Un président en short

François Hollande compte bien sur l’Euro 2016 pour redorer son blason. Mais alors que le football n’est qu’un jeu, la politique ne devrait pas en être un. C’est là le drame. Accrochés à des artifices, comme des compétitions sportives, nos gouvernants tentent un temps de masquer leur impuissance aux yeux de ceux qui les ont élus, en enfilant le short. Au risque de finir, in fine, tout simplement en caleçon.

Quand les discussions du café des Sports tiennent lieu de boussole politique, il y a urgence à s’inquiéter de l’état du débat public. Ainsi, il est des conseillers élyséens, des caciques socialistes, et même un ministre, Patrick Kanner, pour estimer que « le président pourra bénéficier [d’un] beau parcours » de l’équipe de France de football à l’Euro. Devant la crise sociale qui persiste, les syndicats qui tempêtent et le peuple qui gronde, l’intéressé a lui-même fui l’Elysée pour se réfugier l’espace d’une soirée non à Varennes, mais à Clairefontaine, le quartier général des Bleus. Rompant le pain avec ses 23 apôtres en survêt, François Hollande leur a délivré son ordre de mission : « Le pays peut être heureux avec vous, alors que nous vivons des difficultés. Nos compatriotes ont envie d’être heureux et fiers. Il faut leur donner ce qu’ils attendent de vous : un esprit collectif, une volonté de gagner ensemble. »

Misère du quinquennat… Ce que ni Jean-Marc Ayrault ni Manuel Valls n’ont réussi à impulser depuis 2012, c’est donc désormais à… Didier Deschamps de le réussir !

Misère du quinquennat. Ce que ni Jean-Marc Ayrault ni Manuel Valls n’ont réussi à impulser c’est à Deschamps de le réussir ! Mais faut-il s’étonner après tout qu’un président en short dans l’opinion remette son destin électoral entre les pieds de millionnaires en crampons ? Au-delà du triste sort de François Hollande, c’est l’ensemble de notre classe dirigeante qui est frappée depuis quelques années par cette « footballisation de l’intelligence et de l’espace public » qui alarme à raison le philosophe Robert Redeker. Cette dérive renvoie, selon lui, à « l’effondrement du niveau intellectuel du pays ». Elle illustre surtout la spectaculaire impuissance de nos gouvernants. Depuis trois décennies, ils contemplent la hausse du chômage comme la montée des eaux de la Seine, avec le même fatalisme de ceux qui ont baissé les bras face à ce qu’ils considèrent comme une calamité naturelle. Et ils s’en remettent à quelques artifices pour tenter de masquer, un temps, leur inutilité aux yeux de ceux qui les ont élus.

La première mise en scène de cet ordre remonte à la Coupe du monde 1998. La transfiguration d’un succès sportif en héroïsation politique d’une France « black-blanc-beur » par le tandem exécutif de l’époque, Chirac-Jospin, n’a pas eu d’effet plus durable que l’édification d’un village Potemkine au temps de Catherine II. Quatre ans plus tard, l’extrême droite accédait au second tour de la présidentielle, sombre perspective qui menace, hélas, de se reproduire l’année prochaine.

Le football n’est qu’un jeu et la politique ne devrait pas en être un. C’est là le drame. Cette inversion de la hiérarchie des normes civiques est largement aussi préoccupante que celle que recèle le fameux article 2 de la loi El Khomri. Elle réduit la chose publique au rang de compétition cynique pour ego boursouflés, et érige à l’inverse la joute sportive en nouveau temple dont les acteurs auraient, selon Manuel Valls, devoir d’exemplarité.

Certes, quand on observe les agissements des Cahuzac, Balkany et consorts, on ne peut pas donner complètement tort à Albert Camus qui professait : « Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois. » Mais c’était le temps d’avant Benzema, Cantona et Ibrahimovic.

Génie de la communication, le géant suédois a balancé cette semaine un entretien-fleuve qui en dit aussi long sur l’air du temps qu’un échange de vues entre Emmanuel Macron et un syndicaliste. La place accordée par un respectable quotidien vespéral aux fantasques élucubrations de l’oracle à la queue-de-cheval et l’écho provoqué par ses propos sont significatifs de notre époque. Car, à lire Ibrahimovic, la politique n’est plus rien, et le marché est tout : un absolu indépassable, et désormais ingouvernable.

Interrogé sur ses revenus, le sportif au salaire de 20 millions d’euros annuels répond : « Beaucoup ou pas, ce n’est pas mon problème. Mon souci, c’est ce que dit le marché. » Avant d’humilier le chef de l’Etat – « Il n’a pas eu la chance de me rencontrer » – et de revendiquer des talents de magicien dont on peine à le croire capable : « Je peux rendre Hollande populaire, si je veux. »

Hollande brisé, Hollande martyrisé, Hollande zlatané… et la politique guignolisée dans une interview boomerang accablante pour tous ces politiques qui prétendent instrumentaliser l’aura du sport business pour leur profit électoral.

Au vu des malheurs qui accablent le chef de l’Etat, ses derniers soutiens se rassureront en exhumant une autre citation d’Albert Camus. En 1957, tout juste nobélisé, l’auteur de la Chute compatissait en ces termes à la grossière erreur d’un gardien de but : « Il ne faut pas l’accabler. C’est quand on est au milieu des bois que l’on s’aperçoit que c’est difficile. » Pas faux, susurre-t-on à l’Elysée. Malgré ce quinquennat en enfer, le chef de l’Etat, grand amateur de ballon rond, a de toute façon confessé ne rien regretter de son lourd destin : « J’ai fait la vie dont j’ai rêvé, j’ai voulu m’engager… et, surtout, je n’étais pas doué pour le foot. » A quoi ça tient, une carrière de président…

Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply