Dans son nouveau livre, « Le silence de mon père », Doan Bui, grand reporter à l’Obs, prix Albert Londres en 2013, revient sur ses origines vietnamiennes et son identité française, son histoire en somme, après avoir parcouru le monde à la recherche de celle des autres. Entretien.
Sur le papier, l’identité se résume à bien peu de choses. Elle ne regarde que le présent, où ce qu’elle en a gardé. En réalité, Doan Bui, ne s’appelle pas Doan. Car au Vietnam, le prénom est « accessoire ». Là bas, l’identité se décline en donnant « d’abord son patronyme » – Bui – « marque d’appartenance à un clan » – puis le nom de la mère – Doan – et enfin le prénom, Thuy.
Bui Doan Thuy a donc 40 ans. Elle a quitté le Vietnam à l’âge de trois ans, avec ses parents. La petite famille s’est alors installée dans un pavillon neuf, au carrelage neuf et aux murs blancs de la banlieue du Mans. Bui Doan Thuy, naturalisée dès son plus jeune âge, est devenue Française. Elle est devenue Doan Bui : élève brillante, scolarisée dans une école privée catholique, petite fille modèle comme celles imaginées par la Comtesse de Ségur que Doan découvre et adore.
Montée plus tard à Paris, où elle exerce aujourd’hui encore le métier de journaliste, Doan Bui rencontre bientôt le succès, remporte le prestigieux prix Albert Londres pour une série de reportages sur les candidats à l’exil. A l’image de « 300561a », cet « individu de sexe féminin, de 20 à 30 ans » morte d’hypothermie, le 1er février 2013, après avoir traversé et « vaincu » le fleuve Evros [qui sépare la Grèce et la Turquie]. Comme son père en outre, anatomiste « taiseux » arrivé en France par avion, avant la chute de Saïgon en 1975.
Mais jusqu’en 2005, Doan Bui ne connaît rien du passé de son père, de cet étranger qui s’est si longtemps assis à sa table. Alors cette année-là, alors qu’elle s’apprête à son tour, et pour la première fois, à donner la vie, alors que son père, devenu aphasique suite à un AVC, ne peut plus parler, Doan Bui décide de chercher. De revenir sur le silence et les non-dits de son enfance, sur ses propres fantômes, l’immigration, la honte, la perte, le deuil. Et les secrets, nombreux, enfouis il y a plusieurs décénnies déjà dans la mémoire d’une terre communiste, viet minh, par les Bui, une famille qui en France a toujours voté Chirac. Une (en)quête fragmentaire, passionnante, réunie dans un livre, Le silence de mon père.
« Ce livre c’est aussi réparer ça » – l’héritage paternel – confie l’auteur à Marianne. Rencontre avec femme qui accepte aujourd’hui d’être (aussi) la fille de son père.
Le silende de mon père, Doan Bui, (éd. L’iconoclaste, 253. p)
Marianne : Vous vous appelez Doan Bui. Vous êtes française. Vous êtes journaliste, et avez remporté le prix Albert Londres en 2013. Vous, la petite fille vietnamienne qui ne parlait pas français quand elle est arrivée en France à l’âge de trois ans, avez fait, avec succès, de la langue française votre métier, et une passion. Racontez-nous.
Doan Bui : Quand j’y pense, cela me paraît absolument insensé. J’ai encore ce souvenir, flou, de chercher mes mots en français à la maternelle. Un de mes premiers souvenirs d’enfance c’est d’ailleurs de chercher le mot « mouche » en français, et de ne me rappeler que du mot en vietnamien. Alors que maintenant je dois réfléchir pour retrouver le mot en vietnamien. Mais aujourd’hui je n’ai gardé du vietnamien qu’un petit vocabulaire, qui s’est arrêté à l’âge de quatre ou cinq ans. J’ai le vietnamien d’une enfant. Car j’ai très vite construit mon identité à travers le Français, les livres, l’écriture. Ecrire me semblait le summum du prestige de la réussite. La preuve, si j’écrivais, que j’étais Française. Je ne sais si j’en avais conscience. A l’école, j’étais très fière d’être la première en rédaction ou en dissertation. Mais écrire c’était passer de l’autre côté, c’était ne plus être simplement celle qui lit. Pour moi cela représentait beaucoup. J’ai toujours pensé que le journalisme ce n’était pas possible. Pas pour moi. Je ne connaissais aucun journaliste, et mes parents n’auraient jamais voulu que je fasse une hypokhâgne. Pour eux, on devait faire des études scientifiques, il n’y avait que dans ce domaine qu’on était autorisé à réussir, parce qu’on n’avait aucune chance ailleurs, parce que les pistons… parce qu’il fallait connaître… Ca fait un certain temps que je suis journaliste maintenant, mais il reste toujours quelque chose de ça en moi. Quelque chose qui vous dit mais « attends, ils vont se rendre compte qu’ils se sont trompés. » « J’ai construit mon identité à travers le Français, les livres. »
Vous évoquez vos lectures, précieuses, quelle place ou quel rôle a eu pour vous l’école ?
