Harcèlement moral à l'hôpital Montsouris : une plainte déposée contre le chirurgien tyran

Une plainte a été déposée contre le chef de département d’un hôpital privé parisien adepte de l’insulte et du coup de pression, toujours soutenu par une hiérarchie soucieuse de préserver les recettes qu’il génère.

C’est une plainte qui n’aurait pas dû voir le jour. Une plainte pour harcèlement moral qui aurait dû finir, comme beaucoup d’autres, à la corbeille. Parce que les victimes, dans ce domaine, vont rarement jusqu’au bout. Parce que la crainte de représailles, un arrangement de dernière minute ou un chantage à l’emploi ont généralement raison de ces démarches. Mais pas cette fois. Mieux, une ultime tentative d’intimidation, ou ce qui a été pris comme tel par ceux à qui elle était adressée, a poussé l’une des victimes, Ivan Philip, de son état médecin anesthésiste réanimateur, à briser l’omerta qui habituellement règne dans le monde médical. Il a fait fi de toutes les conséquences et a approuvé la démarche de l’avocat vers lequel il s’était tourné, à bout de forces et pas très loin du trou d’air psychologique. La justice a donc été saisie le 6 avril dernier. Une action censée le protéger, lui et tous ceux qui, au sein de l’hôpital privé où il exerce, l’Institut mutualiste Montsouris, ont exprimé tant bien que mal depuis des mois leur souffrance au travail. Au point de faire planer sur l’établissement la menace d’un nouveau suicide après celui qui a ébranlé l’hôpital Georges-Pompidou, le 17 décembre 2015.

L’établissement, rappelle diplomatiquement dans la plainte l’avocat du médecin, Me Marc Bensimhon, « est très réputé pour son haut niveau de compétence dans des activités médicales lourdes et complexes à dominante chirurgicale ». Le plaignant y est entré en septembre 2009 pour pratiquer sa spécialité, l’anesthésie-réanimation en chirurgie cardiaque, vasculaire et thoracique. « Coresponsable » du bloc opératoire, rappelle l’avocat, il a longtemps exercé à l’hôpital Bichat. Il enseigne son art aux internes en cardiologie et avait toutes les chances de devenir chef de service. Du moins jusqu’à l’arrivée dans les murs, en 2010, d’un chirurgien cardiaque réputé, transfuge de l’hôpital Foch, promu un an plus tard chef du département de pathologie cardiaque : le Dr Mathieu Debauchez, dont le caractère va vite provoquer des étincelles jusque dans l’enceinte confinée du bloc opératoire.

Climat de terreur

En mai 2012, c’est une anesthésiste qui est renvoyée dans les cordes alors que surgit une complication à la fin d’une opération. En octobre 2013, au cours de sa garde, une infirmière voit le chirurgien pointer le doigt vers elle tout en projetant une poubelle contre le mur en hurlant : « Maintenant, tu te tais. Tu la fermes. Je suis passé il y a deux heures et ils n’en branlaient pas une. Alors tu la fermes. » La voyant reculer, il aurait conclu : « Tu mets ta bavette et tu la fermes. » Intervenant pour suggérer quelques heures de repos avant la troisième opération, ce jour-là, un anesthésiste, le Dr Chterev, a récolté, lui aussi, une volée de bois vert : « C’est des branleurs incapables d’endormir un patient seuls. Un jour, je vais me barrer, cela vous fera le cul et vous serez bien baisés. » Soucieux de ne pas en rester là, l’anesthésiste en question a revu quelques jours plus tard le chirurgien, qui en a rajouté : « Ivan Philip, je vais lui déchirer le cul, Dr Chterev, je l’encule… » Des mots qu’il avait déjà adressés les yeux dans les yeux au Dr Chterev. Celui-ci dut se tourner vers le conseil de l’ordre après avoir refusé de terminer sa journée en compagnie du Dr Debauchez.

