Taxe carbone : quatre meurtres pour la première arnaque écolo

Les fraudeurs à la taxe carbone avaient réussi à soutirer des milliards au fisc. Mais l’aventure a tourné au drame, avec quatre meurtres non élucidés à la clé. Retour sur une affaire toujours mystérieuse, aux multiples ramifications politiques et financières.

Les commentateurs l’ont qualifiée d’arnaque du siècle, ou encore de fraude aux 10 milliards. Eux l’appelaient simplement la «tève». Eux, c’est une poignée d’affairistes issus du milieu franco-israélien, qui ont réussi une culbute inouïe, à la fin de la dernière décennie. Une escroquerie de haut vol qui leur a permis de s’enrichir pour plusieurs générations : le non-versement de la TVA à l’Etat, dans le cadre des «marchés carbone», mis en place en Europe pour des raisons écologiques. Mais le vert a rapidement tourné au rouge, et au noir. Rouge, comme le sang qui a coulé, avec au moins quatre meurtres non élucidés, tous connectés à cette affaire. Noir, comme ce polar, entre amitié, jalousies, entourloupes et règlements de comptes. A partir du 2 mai se tiendra à Paris l’un des procès phares de cette sombre affaire, encore loin d’avoir livré tous ses secrets.

Les escrocs vont ainsi acheter des quotas «hors taxe» dans un pays de l’Union, puis les revendre «TVA comprise» dans un autre. Tout commence en 2005. L’Union européenne décide de mettre en place une bourse du CO2, entièrement dématérialisée, qui permet aux entreprises d’acheter et de vendre des «quotas carbone». L’objectif, louable, est d’inciter les industriels à réduire leurs émissions polluantes. Les instruments utilisés sont ceux en vogue à l’époque : la loi de l’offre et de la demande, et la finance dérégulée. Mais des petits malins vont vite trouver la faille dans ce dispositif : du fait d’un manque d’harmonisation fiscale, la TVA s’applique sur ces transactions dans certains pays, mais pas dans d’autres. Les escrocs vont ainsi acheter des quotas «hors taxe» dans un pays de l’Union, puis les revendre «TVA comprise» dans un autre. En «oubliant» au passage de reverser cette même TVA au fisc du pays où ils ont revendu ces quotas. «Le tout passait par une myriade de sociétés-écrans, de comptes offshore et d’hommes de paille, rendant les flux d’argent impossibles à tracer», témoigne un financier qui a suivi l’affaire de très près. Le temps que les autorités réagissent, les escrocs avaient accumulé un fabuleux pactole : 1,6 milliard d’euros en France entre 2008 et 2009, soit près d’un quart du budget de fonctionnement annuel de la Justice ! Au niveau européen, la fraude aurait même atteint le montant vertigineux de 10 milliards. Excusez du peu.

Pour les aigrefins – quelques dizaines en France, guère plus -, c’est le jackpot. A eux les palaces, les jets et les virées en yacht sur la Riviera. Mais les sommes colossales amassées ne vont pas leur porter chance, suscitant convoitises et rivalités. C’est le cas, notamment, dans l’affaire jugée à partir du 2 mai, qui concerne 12 prévenus, pour la bagatelle de 283 millions d’euros détournés. Un trio est au centre de cette histoire : Arnaud Mimran, 44 ans, golden boy sulfureux issu des beaux quartiers ; Mardoché Mouly, dit «Marco l’élégant», 50 ans, autodidacte, soupçonné dans diverses affaires d’escroquerie ; enfin, Samy Souied, gamin de Belleville surnommé «le Caïd des hippodromes» pour s’être spécialisé dans le blanchiment d’argent sale sur les champs de courses. Lui ne sera pas dans le prétoire ce printemps. Le 14 septembre 2010, vers 20 heures, il est abattu de six balles de 7,65 mm, par deux hommes à scooter, devant le Palais des congrès, à Paris. Il avait débarqué le jour même en provenance de Tel-Aviv, où il vivait, pour parler affaires avec Mimran. Son meurtre n’a toujours pas été élucidé.

Série noire sur tapis vert

Le fiasco financier de la taxe carbone restera également longtemps un fiasco policier, marqué par ces crimes non élucidés.A l’origine, les trois hommes se sont connus lors de soirées poker, une passion dévorante et partagée. «Le Caïd des hippodromes» était même connu pour faire office de banquier au Cercle de l’industrie et du commerce, également fréquenté par Mimran. Souied et Mouly, qui sont proches, cherchent alors un troisième larron pour faire un gros coup sur les quotas de carbone. L’alliance entre les enfants de la rue et le fils de famille semble idéale, d’autant que Mimran apporte son expertise de financier. Lui a fait ses premières armes à la fin des années 90, en participant notamment à la création de sociétés de gestion d’actifs et de courtage en ligne, qui poussent alors comme des champignons. Son nom apparaît au passage dans plusieurs affaires de délit d’initié. Les trois hommes font «tapis» sur la bourse carbone, empochant au passage plusieurs centaines de millions d’euros. Leur fortune est faite. Mimran, en particulier, mène grand train entre soirées dans la jet-set, grosses cylindrées et son luxueux triplex dans le XVIe arrondissement de Paris. Mais la suite prend un tour saumâtre. Des embrouilles surviennent, liées notamment, semble-t-il, à la répartition du magot, et à des dettes non remboursées par Mimran à certains de ses partenaires. Le jour du meurtre de Souied, Mimran lui aurait également proposé un investissement boursier, manière, sans doute, de blanchir l’argent de la taxe carbone.