Doan Bui : Au CDI [à la bibliothèque du collège], les livres racontaient beaucoup d’histoires de familles vraiment françaises et moi j’aimais bien les romans de terroir : Henri Bosco, Georges Duhamel, Zola et les Rougon-Macquart. Ou même la Comtesse de Ségur. Je me suis identifiée aux petites filles modèles de la Comtesse, ne serait-ce que par la nourriture, ce qu’ils mangeaient, c’était un peu une identité fantasmatique, une espèce de rêve pour moi. C’était ça être Français. C’était du moins l’idée que je m’en faisais. L’autre chose, constitutive de l’école pour moi, au-delà des profs de français qui ont joué un rôle fondamental, c’est le catéchisme. Mes parents nous avaient mis, mes frères et moi, dans une école privée, au Mans, pour qu’on soit totalement intégrés. Le catéchisme c’était un peu la case à cocher pour être encore plus Français. Même si eux n’étaient pas du tout catholiques.
Parmi les lieux de votre enfance, en plus des livres, de la langue, dont vous dites qu’elle constitue un véritable territoire, il y a aussi des espaces beaucoup plus superflus comme le supermarché ou encore le salon où vous regardiez la télévision pendant des heures. Des espaces où se mêlent parfois, écrivez-vous, la honte et la honte d’avoir honte ?
« La honte est un sentiment universel, propre à l’adolescence. Mais pour l’enfant d’immigré ce rejet est plus fort encore. C’est aussi un rejet de ce que l’on est, de ses origines, de ce que nos parents représentent. »Doan Bui : J’ai toujours été fascinée par le supermarché. Je le suis encore. Je peux passer des heures au Leclerc du Mans avec mon petit caddie. Quand j’étais petite, le Leclerc, c’était comme aller au parc d’attractions. Cette espèce de profusion, de mise en vitrine, de mise en scène de la nourriture, tout ça me paraissait merveilleux. Et puis je regardais beaucoup la télé. Je connaissais par cœur toutes les pubs. Voir les choses que vous aviez vu à la télé dans les vitrines, c’était vraiment comme aller au spectacle. C’était mes seules références à l’époque : le Leclerc, et les livres. Si la honte est un sentiment très universel, propre à l’adolescence où on se construit en rejet de nos parents et du modèle familial, pour l’enfant d’immigré ce rejet est plus fort encore parce que ce n’est pas qu’un rejet générationnel. C’est aussi un rejet de ce que l’on est, de ses origines, de ce que nos parents représentent. Longtemps, l’accent vietnamien de mon père m’a horripilé, alors que je vais trouver d’autres accents charmants, poétiques. Mais l’accent vietnamien, cet accent particulier, ne me faisait ressentir aucune tendresse, c’était trop intime, ça nous rappelait trop qu’on était différent. Maintenant, j’ai plutôt le sentiment de honte de ne pas savoir parler vietnamien, la honte d’avoir eu honte, d’avoir rejeté ça si longtemps…
Vous écrivez par ailleurs vous être tellement « intégrée » que vous avez fini par vous « désintégrer ». Par vous sentir « illégitime », comme si vous étiez une « imposture ». Que voulez-vous dire ?
