Maladies du futur : docteur, j'ai mal à mon œil bionique !

Les avancées vertigineuses d’une science démiurge associées à la technologie connectée révolutionnent non seulement la médecine, mais aussi notre façon d’être malade. Désormais, de nouvelles pathologies surgissent. Check-up pas si imaginaire que ça.

«Mon rein imprimé en 3D fait des siennes… c’est grave, docteur ? Et puis j’ai avalé de travers ma gélule détectrice de cancer. Quant à mon œil bionique, il me graaaatte…» Dans un futur pas si lointain, voilà certains des maux dont nous nous plaindrons peut-être. Heureusement, nos médecins seront disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, dans notre poche ou au fond de notre sac à main, coincés entre Instagram et Tinder – ce qui jadis servait à passer des coups de fil faisant désormais office de dermato 2.0 (capable de diagnostiquer un grain de beauté suspect), de cybergénéraliste (surveillant toutes nos constantes en temps réel) ou de pharmacien (nous rappelant à l’ordre lorsqu’on oublie un comprimé)…

Depuis quelques années, les progrès de la science et de la technologie connectée révolutionnent la médecine, la façon de se soigner, et aussi la façon d’être malade. «Nous souffrons aujourd’hui de maladies qui n’existaient pas dans le passé, note Anne-Caroline Paucot, auteur et animatrice du site La Santé demain*. Avec les évolutions technologiques, climatiques et sociétales, de nouveaux dysfonctionnements vont apparaître. Ils seront liés tant aux nouvelles technologies qu’à l’évolution des traitements et des modes de vie.» Un bras ou un cœur défaillants peuvent d’ores et déjà être remplacés. Des chercheurs s’appliquent à imprimer de la peau et des organes dans leurs laboratoires. L’ADN d’un bébé peut techniquement être décrypté avant même qu’il ne naisse, les pathologies auxquelles il pourrait être sujet des années et des années plus tard peuvent être repérées… Face aux avancées vertigineuses d’une science démiurge, il faut, bien entendu, poser les questions des conséquences éthiques et médicales…

Qu’allons-nous faire de nos journées jusqu’à notre 259e anniversaire ?

«Science sans conscience n’est que ruine de l’âme» : depuis Rabelais, on n’a guère dit mieux. Entre espoirs thaumaturges et menaces eugénistes, les «progrès» de la médecine fascinent et enthousiasment autant qu’ils effraient, sur le plan philosophique, sanitaire et médical. Comment notre organisme va-t-il réagir à l’implantation de dispositifs médicaux de tous ordres, capables non plus seulement de réparer mais aussi d’augmenter les hommes, pauvres mortels que nous étions ? Qu’allons-nous faire de nos journées jusqu’à notre 259e anniversaire ? Pourrons-nous refuser de savoir à quelles maladies nos gènes nous exposent ? Les écrans omniprésents vont-ils nous transformer ? Se dirige-t-on vers une société transhumanisée, composée d’individus aux capacités artificiellement dopées et d’autres considérés comme atteints d’«anormalité» ? «On a intérêt à ne pas entrer dans une société « normalisée », car la vie va être triste !» avertit Guy Vallancien, chirurgien, membre de l’Académie de médecine et auteur de la Médecine sans médecin ? (Gallimard, 2015). «Mais la nature humaine est bien faite, nous saurons résister», rassure-t-il. D’autant que d’autres défis s’annoncent, à l’échelle mondiale, bien au-delà de nos petits nombrils connectés : soigner les maladies qui n’ont toujours pas de traitement, faire face à l’émergence de nouvelles épidémies, aux virus qui apparaissent, réapparaissent, mutent, mais aussi combattre les méfaits du changement climatique, remédier à l’antibiorésistance…

Pour amorcer le débat sur toutes ces problématiques, Anne-Caroline Paucot s’est amusée à baptiser ces petits et grands maux dont nous souffrirons demain. «Nommer les choses permet de montrer que cela existe et d’entamer une réflexion. Il y a plein de sujets sur lesquels on n’arrive pas à réfléchir justement parce qu’on ne sait pas les nommer.» Nous reprenons ici un certain nombre de ces maladies, plus ou moins graves, plus ou moins probables, mais révélatrices, comme dans toute bonne science-fiction, d’un mode de vie transfiguré dans un futur pas si lointain. Check-up presque pas imaginaire.

