Catastrophes écologiques, pandémies, hiver nucléaire, zombies… Les angoisses apocalyptiques font vendre. Producteurs et éditeurs l’ont bien compris, qui surfent sur notre peur de voir disparaître la civilisation pour nous vendre du retour brutal à la nature et du darwinisme à la sauce cannibale. Glaçant.
Et si, demain, tout ce que nous avons toujours connu s’effondrait comme un château de cartes, que resterait-il des Homo sapiens ? Cette question alimente depuis longtemps l’imaginaire des hommes. En l’an 1000, en Europe, elle affolait déjà les populations, qui croyaient comme les irréductibles Gaulois d’Astérix que le passage au deuxième millénaire allait leur faire tomber le ciel sur la tête. On peut constater qu’il n’en fut rien. N’empêche, les récentes séries «Walking Dead», «12 Monkeys», «Game Of Thrones» («Winter is coming !») et les succès cinématographiques de Seul sur Mars, réalisé par Ridley Scott, de Mad Max Fury Road, signé George Miller, et de The Revenant, d’Alejandro Gonzalez Inarritu, grands vainqueurs des Oscars 2016 et du box-office avec près de 750 millions de dollars de recettes cumulées, ont tous reflété ces peurs ancestrales, sur fond de crises économiques, migratoires, écologiques ou pandémiques. Sans même parler de la menace terroriste globalisée… D’ailleurs, Leonardo DiCaprio, en recevant la fameuse statuette dorée qu’il attendait depuis vingt-deux ans, pour son interprétation hallucinée de ce trappeur qui ne survit dans le Grand Nord du XIXe siècle que par son retour à la bestialité, ne s’y est pas trompé : «The Revenant parle de la relation de l’homme et de la nature. Le changement climatique est réel. C’est en train d’arriver en ce moment même. C’est la menace la plus urgente pesant sur notre espèce et nous devons travailler tous ensemble contre ce phénomène.» Ou alors, nous serions obligés, suggère-t-il en filigrane, de sauver notre peau, comme le héros qu’il interprète, seul contre tout ; et donc chacun pour soi.
Ainsi, la fiction contemporaine, parce qu’elle surfe sur une réalité potentielle et qui fait universellement cauchemarder, s’est-elle trouvé un thème en or : la survie. Elle la décline sous toutes ses formes, littéraire, cinématographique, sérielle, vidéoludique ou télévisuelle, dont le dernier reality show en date, «The Island», révèle une sorte de «Koh-Lanta» scénarisé à la mode «Lost», sans la magie des images, mais avec des candidats bas du front. Dommage que l’adaptation française du programme américain initié par l’aventurier survivaliste Bear Grylls pour NBC soit un must de ringardise, quand la série documentaire phare de National Geographic Channel, «Familles Apocalypse», qui suit depuis cinq ans des foyers qui se préparent, le plus sérieusement du monde, au chaos et à la violence engendrés par l’effondrement de nos civilisations, elle, intrigue et questionne. Même le philosophe Michaël Foessel, dans son essai Après la fin du monde, critique de la raison apocalyptique, l’affirme : «Chacun doit se préparer à devoir vivre après la fin du monde.»
Et la sauvagerie ontologique du monde d’après la catastrophe vaut bien la sauvagerie première de la nature. Elle est en tout cas gage de succès. Un seul exemple : en 1974, à la suite du premier choc pétrolier, Howard Ruff publie Famine et survie en Amérique. Le livre s’arrache et fait naître le survivalisme. C’est que la nature deviendrait à la fois l’ennemie et l’amie. Il faudrait la craindre pour l’utiliser. Le Robinson Tom Hanks s’y débattait dans Seul au monde, de Robert Zemeckis, en 2000. L’ange de la route Mel Gibson et son avatar du XXIe siècle, Tom Hardy, dans les Mad Max, de George Miller, l’affrontaient. La survivante spatiale Sandra Bullock du Gravity d’Alfonso Cuaron, et l’insoumise futuriste Jennifer Lawrence, dans la tétralogie Hunger Games, adaptée des romans de Suzanne Collins, en triomphaient. Tout comme Viggo Mortensen, héros de l’adaptation, en 2009, de la Route, roman postapocalyptique de Cormac McCarthy, qui se sera efforcé, en utilisant tout ce qu’il trouve – un rouleau de ruban adhésif et une agrafeuse pour fermer une plaie… – de rester debout dans la désolation des ruines de la civilisation, afin de rallier avec son jeune fils une hypothétique communauté de survivants. C’est ce même ressort dramatique qui est à l’œuvre dans la série d’horreur de la chaîne à péage américaine AMC, «The Walking Dead», adaptée des comics de Robert Kirkman et de Tony Moore, et qui explose l’Audimat. Depuis six saisons, elle scotche près de 15 millions d’Américains et des dizaines de millions de spectateurs dans le monde, partageant la lutte pour la survie d’un petit groupe d’individus dans un monde avare de ressources, qui a succombé à une épizootie généralisée transformant les humains en morts-vivants. Un thème qu’Hollywood exploite désormais à loisir, de World War Z à Falling Skies en passant par les séries «Siberia», «Survivor» ou «Colony». Mais cela fait-il encore sourire lorsque la très sérieuse Fema, une agence fédérale en charge de la gestion des plans d’urgence, publie sur son site officiel un guide pour se préparer en cas d’attaques de zombies ?