Doan Bui : A trop vouloir m’intégrer, à vouloir être trop Française, je me suis coupée de mon héritage. Je me suis coupée de ma langue. J’ai été dans le déni de cette culture là, et dans le rejet. Or on ne peut pas se construire que dans le rejet et le déni. Vouloir absolument choisir entre l’une et l’autre de ces identités, c’est très violent. Je ne pense pas que cette injonction à choisir soit une bonne chose. Pendant très longtemps pour être un bon immigré et pour être une bonne française, j’ai gommé une partie de mon identité. Je me suis en quelque sorte désintégrée. Je me rappelle qu’au lycée, au moment des cours sur la décolonisation, en Première et en Terminale, la décolonisation m’intéressait partout sauf au Vietnam, la guerre d’Indochine ne m’intéressait pas du tout et je ne voulais rien lire dessus. Ca m’aurait assigné à ce statut de Français d’origine étrangère alors que je ne voyais pas comme ça. Ce livre, mon livre, Le silence de mon père, est donc une façon de rassembler cette identité multiple, plurielle au sujet de laquelle j’ai souvent menti. Le sentiment d’imposture est lié à cette comédie que vous jouez : avoir l’air plus Français que les autres. Une comédie qui passe par des mensonges bêtes, comme mentir sur votre destination de vacances, sur votre milieu etc. etc. Mentir sur plein de choses. Faire semblant d’avoir été tout le temps à des expos par exemple, ou au cinéma. Même si après, en fait c’est vous qui y êtes allé. C’est quelque chose qui ne vous quitte jamais vraiment ce sentiment d’imposture, cette comédie sociale, identitaire. Ce sentiment d’illégitimité en somme, très banal chez les enfants d’immigrés, l’impression un peu schizophrène, d’être toujours entre deux mondes, de ne pas se sentir à sa place. D’être effectivement toujours déplacé, dans la société et aussi géographiquement. « Ce sentiment d’imposture, d’illégitimité ne vous quitte jamais vraiment. L’impression un peu schizophrène aussi d’être toujours entre deux mondes, de ne pas se sentir à sa place. »
Vous évoquez dans le livre la conscience que vous aviez, au Mans, de votre différence, et des préjugés autour du « chinetoque »…
Doan Bui : Oui, après je n’en ai pas souffert. J’ai eu conscience de notre différence, parce qu’au Mans, il n’y avait personne qui nous ressemblait, même physiquement. Alors oui, des gamins, dans le square, qui se moquaient de moi, « la chinetoque »… Mais je ne le ressens pas comme une blessure. Je n’ai pas du tout souffert de ce regard. Mon enfance était un peu une enfance guerrière, depuis mon cocon familial, je voyais l’extérieur comme quelque chose dont il fallait se défendre. A l’inverse, en ce qui concerne les préjugés, il y avait aussi ce prix que je me rappelle avoir gagné : le prix du/de la meilleur(e) ami(e) à l’école. Je l’avais gagné tout comme mon frère. Et aussi ma soeur. C’est après avec mes yeux d’adultes que je me suis dit : « pourquoi on a tous eu le prix du meilleur ami en CP, alors qu’on n’était pas spécialement populaire ? » C’était clairement un geste de charité, lié à ce côté « oh les pauvres petits immigrés. » Il n’y avait aucune autre raison à part celle-là. C’était la maîtresse qui décidait. Comme j’avais cette conscience forte de la différence, il y avait une volonté encore plus forte de conformisme chez moi, d’être comme tout le monde, comme tous les petits Français.
Jusqu’au jour où vous devez refaire, en 2007, vos papiers d’identité. Là, vous vous heurtez à l’administration française, qui vous demande à vous, fille immigrée naturalisée dès l’enfance, plus française que les Français, de prouver cette francité. Un épisode kafkaïen racontez-vous ?
