Jeudi 13 avril, le Parlement européen a voté à une large majorité la directive sur le secret des affaires. Parmi les eurodéputés français, seuls les Verts et les élus du Front de gauche s’y sont opposés. Pascal Durand, ancien secrétaire national d’EELV et député européen, explique à « Marianne » les raisons de ce vote et les dangers de cette directive.
Dans sa pétition, Elise Lucet n’est pas franchement du même avis : « Avec la directive qui sera bientôt discutée au Parlement, toute entreprise pourra arbitrairement décider si une information ayant pour elle une valeur économique pourra ou non être divulguée. Autrement dit, avec la directive ‘Secret des Affaires’, vous n’auriez jamais entendu parler du scandale financier de Luxleaks, des pesticides de Monsanto, du scandale du vaccin Gardasil… Et j’en passe. »
Marianne : Pourquoi les eurodéputés français verts ont-ils voté contre la directive sur le secret des affaires ?
Pascal Durand : Pour une raison simple : cette directive sur le secret des affaires se base sur de fausses justifications. C’est le plus gros enfumage que j’ai vu depuis que je suis eurodéputé. C’est un mensonge institutionnel. Les deux arguments mis en avant par ses défenseurs sont, d’une part, qu’elle va permettre de protéger les PME et de l’autre, accroître la protection des salariés. Mais vous imaginez bien que ce n’est pas franchement l’inquiétude du boulanger du coin que de se faire voler des informations sur son entreprise… Soyons sérieux !
En réalité, cette directive n’est destinée qu’à permettre aux grandes entreprises d’estampiller sous le sceau du secret des affaires tous les éléments qu’elles voudront. Cette directive crée un « socle », c’est le mot utilisé, du secret des affaires. Toutes les informations liées à l’entreprise seront protégées par le secret des affaires, sauf celles qu’elle décide de rendre public. Nous sommes dans une inversion complète du mouvement pour la transparence ! Le principe étant que tout est opaque, à part ce qu’a décidé de révéler l’entreprise.
L’autre idée avancée, notamment parmi les socialistes européens, est qu’elle permet d’accroître la protection des salariés dans la révélation d’affaires. C’est faux ! La directive, et il a fallu se battre pour obtenir cette petite avancée, ne protège que dans des conditions très limitées les représentants du personnel et, dans les pays européens qui n’en n’ont pas, les salariés qui ont agi dans l’intérêt collectif. Concrètement, si un agent d’une centrale nucléaire découvre une fissure sur une cuve, il ne pourra pas agir directement. Quant aux lanceurs d’alerte, ils ne seront protégés que s’ils dénoncent un acte illégal, un fait inapproprié ou contre l’intérêt général. Qu’est ce qu’un fait inapproprié ? On ouvre ici la porte à l’arbitraire total. C’est un texte qui va clairement empêcher le travail d’investigation des journalistes en tarissant leurs sources.
Une inversion complète du mouvement pour la transparence !
Ce 26 avril s’ouvre justement au Luxembourg le procès du journaliste Edouard Perrin et de deux lanceurs d’alerte dont Antoine Deltour, à l’origine des révélations du Luxleaks. Cette directive serait-elle en mesure de les protéger ?
Pas du tout. Etant donné que Edouard Perrin et Antoine Deltour n’ont pas révélé des faits illégaux puisque les accords fiscaux au centre de ce scandale ont été réalisés avec l’accord du Luxembourg, ils ne sont pas protégés par cette directive. Ils ont dénoncé des faits licites dans un pays mais qui vont contre l’intérêt général européen. Ce qui prouve bien que les députés qui ont défendu et voté cette directive sont de mauvaise foi en avançant l’argument de la protection des PME ; c’est que l’origine du texte date de 2013 et de l’association BusinessEurope, le grand Medef européen… Si nos amis socialistes avaient été de bonne foi, ils auraient appuyé le groupe des Verts européens pour faire pousser, en parallèle de cette directive sur le secret des affaires, une directive qui protège vraiment les lanceurs d’alerte. Nous sommes allés dans ce sens en voulant faire passer en conférence des présidents un report de vote. Sauf que les socialistes ont voté contre. On voit bien leur volonté de faire écran de fumée. Derrière les mots et les postures, les votes du groupe socialiste parlent pour eux.
Le FN s’aligne sur le PPE et vote selon le souhait du Medef européen
L’autre surprise vient du vote des parlementaires Front national qui dénoncent constamment la collusion du vote « UMPS » au niveau national et ont pourtant voté main dans la main cette directive avec le PPE et le PSE…
Ne soyez pas surpris ! A chaque fois que les intérêts des grandes entreprises sont en jeu, le Front national vote avec la grande coalition. Sur le terrain national, ils expliquent qu’ils protègent les petits contre les grands. Au niveau européen, ils s’alignent sur le PPE et votent selon le souhait du Medef européen. N’oubliez pas que le grand défenseur de la doctrine Reagan et Thatcher en France n’était autre que Jean-Marie Le Pen lui-même.
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