Emmanuel Macron ou la fin du volontarisme politique national

Le ministre de l’Economie choisi par Hollande, transgresseur décontracté, restera le meilleur d’entre eux pour incarner l’ère de la postpolitique que gauche et droite pratiquent depuis trois décennies : s’en remettre, par impuissance ou par conviction, au marché régulant tout du sol au plafond. La fin du volontarisme politique national. Macron n’a pas de programme sinon de « s’adapter au monde tel qu’il va ».

Il n’y a pas de mystère Macron. Les médias aiment en inventer parce que le personnage est trop simple : il dit la vérité. La sienne et celle du hollandisme. Ce sont les mêmes. Il suffit de l’écouter. Il n’est pas «l’obligé» du président de la République, mais son meilleur choix, «parce qu’il pense que c’est bon pour le pays», nous a-t-il lui-même expliqué. François Hollande en a d’abord fait son principal conseiller à l’Elysée, recruté avec un CV se limitant à deux expériences : rapporteur de cette fameuse commission Attali (créée par Sarkozy en 2007) qui, un an avant la crise des subprimes, présentait les traders comme des «champions de la finance», et jeune loup prometteur ayant fait fortune à la banque d’affaires Rothschild. Puis il l’a nommé ministre de l’Economie à la place d’Arnaud Montebourg, qui avait cru à la blague de «mon adversaire sans visage, la finance».

Quatre ans après, le visage enfantin du jeune financier devenu ministre dit simplement que le roi est nu. La révélation du hollandisme clame qu’il n’est pas socialiste, que la gauche ne le satisfait pas, qu’il faut dépasser tout ce passé. La droite l’applaudit, admirant en lui le meilleur candidat qu’elle n’a pas. Mais François Hollande ne bronche pas. Par fierté rentrée ou panique muette ? «Va-t-il le garder ou le limoger ?» s’interrogent les gazettes. Dans les deux cas, le transgresseur décontracté restera le meilleur d’entre eux pour incarner l’ère de la postpolitique que gauche et droite pratiquent depuis trois décennies : s’en remettre, par impuissance ou par conviction, au marché régulant tout du sol au plafond. La fin du volontarisme politique national. «En marche !», le mouvement créé par le ministre de l’Economie, fait moins ringard que «La France en marche» de Lecanuet, en 1965. Et moins frustrant que le «Il n’y a pas d’alternative» de Thatcher et Blair. Mais pour dire la même chose : «Cours, camarade, le nouveau monde est devant toi, il faut le rattraper !» Ce suivisme dispense des corvées de la vieille politique : l’analyse de ce qui se passe et le programme pour y remédier.

Macron parle tout le temps mais ne dit rien de l’essentiel.

Macron parle tout le temps mais ne dit rien de l’essentiel. Rien sur les effets destructeurs d’un euro mal conçu et d’une Europe mal protégée sur la désindustrialisation, le chômage et les inégalités. Rien sur «l’oligopole bancaire» qui fait passer la richesse produite par l’économie réelle dans la sphère financière au détriment des salariés et de l’investissement. Un «système d’extorsion» que dénonce aujourd’hui non pas Mélenchon, mais François Morin, ancien économiste de la Banque de France. Macron n’a pas de programme, sinon de «s’adapter au monde tel qu’il va». Son maigre bilan en forme de gadgets illustre ce défaitisme. Entasser dans des bus ceux qui n’ont plus les moyens de monter dans les trains trop chers d’une SNCF de moins en moins au service du public. Envoyer dans les magasins le dimanche ceux qui ne pourront plus consommer assez en semaine avec la fin des 35 heures. S’adapter au désastre scolaire en permettant aux non-diplômés de concurrencer les diplômés. Pendant ce temps, il y a eu plus de suppressions d’entreprises en 2015 qu’en 2014 et le fameux Cice qui devait créer 500 000 emplois aura été une aubaine pour les grands groupes et la grande distribution qui rognent de plus en plus la marge des petites entreprises, qu’ils mettent ainsi en danger.

Emmanuel Macron incarne le paradoxe du suivisme néolibéral qui veut se libérer de la politique mais en a encore besoin, à la fois pour l’installer toujours plus et pour «gérer» ceux qui en pâtissent. Il ne s’agit plus de représenter les citoyens, comme l’exprime son mépris pour les fonctions électives («cursus d’un ancien temps»), mais de les éduquer à la modernité. En faire la pédagogie dans la langue de l’époque : la provoc du rebelle-qui-ose-briser-les- tabous. Petites phrases sur les syndicats, les 35 heures, les fonctionnaires, les aides sociales, toujours dans la même direction donnée naguère par un dirigeant du Medef : «défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance». La politique sert aussi à faire face à la colère et au désarroi des perdants d’une mondialisation pas heureuse pour tout le monde. Car, même s’il y a parmi eux «beaucoup d’illettrés», comme il le relevait à propos des grévistes de GAD, ils ont encore un droit de vote qui s’exprime par la montée du Front national. Pour mettre fin à ce dangereux tripartisme, Emmanuel Macron pense être le mieux placé pour créer cette coalition libérale-libertaire à l’allemande dont rêvent Juppé et Cohn-Bendit. Cela demande aussi un travail méthodique. Etre le chouchou du Medef et de Laurent Joffrin. De Paris Match et de Canal +. Panacher l’ère du temps. Un projet nouveau pour la jeunesse : «Ayez envie d’être milliardaires !» Sans oublier un peu de repentance à propos de ce djihadisme dont nous porterions selon lui «une part de responsabilité».

Voulant rassembler droite et gauche en expliquant que le vrai clivage est «aujourd’hui davantage entre progressistes et conservateurs», Emmanuel Macron s’est aventuré dans le vrai débat. Car Pierre-André Taguieff a montré que le progressisme s’était dégradé en un «bougisme» encensant par principe toutes les nouveautés promues par le capital. Jacques Julliard a expliqué que le peuple avait compris que ce progressisme perverti n’apporte plus la justice sociale, mais la défait. Et, dans le sillage d’Orwell, Jean-Claude Michéa a bien vu que le non-conformisme et la défense de la liberté et de la solidarité se trouvent désormais plus souvent du côté du conservatisme. De la loi El Khomri à la réforme du collège en passant par Notre-Dame-des-Landes, le traité transatlantique et la GPA, où sont les «progressistes» et les «conservateurs» ?…

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