Doan Bui : Tout d’un coup ça a été le choc. Il fallait que je prouve que j’étais Française, et ce, sous les regards de l’administration. J’étais comme mise à nu. Or il se trouve qu’en plus j’habite dans un quartier où il y a beaucoup de Chinois. Des chinois avec papiers. Des chinois sans papiers. Quand je suis allée au tribunal, l’employée qui devait voir défiler des Chinois tous les jours, en avait ras-le-bol. Le premier truc qu’elle me dit c’est – avec un air – « VOUS PAR-L-EZ FRAAN-CAIS ??? » Pour vous, c’est le choc. Vous aimeriez lui dire « Mais moi, j’ai lu Proust, j’ai lu Céline, Madame ! » Vous êtes ulcérée. Mais vous ne pouvez rien faire parce que dès que vous devez prouvez quelque chose, vous rentrez dans le côté kafkaïen de l’administration. Je me rappelle de cette scène : je présentais, toujours à l’employée du guichet, l’acte de mariage de mes parents. Là, l’employée voit qu’il y a deux petits trous dans la feuille. Elle me dit : « il y a deux trous. » Je lui dis : « Deux trous ? » Elle répond : « Ah bah oui il y a deux trous ça veut dire qu’il y avait une agrafe, je ne peux pas accepter ce document, il faut que vous alliez dans l’organisme qui a délivré cet acte, leur demander un duplicata. » Je lui dis : « Mais regardez c’est l’ambassade du Sud Vietnam, le Sud Vietnam n’existe plus, je ne peux pas aller dans l’ambassade d’un pays qui n’existe plus pour demander un duplicata »… Tout était comme ça. Avec mon mari, un « bon Français », la perspective d’une naturalisation nous faisait faire des cauchemars, on imaginait des enquêtes sur les mariages gris, les mariages blancs… Finalement, j’ai eu mon petit bout de papier au bout de neuf mois. Cet épisode avec l’administration m’a mise face à ça, je m’étais un peu déguisée, en Française, et là c’est comme si on me disait non, tu n’es pas Française. « VOUS PAR-L-EZ FRAAN-CAIS ??? » Pour vous, c’est le choc. Vous aimeriez lui dire « Mais moi, j’ai lu Proust, j’ai lu Céline Madame ! »
Sur la forme, le livre oscille entre différentes tonalités, différentes calligraphies, et registres… Comme s’il rassemblait tous ces petits bouts de vous ?
Doan Bui : J’ai eu envie que la forme traduise mon parcours personnel autour de mon identité, qui est passé aussi par cette enquête fragmentaire. Je n’avais pas envie d’une forme linéaire, avec un seul jeu, et une seule tonalité, parce qu’il me semblait que pour essayer d’appréhender qui était mon père, – en réalité je n’arrive pas plus à l’appréhender – il y avait un foisonnement. Quand je ne m’intéressais pas à mon père, parce que je le rejetais, il était dans la case « papa. » Point. C’était très simple. Mais quand on commence à plonger dans la complexité humaine… J’avais donc envie qu’il y ait plusieurs jeux, notamment à la fin, pas seulement mon jeu, mais aussi le jeu d’autres personnes qui parlent de mon père. Ca me semblait important que le livre devienne plus choral.
Vous consacrez ce livre à votre père, à ses non-dits, ses secrets. Votre mère est également très présente au fil du récit. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
« Cette immigration là, la mienne, ne me semblait pas intéressante. Pas matière à histoires. » Doan Bui : Ma mère c’est vraiment la mère de La promesse de l’aube, de Romain Gary. Très très présente, très drôle, atroce aussi parfois, tyrannique, possessive… J’ai l’impression que les mères dans l’exil sont un peu des lionnes. Elles se projettent tellement dans l’avenir de leurs enfants, plus rien ne compte pour elles, pas même le passé. Elles font table rase de tout. Ma mère par exemple, déteste les maisons vieilles, elle n’aime que les maisons neuves, les pavillons neufs, avec du carrelage tout neuf, le côté banlieue américaine, ça c’est un peu son graal. Ces endroits comme l’Amérique un peu neufs, la fascinent. Ma mère n’aime pas le passé. En tous cas, j’ai toujours eu l’impression qu’elle ne l’aimait pas. Et mon père j’ai toujours eu l’impression que c’est ça qu’il incarnait, le passé, la nostalgie. Chez moi, il y a eu cette dichotomie, ma mère, très bavarde, qui occupait l’espace de la parole et de la transmission, qui était du côté de l’avenir, tournée vers la France et mon père, taiseux, tourné vers le passé, le Vietnam. Pendant longtemps j’ai donc choisi ma mère. Je ne voulais être que la fille de ma mère. Ma mère parle très bien français, c’est une enfant de la colonisation, elle a été élevée dans un lycée Français à Saïgon, un lycée très chic, où tout le monde ne parlait que français, où les élèves indigènes comme elle avaient un prénom français… Elle y a appris le vietnamien en langue vivante étrangère par exemple, et a appris aussi que ses ancêtres étaient gaulois. Alésia, Napoléon, Charlemagne… Finalement, ma mère connaît très mal la littérature et l’histoire de son pays. Pour toutes ces raisons, je ne me voyais pas comme la fille de mon père. Alors faire ce livre c’est aussi réparer ça, il faut que je le reconnaisse, je suis la fille de mon père.
