Alors que la grogne contre la loi Travail ne faiblit pas, les réseaux sociaux sont depuis le début du mouvement le théâtre de surenchères dans la violence. Les vidéos virales s’y multiplient, montrant soit la haine anti-flic en action, soit les violences policières.
Quarante secondes d’une extrême violence. Le 21 mai, la page Facebook au nom édifiant « Emeute Nantaise » met en ligne une énième vidéo sur laquelle on voit des manifestants s’en prendre violemment à un CRS isolé de ses collègues. Tournée, d’après la légende qui l’accompagne, lors d’une manifestation contre la loi El Khomri à Nantes le 3 mai dernier, on y voit le policier, matraque à la main, s’avancer seul vers un groupe de personnes manifestement prêtes à en découdre. Les jurons abondent.
« C’est quoi ça fils de p… ? Vas-y c’est filmé fils de p… ! »
La situation dégénère quand un jeune homme lui assène, de derrière, un coup de pied dans les jambes avant de prendre la fuite. Puis c’est l’escalade : assailli de toutes parts, le policier se retrouve à terre en quelques secondes. Ses agresseurs lui ôtent son casque et continuent de le frapper violemment. La vidéo prend fin quand quelqu’un leur crie d’arrêter. Le jour même, des photos du policier à terre avaient circulé sur Twitter. Un jeune homme de 18 ans a depuis été mis en examen pour cette agression. Le policier, lui, a reçu des points sutures, son nez a été cassé et il présentait une plaie à l’arrière du crâne.
Une semaine auparavant, une vidéo de la même teneur avait enflammé les réseaux sociaux, cette fois tournée à l’entrée du musée de l’Armée, aux Invalides à Paris. Un groupe de manifestants cagoulés, munis de masques et de barres de fer, se jette sur les lourdes grilles et tente d’atteindre les militaires retranchés derrière elles. De l’autre côté, les militaires répliquent avec leur matraque alors qu’un gendarme tente de maintenir la porte fermée. Les agresseurs sont en nombre. Au bout de longues secondes, l’un d’entre eux se place devant les grilles et les enjoint d’arrêter : « Stop ! Stop ! » Il est rejoint par d’autres manifestants qui retiennent les plus virulents.
Nouvelle escalade le 18 mai. Afin de protester contre les violences dont ils sont victimes, les policiers organisent un rassemblement Place de la République, à Paris. De son côté, le collectif « Urgence, notre police assassine » souhaite organiser une contre-manifestation… pour condamner les violences policières. C’est ce jour qu’un drame a failli se jouer Quai de Valmy, à deux pas de la place. Et là encore, les caméras étaient en nombre pour filmer, si bien qu’on peut voir la scène de différents points de vue. Une voiture de police est violemment prise à partie par un groupe de manifestants. Dès les premières secondes, l’un d’entre eux brise la vitre côté conducteur avec son pied. La situation s’envenime et la voiture de police tente de fuir, sans succès, bloquée par le trafic. Quelques instants plus tard, c’est la lunette arrière qui part en éclat avant qu’un fumigène ne mette le feu dans l’habitacle.
Soudainement, le policier qui conduisait sort du véhicule. Massif, les pieds ancrés dans le sol, d’un sang-froid d’acier, il pare les coups que lui assène un jeune homme cagoulé à l’aide d’une barre de fer. « Arrête ! Arrête putain ! », finit par crier un manifestant en se jetant sur lui. Celui qu’on nomme maintenant « le policier Kung fu » parvient à s’enfuir avec sa collègue. Abandonnée, la voiture finit calcinée. Sur Facebook, la vidéo de cette séquence enregistre à ce jour plus de 11 millions de vues.
Dans le cadre de l’enquête judiciaire ouverte à la suite de cet événement, quatre personnes ont été mises en examen. Âgés de 18 à 32 ans, les quatre suspects issus de la mouvance antifasciste sont accusés de « tentative de meurtre », « violences en bande organisée par un moyen dangereux » et « participation à un attroupement » armé avec dissimulation du visage. Parmi eux, trois étaient sous le coup d’une interdiction de manifester.