 

La coudinite

Un SMS, une vidéo trop mignonne d’un bébé panda, une partie de «Candy Crush». Une vérification, juste comme ça, pour rien, histoire d’être sûr de n’être passé à côté d’aucune notification. Chaque jour, les têtes des Français dans leur totalité se penchent 900 millions de fois sur un téléphone, selon la dernière enquête Deloitte sur les usages des mobiles. Si, en moyenne, nous sommes 28 % à consulter notre smartphone jusqu’à 25 fois par jour, la moitié des 18-24 ans s’en inquiète quotidiennement 50 fois, et 6 % poussent l’addiction jusqu’à regarder leur portable plus de 200 fois par jour. A chaque coup d’œil, le cou et les épaules sont mis à contribution : la tête humaine pèse entre 4,5 et 5,5 kg, et il n’est pas naturel de la maintenir penchée en avant de façon prolongée ! Résultat : des douleurs dans la nuque, au niveau des épaules, des maux de tête… Et la coudinite, aussi connue sous le nom de text-neck, n’est pas la seule blessure que peut provoquer une addiction au portable. Près des trois quarts des 18-24 ans et 36 % des 45-54 ans restent le nez collé à l’écran de leur smartphone lorsqu’ils marchent. Pour éviter les chevilles qui se tordent à cause d’un nid-de-poule non repéré, la glissade sur une plaque de verglas ou le genou défoncé par un poteau en fer, certaines villes ont mis en place des voies pédestres réservées aux utilisateurs de téléphone, pour qu’ils puissent marcher et envoyer un texto en toute sécurité…

 

L’épichronicité

On connaissait le chikungunya et Ebola. H5N1 et le Sras nous ont fait trembler. Aujourd’hui, c’est Zika qui inquiète. Le virus sévit depuis plusieurs semaines sur le continent américain. Il se propage très rapidement, transmis par le moustique Aedes aegypti. Pour l’heure, il n’existe aucun moyen de prévention ni de traitement. Une piqûre peut provoquer fièvre, maux de tête, éruption cutanée et est particulièrement grave pour les femmes enceintes : le virus se transmet au bébé encore dans le ventre de sa mère, générant d’importantes malformations neurologiques. Dans un certain nombre de pays, les autorités ont recommandé aux femmes de reporter leur projet de grossesse. Après Zika, soyez-en sûrs, ce sera un autre virus qui nous menacera. Les épidémies constituent l’un des grands défis des années à venir. Tandis que certains virus apparaissent, d’autres, déjà connus, refont surface, mutent. Entre les flux incessants de personnes, la mondialisation, ils peuvent se transmettre en quelques heures seulement. Avec le changement climatique, de plus en plus de zones du globe vont être sujettes à la propagation de maladies infectieuses comme le chikungunya, la dengue, la malaria… Le moustique-tigre, grand pourvoyeur de ces pathologies, a réussi à se frayer un chemin jusqu’en Europe du Sud, où il était jusqu’alors inconnu.

 

Après le deuil, ce pourrait être au tour des peines de cœur d’être traitées médicalement.

La tristabsence

Au XXe siècle, les ruptures amoureuses étaient douloureuses, la perte d’un être cher provoquait une grande tristesse. On pleurait pendant des jours, des semaines. Au XXIe siècle, on a commencé de «soigner» le chagrin à coups de petites pilules. Ira-t-on plus loin ? Après le deuil – récemment classé parmi les pathologies par le DSM (la bible des maladies mentales) -, ce pourrait être au tour des peines de cœur d’être traitées médicalement, à l’aide d’un traitement chimique modifiant l’action de certaines hormones. Dans la vie de tous les jours, tristesse et états dépressifs seraient appelés à disparaître : un petit casque connecté, fixé sur le front à la manière d’un patch et relié à un smartphone, est capable de transformer une humeur de chien en un joli sourire. Cet outil, développé par la start-up Thync, stimule le système nerveux en transmettant au cerveau des ondes électroniques.

