Plusieurs sénateurs contestent les révélations d’un livre selon lequel ils ont été sanctionnés financièrement pour absentéisme. Une polémique qui montre en réalité la facilité à contourner les règles d’assiduité officiellement édictées par le Sénat, qui refuse obstinément de publier la liste des élus punis.
L’information a semé un petit vent de panique dans certains bureaux du palais du Luxembourg. Jeudi 12 mai, Marianne relayait les révélations du livre Le Sénat. Un paradis fiscal pour des parlementaires fantômes, à paraître le 2 juin aux éditions du Rocher. Son auteur, le journaliste Yvan Stefanovitch, affirme avoir déniché l’identité des 14 sénateurs qui ont subi une retenue financière sur leur indemnité en raison de leur absentéisme au dernier trimestre 2015. C’est le président du Sénat, Gérard Larcher, qui avait annoncé ces sanctions en janvier… sans dire qui étaient les punis, au motif de ne pas « donner leurs noms en pâture ».
Si la plupart des sénateurs concernés n’ont pas réagi à la publication de leur identité – deux d’entre eux, Stéphane Ravier et Gérard Collomb, avouent tout de même leur faute – quatre élus contestent les allégations du livre. Le sénateur-maire Les Républicains de Toulon, Hubert Falco, va jusqu’à faire parvenir à Marianne un mail du secrétaire général de la présidence du Sénat, Jean-Louis Hérin, certifiant qu’il n’a « fait l’objet d’aucune retenue financière depuis le premier octobre 2015 » (voir ci-dessous). Egalement mis en cause dans l’ouvrage, Jean-Vincent Placé, ex-sénateur écolo entré au gouvernement en février, nous a renvoyé vers le même Jean-Louis Hérin, qui l’a dédouané aussi. Bruno Gilles, sénateur-maire LR du 3e secteur de Marseille, et Thani Mohamed Soilihi, sénateur divers gauche de Mayotte, démentent également avoir été sanctionnés – mais sans fournir de « preuve » à ce jour.
Interrogé par Marianne, l’auteur du livre Yvan Stefanovitch concède « des erreurs », qu’il explique par l’opacité du fonctionnement du Sénat. Car pour dénicher l’identité des sénateurs punis, le journaliste ne s’est pas procuré la liste des sanctionnés – gardée jalousement secrète par les services du palais du Luxembourg. Il a patiemment comptabilisé la présence de chaque sénateur aux votes des projets de loi, aux séances de questions au gouvernement et aux réunions en commission, les trois critères retenus par Gérard Larcher pour comptabiliser l’absentéisme. « J’ai mis cinq mois à le faire. C’est une histoire de fous », s’exclame-t-il.
L’obligation de présence ne concerne en réalité qu’une petite partie des réunions en commission
Les subtilités des règles du Sénat ont en effet de quoi donner la migraine. Prenez la comptabilisation de la présence en commission, par exemple. Le règlement de la chambre haute oblige un sénateur à se rendre à au moins la moitié des réunions de la commission dont il est membre… mais en prenant en compte uniquement les réunions « convoquées le mercredi matin et consacrées à l’examen de projets de loi ou de propositions de loi ou de résolution ». Voilà qui assouplit sérieusement la règle ! Or, « au dernier trimestre 2015, la commission des Affaires étrangères s’est réunie une vingtaine de fois. Mais sur ce total, il y a eu neuf réunions du mercredi matin, dont seulement sept réunions consacrées à des projets de loi », décrypte Yvan Stefanovitch. Vous suivez toujours ? Résultat des courses : un sénateur qui n’est venu qu’à quatre réunions sur l’ensemble du trimestre échappe à toute sanction. C’est le cas de Jean-Vincent Placé, compté présent à quatre reprises à la commission des Affaires étrangères.
Et encore, l’ancien patron des sénateurs écolos a surtout bénéficié de l’indulgence de Gérard Larcher. Jean-Vincent Placé n’a en effet assisté qu’à trois réunions, mais son absence à la quatrième n’a pas été prise en compte, au motif qu’il était en déplacement en Corée du Sud au côté de François Hollande. « Ce n’est pas strictement prévu par le règlement, mais il y a eu une interprétation du président du Sénat pour assimiler ce déplacement à une présence », explique à Marianne Jean-Louis Hérin, le secrétaire général de la présidence du Sénat. Ce qui a permis à Placé d’être officiellement compté présent à la majorité des réunions… et donc d’échapper à une retenue de 2.130 euros.
Autre astuce permettant de contourner les règles : s’éclipser d’une réunion en commission en profitant d’une interruption de séance. En effet, un sénateur sera compté présent à une réunion même s’il ne participe qu’à sa première partie. Filer à l’anglaise sans attendre la fin des travaux, c’est par exemple la grande spécialité de François Baroin, sénateur-maire de Troyes, écrit Yvan Stefanovitch dans son livre.
Mais la meilleure parade des sénateurs pour éviter la sanction financière, c’est de se faire « excuser », selon le terme consacré, soit en raison d’un déplacement dans le cadre de leurs fonctions, soit pour des raisons médicales. « L’excuse est largement accordée sur la bonne foi », souligne Yvan Stefanovitch. « Et on ne peut rien faire contre un certificat médical. » Le champion en la matière est le doyen des sénateurs, Paul Vergès, 91 ans. L’ex-patron du conseil régional de La Réunion n’a pas mis les pieds au palais du Luxembourg ces six derniers mois – si l’on excepte deux jours de séance plénière en janvier dernier. Mais comme le montre son tableau d’activité disponible sur le site du Sénat, il est systématiquement « excusé ». Motif : « longue maladie », nous indique le secrétaire général Jean-Louis Hérin. Paul Vergès n’a donc jamais été sanctionné…
Morale de l’histoire : une opacité à tous les étages. Non seulement le flou persiste sur les noms des 14 sénateurs ayant subi une retenue financière, puisque si les services du Sénat dédouanent deux élus, ils refusent de faire savoir qui est réellement concerné. Mais en plus, les sénateurs sanctionnés ne sont pas forcément les plus absents. A ce compte-là, la transparence risque fort de ne rester qu’un slogan.
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