Mais les violences ne touchent pas uniquement les forces de l’ordre, plusieurs affaires en témoignent. Une autre vidéo a fait grand bruit, en marge d’incidents qui avaient émaillé une manifestation contre la loi Travail le 24 mars. Aux alentours du lycée Henri Bergson situé dans le 19e arrondissement de Paris, on voit un policier asséner un violent coup de poing à un adolescent de quinze ans, maintenu par deux de ses collègues. Le jeune homme tombe à terre, son nez est cassé. Son agresseur, un policier de 26 ans, va être jugé devant le tribunal correctionnel pour « violences volontaires ».
Moins relayée sur les réseaux sociaux, une autre vidéo montre l’ampleur des agressions dont ont été victimes les lycéens de cet établissement ce même jour. Malgré le cadrage agité et approximatif, on y remarque plusieurs coups portés par des CRS envers les élèves, apparemment sans raison. La plupart d’entre eux sont regroupés, relativement calmes, alors que des policiers, par petits groupes isolés, s’en prennent à eux. Interrogée par Rue 89, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) a fait par de son incompréhension puis de son choc quand les élèves ont détaillé ce à quoi ils avaient assisté :
« On a mis un moment à comprendre l’ampleur de ce qui s’était passé » ; « On a eu du mal à le croire« .
Un peu plus d’un mois plus tard, le 18 avril, en marge d’une manifestation contre la loi Travail qui se déroule à Rennes, un jeune homme de 20 ans perdra l’usage d’un œil après le tir d’un projectile. Etudiant en géographie à l’université Rennes 2, il s’est confié dans un entretien au Monde, dans lequel il se décrit comme non violent. « J’ai eu peur, je ne voulais pas qu’il m’arrive une bricole« , affirme-t-il au quotidien. A la suite d’un mouvement de panique, il est pris dans la foule et reçoit un projectile. Sa paupière est lacérée, il a cinq fratures au visage. Malgré une intervention chirurgicale, son oeil ne peut être sauvé. Le 2 mai, il décide de porter plainte contre X pour « violences aggravées ayant entrainé une infirmité permanente ». De son côté, le procureur de Rennes a annoncé l’ouverture d’une enquête, confiée à l’IGPN (Inspection générale de la police nationale).
De ces violences, plusieurs jeunes journalistes ont fait leur boulot. Dans les manifestations, protégés d’un casque, d’un masque, d’un sac à dos, et munis d’une caméra, ils les traquent. De quelque bord qu’elles proviennent. L’un d’entre eux, Gaspard Glanz, a créé le média Taranis News. Lui et six autres journalistes filment les mouvements sociaux à travers toute la France. Comble de l’ironie, certains syndicats de police utiliseraient le fruit de leur travail à des fins de communication… comme le montre ce Tweet, posté sur le compte du journaliste.
Je déconne pas @alliancepolice : soit on s’accorde sur un prix pour les images de cette aprem, soit c’est le procès direct.
— Gaspard Glanz (@GaspardGlanz) 18 mai 2016
Dans un entretien au média Street Press, Gaspard Glanz livre une anecdote pour le moins étonnante :
« Un jour, un keuf est même venu me voir pour me dire qu’il aimait mes vidéos. Il m’a dit : ‘tu montres les cons de notre côté comme de l’autre’. »
Depuis le début du mouvement, il y a maintenant plus de deux mois, les « cons » ont été nombreux. Chez les forces de l’ordre, environ 350 policiers ont été blessés par des casseurs. Côté manifestants, on compte à ce jour 1.300 interpellations et 800 gardes à vue. Il est en revanche beaucoup plus difficile de se faire une idée claire du nombre de blessés dans leurs rangs, que la préfecture de police ne délivre pas, comme l’explique le site Metronews. En avril, l’UNEF annonçait que quarante manifestants avaient été blessés et ce, uniquement à Rennes. De son côté, le site Buzzfeed a recensé 35 cas de violences policières. Espérons que cette escalade ne finisse pas par donner raison à Jean-Luc Mélenchon ; au début du mois de mai, le co-président du Parti de Gauche déclarait : « Au ryhtme où on va, quelqu’un va mourir« .
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