A quel moment vous êtes-vous intéressée, interrogée, sur vos racines, votre origine ?
Doan Bui : Ça bascule tard pour moi. Ça ne bascule pas au collège. Ça ne bascule pas du tout au lycée. En fait ça bascule vraiment quand je deviens mère, en 2005, donc très récemment. Beaucoup de questionnements sont venus à ce moment là, le fait de devenir mère, de s’interroger sur ce que j’allais transmettre à mon enfant. Je me souviens, pendant longtemps, le fait qu’on dise que j’étais eurasienne m’a flatté. Je n’avais pas trop l’air asiatique… Pendant ma grossesse, en revanche, j’étais stressée à l’idée que ma fille n’ait pas du tout l’air asiatique. J’avais peur qu’on me prenne pour la baby-sitter, ou la bonne philippine. Il se trouve que, la même année, mon père a eu un AVC et est resté, depuis, plongé dans le silence. Tout s’est alors un peu mélangé, toutes les questions que je n’avais pas posées. Je parlais de la Comtesse de Ségur tout à l’heure, en réalité elle était Russe. Dans mon inconscient, je faisais sans doute la différence entre le général Dourakine, et l’immigration de mes parents. Cette immigration là, la mienne, ne me semblait pas intéressante. Pas matière à histoires. Ensuite, je suis devenue journaliste. Je ne vous fais pas un dessin, le milieu social, d’origine des journalistes à Paris n’est pas très divers. J’avais encore plus envie d’être Française, comme les confrères. Cette quête, c’est seulement après qu’elle est venue. Il fallait que je rattrape le temps perdu. « Beaucoup de questionnements sont venus à ce moment là, le fait de devenir mère, de s’interroger sur ce que j’allais transmettre à mon enfant. »
Il est beaucoup question de la parole dans votre livre des mots qui circulent et aussi qui ne se disent pas. Il est aussi question d’images, d’imaginaire. Il y en a deux en particulier, concernant l’immigration, que vous développez : celle de l’embouteillage et du rite au Vietnam autour des ancêtres ?
Doan Bui : J’aime bien cette image des embouteillages, parce que je l’identifie à cette image de voyageur, d’exilé, qui est toujours entre un ici et un là-bas. C’est vrai que quand vous êtes dans un embouteillage, vous êtes partis mais vous n’êtes pas arrivés, vous êtes vraiment dans les limbes ; entre les deux. Je trouve que c’est une bonne métaphore de l’exilé. L’exilé n’est jamais arrivé. Il est dans la nostalgie d’un pays qui n’existe plus. C’est aussi la vie puisqu’on est toujours dans l’exil de son enfance, de son passé, on est d’une certaine manière toujours en transit. Le rite des ancêtres, au Vietnam, est perpétré par le fils, [c’est lui qui s’incline devant les Anciens au nom du clan ndlr.] Quand on est retourné au Vietnam tous ensemble, avec mes parents, mon mari et mes filles, j’ai eu l’impression que ça a permis à mes parents de se réconcilier un peu avec leur pays et leur passé. Ils y étaient déjà retournés trois ou quatre fois, en touristes, mais étaient revenus amères de cette expérience. Ils ne reconnaissaient rien, ils n’étaient plus chez eux. Et finalement, ils en étaient revenus aigris et plein de tristesse. Mais là, pour la première fois, grâce à ce voyage, c’est comme si ils avaient pu jeter un pont vers le Vietnam de leur enfance. On est allé dans ces endroits qui étaient signifiants pour eux. Et chaque endroit avait une histoire…
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