Quoi qu’il en soit, les pénuries alimentaire et énergétique et la concurrence pour la survie, quand elles sont contées avec talent, garantissent à coup sûr le blockbuster. Ainsi d’Interstellar, le brillant cosmic trip de Christopher Nolan, en 2014, qui s’ouvrait sur une Terre balayée d’exténuantes tempêtes de poussière dues à la surexploitation des ressources naturelles, pour se fermer dans les étoiles, où une station orbitale naviguant dans une faille spatio-temporelle offrait le seul refuge à une humanité menacée. Matthew McConaughey, en sauveur de civilisation, sautait allégrement, en combinaison spatiale, dans les trous de ver et les trous noirs. Utopique ? Le film a été écrit avec la caution du physicien Kip Thorne.
Le cinéma n’est pas le seul à explorer ces univers désolés. En 1982, le scénariste Jacques Lob et le dessinateur Jean-Marc Rochette lançaient leur Transperceneige, un train mythique à 1 001 wagons qui tournait, sans fin et sans but, sur un globe gelé, avec à son bord les derniers survivants d’un cataclysme écologique. L’année dernière, à quelques semaines de la COP21 et devant l’urgence de la crise migratoire, Jean-Marc Rochette lui a donné une suite et une fin, Terminus, écrite avec le scénariste Olivier Bocquet. Cette fois-ci, le train lancé dans sa course folle, dernier bastion de la civilisation, mais qui reproduit les disparités sociales planétaires grandissantes – les plus pauvres, à l’arrière, dans le dénuement, la surpopulation et la famine la plus complète – ; les plus riches, dans les voitures avant – avec Spa, champagne et mets fins –, s’est arrêté. Ceux qui s’accrochent à la vie vont devoir lutter pour elle.
Mais qui sauver, qui laisser mourir ? C’est autour de cette question obsessionnelle que tournent toutes les œuvres de fiction surfant sur les thèmes survivalistes et qu’interroge Blind Sun, le premier film intriguant de la jeune réalisatrice franco-grecque Joyce A. Nashawati. Et qu’interpelle aussi Frédérique Leichter-Flack, maître de conférences en littérature à l’université de Nanterre, dans son brillant essai, Qui vivra, qui mourra. Quand on ne peut pas sauver tout le monde. La chercheuse analyse les logiques de sélection des vies à l’œuvre dans la fiction populaire où président, ces derniers temps, terreur morale, violence psychosociale et anéantissement programmé, pour les mettre en perspective avec des contextes plus réalistes comme l’action sociale ou la santé publique. Qui vacciner en priorité en cas d’épidémies ? Qui évacuer d’abord lorsqu’une guerre se déclenche ? Qui sauver d’un navire dont le nombre de canots est limité ? Son constat rejoint celui fait par l’ingénieur agronome Pablo Servigne et l’écoconseiller Raphaël Stevens, dans Comment tout peut s’effondrer, un hilarant «petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes» qui s’est déjà vendu à plus de 10 000 exemplaires. Ils y pensent, avec lucidité et humour, un scénario inévitable : l’effondrement écologique, financier, économique, culturel et sociétal. Après tout, disent-ils, c’est le grand mythe fondateur de nos sociétés libérales. On peut en rire (Alphonse Allais : «Ne nous prenons pas au sérieux, il n’y aura aucun survivant»). On peut aussi admettre que l’avenir reste entièrement à penser – les seuls utopistes étant ceux qui croient que tout peut continuer comme avant. Mais qu’aurons-nous retenu de ces 1 000 fictions survivalistes, quand viendra la catastrophe que toutes semblent appeler très sadiquement ?
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