David Lagercrantz s’est toujours vu en haut de l’affiche

On lui doit le quatrième tome de « Millénium », mais l’ancien journaliste avait écrit auparavant « Indécence manifeste », roman semi noir où il revient sur la fin tragique d’Alan Turing, mathématicien anglais de génie, décrypteur des codes nazis mais considéré coupable d’homosexualité. Il est présent à Quais du polar pour présenter cet ouvrage, il assume totalement son appétit de réussite.

Quand il était journaliste, le Suédois David Lagercrantz détestait être relégué à la page 15 de l’Expressen, le tabloïd pour lequel il travaillait. Ce qu’il lui fallait c’était la Une, rien d’autre. C’est d’ailleurs pour cela qu’il avait choisi la rubrique des faits divers, là où on peut faire claquer l’info, mettre en scène des voyous et des assassins. Bref, là où fouiller le tragique de l’humanité est un devoir.

Devenu écrivain au début des années 1990, il traque la même dimension tragique de l’humanité. Avec autant d’impatience, de stress et d’envie d’être dans les vitrines des librairies que celle qui tenaillait le jeune reporter qu’il fut. Pour la gloire, mais aussi pour vendre. « L’écriture est aussi un business, reconnaît-il. Et alors ? Où est le mal ? Dans la presse, on choisit de monter un sujet à la première page pour vendre le journal non ?»

Pas question pour lui de se confronter à des demi-sel. « Je recherche la créativité chez mes personnages, explique-t-il. Et ces gens-là sont les plus sensibles à l’extrême. » Il lui faut donc des héros à la mesure de son ambition. Des aventuriers, des inventeurs, des stars, voilà son vivier.

Il s’est fait connaître en France pour avoir écrit une biographie du joueur de foot vedette du Paris Saint-Germain, son compatriote Zlatan Ibrahimovic, tout simplement titré Moi, Zlatan Ibri… (Lattès, 2013). Et pour avoir été l’auteur de substitution du contesté Millénium 4 (2015) : il prenait la suite de Stieg Larson décédé en 2004 en laissant sa série à succès inachevée. Dans sa Suède natale, le succès était venu quelques années plus tôt, en 2009, avec un livre brillant qui commence en polar et qui se termine en roman noir, Indécence manifeste, désormais traduit en français (Acte Sud).

Celui dont l’inspecteur Leonard Corell cherche à élucider la mort se nomme Alan Turing, mathématicien anglais bien réel. Il a été trouvé mort dans son lit un matin du printemps 1954. A côté de lui, sur sa table de chevet, un pomme croquée imprégnée de cyanure. Tout laisse à croire qu’il s’est suicidé. Mais alors, pourquoi était-il surveillé depuis plusieurs semaines par les services secrets ? Très vite Léonard Corell découvre que le mathématicien avait été poursuivi pour indécence manifeste : Alan Turing était homosexuel dans une Angleterre où cette orientation sexuelle était un délit, passible de prison. Tout aussi rapidement, il se rend compte que son macchabée est un génie considéré comme un précurseur de l’intelligence artificielle, héros de la Seconde Guerre mondiale pour avoir cassé les codes de cryptage nazi.

David Lagercrantz est un bon écrivain, incontestablement. Mais il reste marqué par ses années de journalisme. Son enquêteur, Leo Corell est un personnage complexe, remarquablement construit, tourmenté par ses découvertes, aussi bien par l’aspect scientifique sensible du dossier que par l’homosexualité du suicidé. L’auteur le reconnaît lui même : « Corell est plus journaliste que flic ». Comprendre l’objet de son enquête l’intéresse davantage que l’enquête elle-même. L’enquêteur devient le reporter de ce personnage étonnant et visionnaire que fut Alan Turing. Comment vivait-on l’homosexualité dans cette Angleterre des années 50 ? Dans quel cerveau a pu naître ce qui permet aujourd’hui à chacun de disposer d’un ordinateur ? Turing a-t-il été assassiné ? Le journaliste fouille et l’auteur raconte. « Rien ne prouve le meurtre, lâche-t-il finalement. Mais tout montre en tout cas que la société anglaise de l’époque l’a mis à mort. »

David Lagercrantz aime être à la Une ? Avec Indécence manifeste, Il mérite la manchette. 
Indécence manifeste de David Lagercrantz. Actes Noir. 23 euros.

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