La hausse des inégalités ne fait que commencer

A l’occasion de la publication de son nouveau livre, le Pr Branko Milanovic en a fait une présentation à l’Ecole d’économie de Paris. Devant une salle comble, d’où la presse était absente, les débats menés par Thomas Piketty ont été d’une grande richesse. « Marianne » publie une interview, dans laquelle l’ancien chef économiste de la Banque mondiale explique pourquoi et comment, si les politiques publiques ne changent pas, la globalisation continuera de soutenir le processus de hausse des inégalités dans les pays riches.

Marianne : Dès les premières pages de votre livre, on tombe sur la fameuse courbe que vous aviez déjà publiée, dite de l’éléphant. Ce graphique, désigné comme celui de l’année par Paul Krugman, permet de voir l’évolution sur vingt ans (de 1988 à 2008) des revenus par tête selon la position dans la distribution des revenus à l’échelle de la planète. Pourquoi la publier à nouveau ?

Branko Milanovic : D’abord parce que nous l’avons actualisée à 2011. Et que les résultats obtenus sont confirmés voire amplifiés. A savoir, que cette période qui correspond à la montée en puissance de la globalisation est marquée par l’émergence d’une classe moyenne si l’on prend la planète comme un tout. Celle-ci a vu son revenu par tête progresser de plus de 80 % entre 1988 et 2011. Ces personnes situées au milieu de la distribution, sur la bosse de l’éléphant, sont les personnes qui touchent le revenu médian au niveau de la planète (environ 4 dollars par jour), un gros milliard d’individus. Ils sont dans leur grande majorité chinois. Ces gens gagnent l’équivalent de 3 à 16 dollars par jour. Les autres grands gagnants de ce vaste mouvement sont le top 1 %. Sur la même période, ces ploutocrates [le gouvernement des plus riches] composés évidement des riches des pays riches (12 % des Américains y figurent, 5 % des Britanniques, mais aussi, pour moitié, des nouveaux très riches des pays émergents) ont vu leurs revenus progresser de plus de 40 %*. Ils captent 29 % des revenus et concentrent 46 % du patrimoine. A l’inverse, les grands perdants sont typiquement les classes moyennes des pays riches, les personnes situées entre les 80 et 95 centiles globaux, dont les revenus ont stagné, et ceux situés tout au début de la courbe qui gagnent moins de 1 dollar par jour, ce sont les pauvres des pays relégués de la globalisation, typiquement les pays de l’Afrique subsaharienne.

Au final, on peut observer qu’au plan mondial il y a une réduction globale des inégalités individuelles de revenus. Mais, et c’est l’objet de mon travail, deux mouvements sont à l’œuvre et s’additionnent. D’un côté, la forte croissance des pays émergents, réduisant l’écart entre les pays, qui a fait sortir de la pauvreté des milliards de personnes. De l’autre côté, l’accroissement des inégalités au sein des pays riches et la régression relative des classes populaires qui les composent ont fortement contribué à la réduction de l’inégalité globale.

(…)

*Lors des débats, Thomas Piketty a expliqué que, si l’on s’intéressait aux riches des riches, le top 0,1 %, et plus encore le top 0,01 %, la croissance des revenus sur la période serait sensiblement supérieure à 40 %, de l’ordre d’au moins 200 %. Ce dont convient Branko Milanovic.

>> Global Inequality : A New Approach For The Age Of Globalization​, de Branko Milanovic, Ed. The Belknap Press, en anglais, 320 p.

 

 

>>> Retrouvez cet entretien en intégralité dans le numéro de Marianne en kiosques.

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