 

La pollucondrie

Au cours des cent trente dernières années, la température mondiale a grimpé de 0,85 °C. Une hausse aux multiples répercussions sur la santé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’attend que le changement climatique entraîne, entre 2030 et 2050, quelque 250 000 décès supplémentaires par an, principalement dus à la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress lié à la chaleur. Les pathologies respiratoires et cardiovasculaires devraient elles aussi connaître un pic, favorisé par les épisodes caniculaires. De fait, lorsque le mercure monte, la teneur de l’air en ozone et autres polluants augmente, tout comme la concentration en pollen. Des substances qui provoquent tout un panel de maux : bronchite chronique, asthme, cancer du poumon, infarctus du myocarde… Attention, respirer tue ! En juillet 2015, une commission d’enquête sénatoriale rappelait que les particules fines et l’ozone, deux des principaux polluants atmosphériques, étaient responsables de plus de 40 000 morts prématurées en France. Et de chiffrer le coût de la pollution atmosphérique à plus de 100 milliards d’euros annuels.

 

L’overdata

Il s’écoule quatorze secondes entre chacune de vos bouchées. Vous effectuez 9 272 pas quotidiennement – dommage, il en faut 10 000 pour atteindre la norme, établie aléatoirement par un industriel japonais, trouvant que ça sonnait bien. Votre cœur pulse 70 fois par minute. Vous avez dormi précisément six heures, trente et une minutes et douze secondes. Jusqu’à il y a peu, on s’en cognait pas mal de savoir tout ça. Mais depuis que les fourchettes connectées, les podomètres, les bracelets électroniques, les apps santé et les objets de quantified self ont fait leur apparition, pas un geste, pas une respiration n’échappe au décompte – et accessoirement à vos amis de Facebook à qui vous faites l’honneur de partager ces données. Chacun se quantifie, se compare, se félicite de ses performances ou se promet de faire mieux la prochaine fois. En 2015, un sondage réalisé par 1001pharmacies.com révélait que 99 % des Français étaient séduits par les objets connectés, avant tout utilisés pour suivre leurs activités sportives et leurs performances, prévenir certaines maladies, permettre le diagnostic de pathologies, évaluer la qualité de leur sommeil ou leurs paramètres biologiques. D’ici à quelques années, chaque individu pourrait être équipé de ces mouchards. Face à une telle déferlante de données sur soi-même, nos organismes saturent : trop d’informations ! Pis : ceux qui refusent de se quantifier apparaissent comme suspects, incapables de se fondre dans les nouvelles normes dictées par tous ces objets cafteurs. Lesquels peuvent avoir d’autres conséquences négatives (lire ci-après).

 

Le «nomophobe», lorsqu’il est privé de son mobile, se sent amputé d’une partie de lui-même.

La nomophobie

Les petites barres de réseau qui diminuent, celles de la batterie qui fondent à vue d’œil, vous donnent des sueurs froides. Vous êtes certainement atteint de la no-mobile-phone-phobia, la peur de ne pas pouvoir utiliser son téléphone mobile. Une étude, publiée en 2015 par l’université du Missouri, a fait apparaître que l’absence de téléphone pouvait générer une augmentation de l’anxiété, du rythme cardiaque et de la pression artérielle. Bref, le «nomophobe», lorsqu’il est privé de son mobile, se sent amputé d’une partie de lui-même. La pathologie peut se doubler de fomophobie, la peur de manquer une publication.

 

Le hackorps

Les applications de quantified self dont nous venons de parler feront-elles de nous des êtres transparents, et surtout traqués ? Par notre assureur, par exemple, qui pourra moduler la prime de notre contrat en fonction de nos agissements ou de notre génome et des facteurs de risque qu’il dévoile ? «La connaissance détaillée et continue du comportement d’un individu par l’intermédiaire de capteurs impliquera un changement radical de paradigme pour le secteur de l’assurance, soulignait France Stratégie dans une note publiée en janvier 2015. L’assuré paiera désormais pour couvrir un risque individualisé, fonction de son comportement.»

Et si d’autres s’emparaient de ces données, à des fins encore plus malveillantes ? Et si certains s’invitaient carrément dans nos corps connectés, en prenant possession non seulement de nos données, mais aussi en prenant le contrôle des différents dispositifs médicaux qui nous composeront ? En 2012, un hacker avait déjà réussi à pirater un stimulateur cardiaque à distance !

