« Le Monde » a eu accès au dossier judiciaire de « l’affaire Preynat », du nom de ce prêtre lyonnais accusé de pédophilie, et qui ne cesse d’horrifier la France depuis quelques mois. Les éléments qu’il publie laissent peu de place au doute. L’Eglise savait mais n’a rien fait pour couvrir les agissements du prêtre.
Voilà six mois que le voile se lève peu à peu. Six mois que “l’affaire du père Preynat”, mis en examen en janvier dernier pour “agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans par personne ayant autorité” livre les rouages de la protection dont a bénéficié l’ecclésiastique pendant plus de vingt ans. D’après les révélations du Monde publiées ce 4 juin, cela fait bien longtemps que l’Église était au courant des agissements de Bernard Preynat.
Ordonné en 1971, il aurait fait part dès sa formation qu’à ses 17 ans, alors “moniteur (…) de centres de vacances”, il allait “caresser dans leur lit” les jeunes garçons. Il suit une psychothérapie comme on le lui demande, mais le vit “mal”. “Le fait d’aller au Vinatier [un hôpital psychiatrique lyonnais] pouvait laisser à penser que j’étais un malade mental”, a-t-il déclaré au juge en janvier dernier.
Les dénonciations seraient survenues dès la fin des années 1970. Le père Preynat évoque lui-même “des caresses, pendant un camp en Allemagne”. Son supérieur, le père Plaquet, lui aurait dit de ne pas recommencer. C’est pourtant le début d’une longue liste d’accusations. Il faut attendre la troisième, en 1990, pour que l’Eglise choisisse de l’écarter. Comme il le déclare lui-même : “On m’avait expliqué le mal que ça pouvait faire aux enfants, (…) mais il n’y avait pas d’autres décisions”.
C’est en 1990 que les choses se corsent pour l’ecclésiastique. Un soir, en rentrant de sa réunion de scouts, François Devaux, 11 ans, fait à ses parents une révélation. “Je crois que le père, il m’aime bien, m’a même embrassé sur la bouche”, explique le jeune garçon. Le père de François demande des explications au prêtre sur le champ. Lors d’un second rendez-vous, organisé en présence de son supérieur, le père Jean Plaquet, ce dernier lâche une remarque déroutante à Bernard Preynat : “Ben alors, tu as recommencé ? Tu sais que si tu étais dans le civil, (…) tu pourrais te retrouver en prison.”
Dix mois plus tard, la situation reste la même. En février 1991, le couple Devaux décide d’envoyer une lettre au cardinal Decourtray, alors que Bernard Preynat s’apprête à emmener la troupe de scouts en camp d’hiver :
« L’Eglise attend-elle qu’il y ait un viol sur un enfant pour commencer à s’inquiéter ? (…) Depuis dix mois [que vous avez été informé des exactions qu’a subies notre fils], nous attendons que l’Eglise prenne enfin ses responsabilités. »
Plutôt que de le dénoncer, on l’envoie au vert, chez les bonnes soeurs, et surtout loin de toute jeune âme. Mais à peine six mois plus tard, Preynat est de nouveau affecté à Neulise, dans la Loire, où il reprend ses activités et où un comité de soutien se forme. En prise avec des lettres peu clémentes de paroissiens qui s’indignent de ces rumeurs, le cardinal Decourtray finit par déclarer : “Il me semble que le Père Preynat pourrait vous le confirmer lui-même.”
Suite à ces dénonciations, le père Preynat aurait servi le même discours au quatre cardinaux qui se succèdent. “Je leur ai expliqué que ce n’était pas des faits isolés qui s’étaient passés une ou deux fois, mais que c’était sur une longue période (…). Il est clair que j’ai parlé d’attouchements sexuels sur des enfants”. Une franchise sans incidence.
En 1992, il reçoit bien des remontrances de l’archidiacre Garbiel Rouillet, qui lui rend régulièrement visite pour “faire le point”. Ses paroles prouvent sa clairvoyance à l’égard du père Preynat :
“Mon cher Bernard, depuis quelque temps, tu prends de plus en plus régulièrement des groupes d’enfants à Neulise, d’autre part, tu as des projets de voyage d’enfants de chœur à Rome. Je me dois de te rappeler fermement que le diocèse exige que tu ne t’occupes pas de groupes d’enfants, garçons, de 8 à 12 ans.”
Suivi par le Père Alberti, spécialiste en la matière, Preynat est furieux et ne comprend pas un tel durcissement. Il a pourtant “un comportement exemplaire, depuis deux ans”.
Arrivé pour sa part en 2002, le cardinal Barbarin a déclaré le 12 janvier dernier à la Radio chrétienne francophone (RCF) qu’il “ne savait rien”. Lors d’un second et dernier entretien à La Croix, il a expliqué qu’il aurait tout appris “au détour d’une conversation” en 2007… Ce qui ne l’a pas empêché de nommer Preynat doyen de six paroisses de la région, en juin 2013. « Il était clair qu’il était en contact avec des enfants. Mais aussi, qu’aucune doléance ne m’est remontée« , admet Mgr Philippe Barbarin, interrogé par la police à l’automne 2015. François Devaux, aujourd’hui président de La Parole libérée, association des victimes, a porté plainte le 4 mars contre le cardinal Barbarin pour « non-dénonciation d’actes de pédophilie ». Une soixantaine d’adultes se seraient depuis manifestés, évoquant des attouchements, voire des viols.
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