L'Ange de la mort officiait en blouse d'infirmière

A l’hôpital de Piombino, non loin de Pise, la mort par hémorragie frappait des malades dont les jours ne semblaient pas en danger. Atteints de pathologies variées, ils n’avaient en commun que leur infirmière, Fausta Bonino, quinquagénaire jusque-là irréprochable.

Il y avait le silence ponctuellement brisé par le bruissement des moustiques en quête de proie et l’odeur insupportable d’eau de Javel propre aux hôpitaux. L’air était moite car il faisait particulièrement chaud cet été-là. Un peu de fraîcheur arrivait avec la tombée de la nuit, mais si peu. Toute cette atmosphère tropicale épuisait les patients et le personnel médical en sous-effectif. Dans sa chambre située au premier étage, dans le service de réanimation de l’hôpital de Piombino, en Toscane, Marcella Ferri avait du mal à s’endormir. Et non pas parce qu’elle souffrait. La vieille femme âgée de 87 ans allait plutôt bien après deux opérations considérées comme faisant partie de la routine par les médecins, l’une à la hanche, l’autre au cœur pour une petite insuffisance cardiaque. Elle était tout simplement légèrement agitée. Son fils unique, Francesco, un grand gaillard à l’air solide, lui tenait la main en lui disant des mots doux pour l’aider à s’endormir. Et puis, l’infirmière est entrée. Elle s’est approchée de Marcella et lui a injecté un produit dans le bras. Puis elle lui a caressé la joue en disant : « Tu vas voir, maintenant tu vas bien dormir. » Une heure plus tard, la vieille dame meurt d’une hémorragie.

Treize morts en quatorze mois, soit presque une moyenne de un par moisCela s’est passé le 9 août 2015 aux environs de 8 heures du soir. Un mois et demi plus tard, un autre patient d’une soixantaine d’années hospitalisé dans le même service pour une fracture du péroné, meurt dans des conditions identiques. La direction de l’hôpital commence à s’interroger. Depuis un an, le taux de mortalité s’est sacrément emballé. Treize morts en quatorze mois, soit presque une moyenne de un par mois, cela fait beaucoup. Et puis ces morts-là, ils n’étaient pas particulièrement à l’agonie, s’énerve Michele Casalis, anesthésiste et chef du service de réanimation durant une réunion au sommet avec la direction hospitalière. Certes, tous n’étaient plus très jeunes, certains avaient passé le cap des 80 ans. Mais, tout de même, une fracture de la hanche ou du fémur, cela n’a jamais tué personne ! Un détail fait toutefois tiquer tout le monde : à chaque décès, la même infirmière était de garde. Elle s’appelle Fausta Bonino. Agée de 56 ans, cette grande brune toute en longueur aux cheveux noir corbeau coupés au carré travaille dans la santé depuis trente ans. Une femme apparemment sans histoire, mariée et mère de deux garçons aujourd’hui âgés d’une trentaine d’années. En octobre 2015, soit quinze jours après la mort d’un patient décédé le 29 septembre, Fausta Bonino est mutée dans un autre service. Cela ne lui plaît pas, à la grande brune, elle se sent diminuée professionnellement. Aussi, elle décide de porter plainte devant le tribunal administratif régional. « Je suis comme une voiture, garée dans un parking. Je ne fais rien toute la journée », dit Fausta Bonino à son défenseur.

LA DAMNATION DE FAUSTA

Au fil des jours, l’infirmière se sent glisser, happée par un grand trou noir. Le diagnostic de son médecin de famille qui la place en congé maladie est formel : dépression aiguë. Il lui prescrit les petits remontants de routine, des modulateurs de l’humeur, des antidépresseurs.