 

L’infection cybernétique

Les hommes sont faits de chair et de métal. Les progrès spectaculaires de la science et de la technique permettent de réparer chaque partie défaillante du corps. Une puce implantée sous la rétine redonne la vue, une prothèse de main redonne la sensation du toucher, un implant cérébral permet de contrôler les mouvements d’un bras robotisé par la seule pensée. Au-delà de la régénération, certains utilisent ces technologies pour booster leurs performances et devenir des hommes augmentés. Fini les greffes de reins et les prothèses de hanches, place aux implants de restauration active de la mémoire (RAM) pour doper les neurones, aux puces RFID insérées sous la peau au cours d’«implant parties» pour ne plus avoir à sortir la ribambelle de cartes et passes de son portefeuille… Ray Kurzweil, l’un des théoriciens du mouvement transhumaniste, estime que, d’ici à 2030, ces minuscules robots rendront possible la connexion de notre cerveau au cloud. Les mails arriveront directement au cortex, les idiomes pourront être téléchargés directement dans l’hippocampe. Outre les questions éthiques que pose la création de ces cyborgs, la multiplication de ces matériaux dans le corps fait craindre quelques infections, inflammations, voire courts-circuits.

 

L’hyprécondrie

Etre guéri avant même d’être tombé malade. Vaincre un cancer avant même qu’il ne se déclare – si toutefois il se déclare. En 2013, l’actrice Angelina Jolie révélait au monde, ébahi, le dilemme insensé auquel elle était confrontée : vivre avec le risque fort probable de développer un cancer du sein ou bien se faire retirer une poitrine saine avant que le crabe ne s’y installe. La star américaine est porteuse du gène BRCA2, qui prédispose à cette maladie. L’ablation préventive promet d’abaisser le risque de voir la maladie se déclarer de 90 à 5 %. En quelques années, les progrès phénoménaux dans le séquençage du génome ont rendu possible l’identification des mutations génétiques potentiellement responsables d’affections qui pourraient se déclencher. Décrypter les 25 000 gènes contenus sur nos 23 paires de chromosomes ne prend désormais que quelques heures et un petit millier de dollars. Techniquement, tout le monde pourrait avoir accès à son code-barres génétique, avant même de venir au monde. Tout ce qui pourrait nous arriver pourrait être connu dès le premier jour de la vie. De quoi décupler les craintes des hypocondriaques, transformés en hyprécondriaques, inquiets des pathologies auxquelles leurs gènes les prédisposent.

 

L’éternité et le cryogénisme

Il est parmi nous. «L’homme qui vivra mille ans est déjà né», assure Laurent Alexandre, chirurgien et fondateur de la société DNA Vision, spécialisée dans le séquençage de l’ADN. Aujourd’hui, en France, une femme peut espérer vivre jusqu’à 85 ans et un homme, jusqu’à 78,9 ans. D’ici à quelques années peut-être, on se dira que c’était bien jeune pour mourir. D’ailleurs, peut-être ne mourra-t-on même plus. Plusieurs chercheurs et industriels planchent sur la façon d’exploser ces limites et de repousser l’arrivée de la Faucheuse. Google s’est donné comme mission de nous faire vivre plus longtemps, voire de tuer la mort. Aux Etats-Unis, des tests sont menés pour tenter de nous faire mourir à l’âge canonique de 120 ans grâce à un médicament connu depuis des années et traitant le diabète, la metformine. Quelques irréductibles tentent aussi la cryogénie, histoire de faire la nique au temps qui passe et de se réveiller, après décongélation, des décennies plus tard – ce qui peut amener à une autre pathologie, le cryogénisme, un trouble de l’intégration après la sortie du freezer. Vivre un siècle, un millénaire, oui, mais pour quoi faire ? «Grâce aux travaux des chercheurs, on va vivre plus longtemps, confirme Anne-Caroline Paucot. Cet allongement ne convient pas à tout le monde. De plus en plus de personnes se lassent de leur existence. Trouvant leur vie aussi longue qu’ennuyeuse, elles sombrent dans une dépression ad vitam !» Car, comme le disait Woody Allen, «l’éternité, c’est long, surtout vers la fin»

 

* Lire aussi : la Santé demain, la forme augmentée, Propulseurs.

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