou, Robespierre n’était pas Charlie, et cela le réjouit… Quant au sociologue Michel Wieviorka, il fait du jacobin l’étalon suprême de la radicalité, et décide, sans peur des raccourcis, d’affilier Daech à la «France de Robespierre».

«Robespierristes, antirobespierristes, nous vous crions grâce : par pitié, dites-nous, simplement, quel fut Robespierre», implorait l’historien Marc Bloch… Dans Robespierre, la fabrication d’un monstre*, Jean-Clément Martin, spécialiste de la Révolution française, fait mieux que ça : entremêlant la biographie détaillée de Robespierre au récit érudit de l’époque et de l’Histoire, il met au jour les ressorts et les raisons qui ont conduit à la fabrique d’un mythe. «Ne cherchons pas le vrai Robespierre sous les oripeaux qui le masqueraient, prévient Martin en prologue, mais essayons plutôt de comprendre comment et pourquoi les éléments de sa courte vie ont pu servir à bâtir l’échafaudage proprement monstrueux qui l’a enseveli – et immortalisé, ce qui ne se produisit pas pour ses contemporains.»

*Ed. Perrin, paru le 21 janvier 2016

 


 

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