Lorsque Fausta reprend sa place à l’hôpital, elle n’est plus tout à fait la même. Selon ses collègues, elle tenait des discours décousus et, surtout, dépourvus de sens. « Il faut que j’aille vite à Rome pour faire un électroencéphalogramme, je crois que je souffre d’épilepsie, parfois je ne comprends plus rien », a confié l’infirmière à une collègue au cours d’une conversation téléphonique. A une autre elle a dit : « Parfois, je suis plus très sûre de moi et je me dis que je fais peut-être des choses sans m’en rendre compte, Paola, qu’est-ce qu’il m’arrive ? » Le fait est que Fausta Bonino, décrite par les enquêteurs comme une femme diabolique, perverse et d’une froideur exceptionnelle, commence à se sentir suspectée. Après la mort par hémorragie le 9 janvier 2015 d’une patiente hospitalisée pour une simple fracture, la direction de l’hôpital a ouvert une enquête interne. « Cela commençait à faire beaucoup, tous ces décès par hémorragie. Nous avons pensé qu’il y avait peut-être un lien entre tous ces morts. Alors nous avons examiné et comparé les dossiers médicaux de huit d’entre eux. L’explication collait. Aussi, nous avons porté plainte le 18 mai 2015 en signalant aussi les cinq autres décès suspects », raconte Maria Teresa De Lauretis, directrice générale du centre hospitalier. C’était avant la mutation de l’infirmière dans un autre service.

Peu à peu, l’étau se resserre et la grande brune change de tactiqueLe téléphone de Fausta Bonino est placé sur écoute et ses déplacements sont contrôlés. Sa vie est passée au peigne fin par les carabiniers du NAS, l’équivalent italien de l’Oclaesp, l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Apparemment, sa vie n’a rien d’anormal. Son mari ne la trompe pas, ses enfants ont réussi dans la vie, l’un est médecin, l’autre, cuisinier dans un grand restaurant parisien. Côté finances, le couple ne roule pas sur l’or. Mais le salaire de l’infirmière et la retraite de son mari, Renato Di Biagio, ex-cadre des aciéries Lucchini, leur permettent de s’offrir quelques extras, des voyages à Paris pour voir leur fils, un restaurant de temps en temps. Ils habitent un troisième étage sans ascenseur situé sur les hauteurs de Piombino, dans un nouveau quartier. Peu de magasins, beaucoup d’immeubles carrés construits sur quatre étages pour éviter l’effet cage à lapins. Lorsque Fausta est de garde le soir, Renato Di Biagio fait un peu de footing et joue au football avec les gamins du quartier pour meubler l’attente et garder la forme. Le couple est apprécié par ses voisins dont certains ne tarissent pas d’éloges sur l’infirmière. « Une femme bien, très sympathique qui a une certaine allure », confie une voisine aux enquêteurs. « Ils sont tellement gentils, elle et son mari, toujours prêts à rendre service. Elle a une façon de faire si exquise ! » raconte une autre aux carabiniers.

Les carabiniers, pour leur part, brossent un tout autre portrait. Dans leur rapport, ils parlent d’une femme calculatrice et impitoyable. Une femme qui aurait « essayé de se forger un réseau de solidarité parmi ses collègues lorsqu’elle a commencé à se sentir visée ». Ils évoquent aussi une « personnalité détraquée sur le plan psychique ». En bref, le portrait-robot du parfait ange de la mort dressé sur la base des écoutes téléphoniques et des comptes rendus de ses collègues qui ont amplement rapporté les faits et gestes de Fausta Bonino durant les huit derniers mois. Au départ, les enquêteurs n’ont pas grand-chose. Mais, au fil des semaines, leur dossier s’épaissit rapidement. Et tout ce qui s’y accumule n’arrange pas la situation de l’infirmière, au contraire. Au lendemain de la mort de Bruno Carletti, l’une de ses victimes présumées, Fausta téléphone à une collègue. « Dis-moi, Sandra, j’ai un trou de mémoire. Qui lui a fait son dernier prélèvement de sang, toi ou moi ? interroge l’infirmière. – Non, Fausta, c’est bien toi qui t’en es occupée », répond son interlocutrice. Lorsque la direction de l’hôpital ouvre son enquête, elle badine avec l’humour noir. « Dis, Paola, si vous devez faire claquer quelqu’un, faites- le avant que je ne revienne au travail parce que, s’il y en a trois qui y passent le jour de mon retour, c’est pas terrible pour moi… » ironise Fausta Bonino durant une conversation téléphonique avec une collègue.