Quelle était la nature exacte des relations entre les trois hommes ? L’enquête devra le préciser. Toujours est-il que les cadavres se sont accumulés dans la proximité immédiate de cette affaire. Avant le meurtre de Souied, il y avait eu celui d’Amar Azzoug, dit «Amar les yeux bleus». Le 30 avril 2010, il est criblé de balles par deux individus portant des gilets estampillés «police», devant le restaurant Au bois doré, à Saint-Mandé. Azzoug, ancien braqueur et dealer de cocaïne, réputé proche du milieu marseillais, s’était reconverti dans les arnaques financières. Peu avant sa mort, il aurait signalé à la justice avoir été victime de menaces, provenant notamment de Samy Souied.

Un fiasco policier

Le fiasco financier de la taxe carbone restera également longtemps un fiasco policier, marqué par ces crimes non élucidés. Tout comme l’est demeuré, à ce jour, celui de Claude Dray, 76 ans, survenu un an plus tard, dans la nuit du 24 au 25 octobre 2011. L’homme d’affaires, spécialisé dans l’immobilier, est retrouvé mort dans son hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine, abattu de trois balles de 7,65 mm dans le dos. Ce collectionneur d’art est aussi le beau-père d’Arnaud Mimran, avec qui les relations auraient été d’autant plus exécrables que le premier aurait consenti un prêt, non remboursé, au second.

Des relations qui vont de Pierre Botton, avec qui il a été associé en 2005, à Patrick Bruel, partenaire de poker, jusqu’au député UDI Meyer Habib, ou à un policier de la DGSIUn quatrième meurtre survient enfin, le 6 avril 2014, celui d’Albert Taïeb, homme de main de Cyril Mouly, lui-même cousin de Mardoché Mouly et proche de Samy Souied. Cyril, «The Frenchman», bien connu des fans de poker pour ses mises faramineuses aux tables de l’hôtel Bellagio, à Las Vegas, a également été condamné à cinq ans de prison pour une fraude aux encarts publicitaires. Ce soir-là, Mouly parvient à échapper à des agresseurs qui l’attendent dans la cage d’escalier de son immeuble du VIIIe arrondissement de Paris. Mais pas Taïeb, 60 ans, qui succombe aux multiples coups de couteau qui lui sont portés. Cyril Mouly avait lui aussi un contentieux financier avec Mimran. Ce dernier, également soupçonné dans une sombre histoire d’enlèvement d’un trader suisse en 2015, se trouve ainsi au cœur des interrogations des enquêteurs, alimentées par le témoignage de proches des victimes, dont certaines sont convaincues qu’il est le commanditaire de certains de ces meurtres. Sollicité, son avocat, Me Jean-Marc Fedida, n’a pas répondu à nos appels.

Pour corser encore le tout, les juges ont retrouvé la trace d’un prêt de 4 millions d’euros effectué en 2012 par Mardoché Mouly à… Thierry Leyne, l’associé de Dominique Strauss-Kahn dans le fonds LSK. Le 23 octobre 2014, Leyne a été retrouvé mort à Tel-Aviv, après une chute du 23e étage de la luxueuse tour Yoo, où il résidait. La police israélienne avait conclu à un suicide.

Les vacances d’Arnaud Mimran et Benyamin Netanyahou

Mais l’affaire a encore pris un tour nouveau après la révélation par Mediapart, début mars, des accointances multiples d’Arnaud Mimran. Des relations qui vont de Pierre Botton, avec qui il a été associé en 2005, à Patrick Bruel, partenaire de poker, jusqu’au député UDI Meyer Habib, ou à un policier de la DGSI, avec qui, selon les dires de Mimran aux enquêteurs, il serait en relation. Ou encore le boxeur Farid Khider, impliqué avec Mimran dans le fameux dossier d’enlèvement : tous deux ont été mis en examen dans cette affaire pour «enlèvement et séquestration en bande organisée», «extorsion en bande organisée», «association de malfaiteurs» et «blanchiment».

Mais le nom qui a le plus retenu l’attention est celui du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Toujours selon Mediapart, qui publie une photo de «Bibi» en vacances décontractées à Monaco, en août 2003, avec Arnaud Mimran, la famille de ce dernier «a aidé le Likoud et prêté au début des années 2000 son appartement de l’avenue Victor-Hugo (Paris XVIe) à Netanyahou». Le Premier ministre israélien, après les avoir démenties, a finalement été contraint de confirmer ces relations d’argent nouées avec la famille Mimran, mais il maintient n’avoir jamais rien su des activités illégales d’Arnaud Mimran au cours de ces années. Des activités sur lesquelles la justice continue aujourd’hui d’enquêter.

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