« Maintenant, tu te tais. Tu la fermes ».Les incidents s’accumulant, la direction de l’Institut mutualiste Montsouris a fini par organiser une réunion entre chirurgiens cardiaques et anesthésistes, le 11 décembre 2013. Réunion qui a failli tourner au pugilat, tant les chirurgiens cardiaques ont insulté les anesthésistes, venus dénoncer leur comportement « irrespectueux, arrogant, colérique, vulgaire et insultant », selon les termes de la plainte. Une attitude générant un tel stress qu’il pourrait un jour entraîner des erreurs regrettables, firent-ils valoir ce jour-là, pourquoi pas au détriment d’un patient. Pas de quoi cependant ébranler la direction, qui décide d’apporter tout son soutien au Dr Debauchez, jusqu’à lui confier le soin de choisir lui-même la drogue à administrer aux patients, habituellement du ressort des anesthésistes.

Ce climat malsain tourne au net désavantage du Dr Philip, auquel le chirurgien annonce au détour d’un couloir, au mois d’avril 2014 : « Je n’ai pas encore eu le temps, mais je vais m’occuper de ton cas. » Une menace qui prend forme lorsqu’il est convoqué par le directeur médical de l’institut, soucieux de l’entendre au sujet de propos malveillants qu’il aurait tenus à son égard. Une rumeur destinée à nuire à sa carrière, estime l’anesthésiste, qui pourrait voir sa promotion comme chef de service lui passer sous le nez, mais n’en appelle pas moins à l’apaisement. Sans succès, puisqu’il assiste, désarmé, à son éviction définitive du bloc opératoire de chirurgie cardiaque, le 13 janvier 2015, par celui qu’il a osé accuser de faire régner un climat de « terreur ». Avec l’aval d’une direction qui penche nettement du côté du chirurgien, dont chacun sait qu’il contribue à lui seul à une part importante du chiffre d’affaires de l’établissement. Lui dont la liste des patients ne cesse de s’allonger.

Le soutien de la direction

Les autres anesthésistes ont beau plaider la cause de l’exclu, leur « référent » dans cette discipline, ils ont beau rappeler le malaise qui règne pendant les interventions du Dr Debauchez, la direction ne plie pas. C’est à ce moment que les responsables du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) se saisissent du dossier. Plusieurs médecins en souffrance viennent raconter leurs altercations avec le chirurgien ou leur lente marginalisation, comme cette cardiologue réputée évincée à la suite d’un désaccord au sujet d’un patient, en juillet 2013, une femme qui se dit carrément « détruite ». Cette souffrance des salariés n’étant pas entendue par la direction, les élus décident de solliciter une expertise extérieure, celle d’un cabinet reconnu en matière de risques psychosociaux au sein de l’entreprise. Pas loin de 50 membres du personnel sont entendus, avec à la clé, le 12 octobre 2015, un rapport particulièrement accablant. Tensions au sein du bloc, altercations en série, violences verbales, insultes que les médecins et les infirmières n’osent même pas rapporter, le chirurgien en prend pour son grade, mais aussi l’hôpital, auquel certains salariés ne font plus confiance pour régler la situation.

Le chirurgien contesté ne se laisse pas abattre, loin de là. Ces mots durs prononcés dans le cadre du travail sont habituels dans les salles d’opération, plaide le Dr Debauchez, relativisant la portée de ses saillies colériques et les mettant volontiers sur le compte du « stress chirurgical » plus que sur une quelconque tendance narcissique. S’il a parfois dit que certains « branleurs » se croyaient au Club Med, c’est que lui bosse pour 10. Les responsables de l’hôpital prennent fait et cause pour lui, contraignant les experts sollicités à revoir leur copie et à proposer une version allégée et adoucie de leur rapport. Lequel n’en reste pas moins suffisamment accablant pour étayer une accusation de harcèlement moral, entre agressions verbales et comportements « abusifs », sans oublier les certificats médicaux des médecins du travail. « Le Dr Philip a été publiquement discrédité non seulement en tant que potentiel supérieur hiérarchique, mais aussi en tant que médecin », écrit l’avocat, avec pour conséquence une « altération de sa santé physique et mentale ».

L’issue de ce combat passe désormais par la justice. Issue forcément incertaine tant l’estime de soi est chose difficilement quantifiable. Sans compter les nombreux appuis dont bénéficiera forcément le suspect, un homme de 56 ans au gabarit de rugbyman.

 

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