Ce voile qui ne passe (décidément) pas

Le marché, version économique de « l’idiot utile », n’a pas de morale et la stratégie commerciale de la « mode islamique » est aussi banale que légale : l’offre répond à la demande. Mais s’en prendre à l’offre permet d’éluder la gêne face à la demande. Une gêne qui ne cesse de monter.

C’est une drôle d’épidémie. Ils craquent tous. Ils s’inquiètent du voile islamique parce qu’il ne prolifère plus seulement dans la rue, mais dans les pages mode des magazines. «Choquée», Laurence Rossignol, ministre des Droits des femmes, dénonce une «promotion de l’enfermement du corps des femmes». Jean-Luc Mélenchon, scandalisé que l’on parle de «mode décente» à propos de ces «mœurs étranges», y voit la validation du «point de vue religieux le plus obscurantiste». Ils s’en prennent aux marques qui investissent dans la muslim fashion, faisant appel à leur «responsabilité». Mais la ministre s’égare en contestant leur liberté de commercer, seul leur boycott est défendable, comme l’a bien vu Elisabeth Badinter. Et l’ancien trotskiste a oublié ses classiques. Lénine l’avait dit : «Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons.» Aujourd’hui, ils vendent du voile islamique. Le marché, version économique de «l’idiot utile», n’a pas de morale et cette stratégie commerciale est aussi banale que légale : l’offre répond à la demande. Mais s’en prendre à l’offre permet d’éluder la gêne face à la demande. Une gêne qui ne cesse de monter.

S’en prendre à l’offre permet d’éluder la gêne face à la demande.

Légal, le voile ne passe toujours pas. Une contradiction refoulée depuis l’emblématique affaire de la candidate voilée du NPA d’Olivier Besancenot dans le Vaucluse, lors des régionales de 2010. Elle a fait scandale et le parti d’extrême gauche ne s’en est jamais remis, sans que la question ait vraiment été débattue. Parce que, juridiquement et logiquement, rien ne s’opposait à cette candidature. Mais il n’a jamais été question de logique à propos du voile. Lors de son apparition, il y a une trentaine d’années, les Français ont majoritairement réagi comme Laurence Rossignol aujourd’hui. Et Emmanuel Todd, qui travaillait encore sur les problèmes d’immigration, les soutenait : «On interprète le refus du voile comme signe d’intolérance, voire de xénophobie. C’est exactement le contraire ! Nous sommes pour le métissage, pour le mélange des populations. Et cela est incompatible avec la préservation de cultures immigrées.» Le démographe approuvait l’opposition à la «volonté musulmane d’affirmer sa différence». Notamment par ce voile, symbolisant «l’enfermement de la femme et le refus de l’échange matrimonial, incompatibles avec les traditions françaises», et complément du machisme d’hommes «élevés par des parents qui leur disent qu’ils sont tout».

Mais la gauche n’a pas écouté Todd. Ni Jean Daniel, qui mettait alors en garde dans le Nouvel Observateur contre un «droit du sol sans l’intégration dans les traditions du pays d’accueil» : «Ce qui choque, irrite et déconcerte, c’est que les invités d’un Etat n’aient pas la politesse de respecter les lois de leurs hôtes.» La gauche ne les traitait pas encore d’islamophobes. Elle se divisait alors entre les adorateurs d’une altérité que Jack Lang poussait jusqu’à la démagogie («Je trouve ces foulards très seyants, ils mettent en lumière les beaux visages de ces jeunes filles !») et les optimistes sûrs de leur supériorité progressiste, qui rassuraient : «Cela va leur passer !»

«Le foulardisme est un intégrisme politique.»

C’est l’inverse qui s’est passé. Il y a vingt ans, Jacques Chirac expliquait : «Il faut chasser ces choses, ce sont de vieux fantasmes qui ne sont ni dans notre culture ni dans notre tradition.» Et son ami Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, renchérissait : «Le foulardisme est un intégrisme politique.» L’année dernière, le même Boubakeur, symbole de «l’islam modéré», devenu président du Conseil français du culte musulman (CFCM), créé par Sarkozy pour accoucher d’un «islam français», a promulgué une «Convention citoyenne des musulmans de France pour le vivre-ensemble» dont l’article 5 («Tenues vestimentaires») prescrit le port du voile pour les femmes…

Loin de le banaliser, cette officialisation d’un voile de plus en plus visible accroît le malaise qu’il suscite. D’abord chez les femmes découvertes, d’emblée désignées comme coupables de provoquer le désir, et dont la féminité est ravalée en appâts sexuels indécents. Mais aussi chez les hommes, que le voile agresse doublement, signifiant à tous qu’ils sont préjugés obsédés sexuels incapables de se maîtriser à la vue du corps féminin, et aux non-musulmans que celles qui le portent leur sont interdites. Ce refus de l’altérité inquiète aujourd’hui les tenants d’un multiculturalisme qui l’a favorisé au nom de l’altérité. Et laisse impuissants les tenants d’une laïcité qui ne peut rien contre ce puissant séparatisme identitaire qui mine un «vivre-ensemble» dont l’incantation révèle la disparition.

«La mode est laïque !» s’insurge à tort Agnès B. «La mode est là pour embellir les femmes !» ajoute Pierre Bergé, estimant que la République n’a pas «inventé les droits de l’homme pour faire ces choses-là». Mais s’enlaidir est un droit de l’homme. Et les rapports entre sexes ne datent ni de 1789 ni de 1905. C’est une vieille histoire qui s’affine depuis le Moyen Age chrétien, la Cour royale et les salons des Lumières. Une subtile et fragile culture qui soumet le jeu permanent et public de la séduction à la double règle du respect et de la liberté. Des mœurs non écrites aujourd’hui menacées par une immigration de peuplement qui les déteste. Voilà pourquoi Julien Dray s’empresse de nous convaincre que «le vrai débat, ce sont les marques». Dépassé, l’apôtre du «droit à la différence» préfère se venger sur les marchands du Temple.

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