Peu à peu, l’étau se resserre et la grande brune change de tactique. Elle joue la carte de la femme effondrée. « Tous ces morts, j’en rêve la nuit. C’est impossible qu’ils meurent tous seulement quand je suis de garde. Il doit bien y avoir une explication ! » hurle Fausta, au téléphone avec un autre collègue. Puis elle tente de fourvoyer les limiers de l’hôpital. « Quelqu’un avec qui j’ai parlé m’a dit que le ou la coupable pourrait bien être quelqu’un de l’extérieur… » confie l’infirmière à un médecin pendant une pause-café. L’étau se resserre un peu plus et Fausta commence à perdre pied. Du moins côté jardin. Elle demande à ses collègues si on leur a posé des questions sur elle, si on les a interrogés sur ses compétences professionnelles, sur sa façon d’être avec les patients. En consultant les dossiers médicaux de ceux qui sont morts, en comparant les feuilles de présence de Fausta avec les dates des décès, la direction de l’hôpital et les carabiniers commencent à recouper les informations. Comment se fait-il que l’on ait trouvé de l’héparine dans le sang de chaque cadavre ? Pourtant, ces patients n’avaient pas besoin d’un anticoagulant, qui plus est en dose aussi importante. Le début de l’épilogue commence le 30 mars dernier. « On la tient », disent les carabiniers au juge d’instruction, qui signe immédiatement un mandat d’arrêt.

TOUT L’ACCUSE, ELLE NIE

Son visage ne trahit aucune émotion, même pas au moment des menottes devant les autres passagersIl est tard et l’infirmière vient d’atterrir avec son mari à l’aéroport de Pise. Le couple revient de Paris. Lorsque les carabiniers l’arrêtent, Fausta Bonino reste de marbre. Son visage ne trahit aucune émotion, même pas au moment des menottes devant les autres passagers. Malgré l’heure tardive, elle est déférée devant le juge d’instruction, qui signe l’ordre d’incarcération immédiate. Il lui remet une copie du mandat d’accusation, les charges sont lourdes : homicides volontaires multiples, cruauté, violation du serment d’Hippocrate. L’infirmière est aussi accusée d’avoir profité de la faiblesse de ses victimes présumées. Le juge a également transcrit une phrase prononcée par Fausta, des mots terribles qui puent la mort. « Je lui fais cette piqûre pour qu’elle puisse dormir », a dit l’infirmière au fils d’une patiente qui meurt une heure plus tard. Elle ne savait pas que les carabiniers avaient caché des minimicros dans les chambres des patients dont elle avait la responsabilité et que ses propos étaient systématiquement enregistrés.

Incarcérée dans la prison de Pise, Fausta Bonino est, paraît-il, une détenue modèle. Elle discute avec ses compagnes enfermées dans le carré des femmes, mange peu, lit beaucoup et écrit encore plus. Chaque jour, elle peaufine sa ligne de défense bâtie sur l’affirmation de son innocence. Toujours bien coiffée, vêtue d’un pantalon et d’un pull noirs, un long foulard en cachemire rose vif autour du cou, comme pour casser la grisaille de la prison et la sienne, Fausta compte les heures qui la sépare, dit-elle, de la liberté. Car elle ne démord pas de son innocence malgré les preuves accablantes comme l’enregistrement de ses conversations. Elle veut garder la tête haute. « Elle se défendra jusqu’à la mort, elle me l’a dit », déclare son avocate, Me Cesarina Barghini, qui l’a déjà rencontrée trois fois, et ajoute qu’elle ne pleure jamais. Absence de remords ou délire psychiatrique, comme le laissent entendre quelques spécialistes interrogés par le magistrat ?

Lorsque le juge est venu il y a quelques jours pour l’interroger, Fausta a juré une fois de plus sur la tête de son mari et de ses deux enfants qu’elle n’avait rien fait, qu’elle n’est pas cette horrible tueuse en série dont parle la presse. Elle se bat bec et ongles et jure qu’elle portera plainte contre les enfants des patients morts qui l’accusent, lorsque tout sera fini. Dehors, protégé par ses voisins, son mari hurle sa douleur et sa détresse. « Ma femme n’est pas un monstre, elle n’a rien fait, je le jure. Je la connais bien, après tout, cela fait trente ans qu’on est ensemble ! » a crié Renato Di Biagio devant les caméras de télévision il y a quelques jours. Le procès devrait s’ouvrir à l’automne prochain.

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