Grève à la Croix Rouge : les dessous d'une casse sociale

L’intersyndicale de la Croix Rouge a appelé les salariés à cesser le travail aujourd’hui pour dénoncer la suppression de 1.000 emplois. Un conflit qui révèle aussi le mal-être des équipes et les errements de la direction de l’association.

Mardi 30 mars. A 10h30 pile ; les élus du comité central d’entreprise de la Croix Rouge française réclament une suspension de séance et lèvent le camp. L’un après l’autre, les représentants de l’intersyndicale CGT, CFDT, CFTC, CGC, Fo Unsa et Sud-Solidaires quittent la salle de réunion pour rejoindre la petite centaine de salariés regroupés devant le siège parisien de l’association, 98, rue Didot dans le 14 ème arrondissement. Dans tous les établissements Croix Rouge de France, l’heure de la mobilisation a sonné. « Il y a beaucoup de réactivité dans les territoires ! annonce au micro Anne Taquet, responsable CGT. Des débrayages, des grèves, des AG, des pétitions, toutes les formes d’action. Vous savez pourquoi on est là. »

Ce qu’ils savent ? En réalité, ils ne pigent plus grand chose aux orientations stratégiques de leur direction générale. Des mois qu’ils sont dans le flou, qu’on leur raconte tout et son contraire. L’an passé, on leur a dit que les comptes étaient dans le rouge mais que les emplois seraient sauvés grâce à la mise en place d’un « projet d’optimisation de l’organisation ». Depuis changement de cap. Selon les syndicats, plus de 1.000 postes seraient désormais en danger dans plusieurs établissements ou secteurs d’activité. Trois plans de sauvegarde sont en cours et deux autres programmés d’ici à la fin avril. A la menace sur l’emploi s’ajoutent des conditions de travail dégradées et des salaires toujours au plancher. « Aujourd’hui, les fonctionnaires vont bénéficier d’une augmentation du point d’indice, mais à la Croix rouge, il n’a pas évolué depuis 2009 », rappelle Philippe Perruchon de la CFTC.

3.800 infractions à la durée du travail

Ce mardi matin, le personnel manifestait pour la première fois sa colère devant le siège. Mais le malaise s’est incrusté dans la maison depuis un bon moment. L’ambiance serait devenue toxique à partir de juin 2013, avec l’arrivée de Jean-Jacques Eledjam à la tête de l’association. Le nouveau président veut alors tout chambouler au motif qu’il est devenu urgent de faire des économies. Mais la méthode passe mal et les casseroles sociales s’accumulent.

Au printemps 2015, l’association caritative est épinglée par l’Inspection du travail qui après une descente au siège a relevé 3.800 infractions à la durée du travail : dépassement de la durée hebdomadaire maximale fixée à 48h par la loi, journée de travail excédent 10 heures, privatisation du repos quotidien minimal. Un mois plus tard, c’est un rapport commandé au cabinet Syndex par le comité d’hygiène de sécurité et de condition de travail (CHSCT) qui fait tache. Destiné à mesurer l’impact du fameux « projet d’optimisation de l’organisation » abandonné depuis, l’audit révèle l’ampleur du mal-être.

Les enquêteurs ont ainsi observé chez les salariés « une détérioration de la santé mentale s’exprimant par des troubles de sommeil, de l’anxiété particulièrement importante, des situations d’abattement psychique qui sont proches de certaines formes de dépression, des craintes pour leur avenir professionnel et personnel » ainsi qu’une « dégradation de la santé physique, par le biais notamment de modification des comportement alimentaires et de l’hygiène de vie, la consommation de café, de tabac et d’alcool ».

« La Croix Rouge pourrait installer un nouveau modèle sans casse sociale »

A l’époque, les élus du personnel avaient en parallèle commandité le cabinet Secafi pour analyser les comptes et la gestion de la Croix Rouge. Le verdict est tombé le 3 mars dernier et le document de synthèse que Marianne s’est procuré est sans équivoque. Les auditeurs qui ne contestent pas les difficultés financières de la Croix Rouge font remarquer que ses déficits (près de 17 millions prévus cette année) ne « représentent malgré tout que 1% du chiffre d’affaires ». Ils poursuivent : « Alors même que la direction avance une hémorragie financière pour opérer des licenciements, notre cabinet estime que la CFR peut installer sans casse sociale un nouveau modèle ». Selon Secafi, le mal est ailleurs, dans « les choix d’organisation et de gestion pris depuis quelques années (qui) sont inefficaces voire même pénalisants, et ce malgré la bonne volonté et l’engagement des salariés

Illustration de cette gestion au doigt mouillé par le Nid Marin, un établissement de la Croix Rouge idéalement situé à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) avec vue sur l’océan, spécialisé dans la prise en charge des enfants et adultes autistes, mais dont la gestion est en piteux état. Si tout se passe comme prévu, l’activité de l’institut médico éducatif (IME) devrait être confiée d’ici fin mai à l’association Agir, Soigner, Eduquer, Insérer (ASEI), la Croix Rouge n’en conservant que le terrain et les murs. Or cette cession, assure-t-on à la CGT, aurait été contrainte par l’Agence régionale de santé (ARS) d’Aquitaine elle-même. Le fait est qu’en mars 2015, l’ARS a adressé un courrier à la Croix Rouge (dont Marianne a pris connaissance) dans lequel elle fait état de nombreux dysfonctionnements au terme d’une procédure d’évaluation.

« Une absence de réflexion sur le management et l’accompagnement des équipes qui éprouvent un fort sentiment d’abandon et de manque de repères (…) Un projet d’établissement et l’ensemble des outils relatifs aux droits des usagers caducs et/ou non conformes (…) Une inadaptation des moyens humains entre l’équipe de soin et les équipes éducatives au regard des pathologies et des besoins ; Des locaux qui doivent être repensés et réinvestis pour améliorer la prise en compte des jeunes ; Des déficits budgétaires importants successifs et de mauvaises imputations comptables entre les établissements ; une image dégradée de l’établissement suite aux dysfonctionnements institutionnels et des familles inquiètes sur le devenir de l’IME »…

Pas étonnant que les familles soient inquiètes ! On le serait à moins.

« Je n’ai jamais vu cette maison dans un tel état »

Mais depuis que le président Eledjam a pris les rênes de l’association, le branle-bas n’affecte pas que les établissements de province. Au siège, les salariés —80% de cadres— ont eu aussi droit à une petite réorganisation. « C’est dans l’air du temps », s’amuse l’un d’eux. Sauf que celle-ci a débuté par la valse sans précédent de cadres dirigeants. Selon nos informations, une quinzaine d’entre eux ont quitté le siège entre mai 2014 et mai 2015, poussés vers la sortie via une rupture conventionnelle ou démissionnaire. A quoi s’ajoute le limogeage, en juin 2015 du directeur général Stéphane Mantion —remplacé depuis par Annie Burlot-Bourdil, ex-directrice d’un petit établissement Croix-Rouge d’Indre et Loire mais qu’il avait lui-même promue au siège— puis le licenciement du DRH et plus récemment le directeur de l’informatique. Une hémorragie telle que certains secteurs clés comme par exemple l’action sociale « n’auraient plus de salariés pour s’occuper des dossiers », confie un syndicaliste, plus de 20 ans de boutique, avant d’ajouter : « Je n’ai jamais vu cette maison dans un tel état ».

 

La Croix Rouge en chiffre

56 000 bénévoles
18 000 salariés
1 034 délégations locales
107 délégations départementales et territoriales
68 800 postes de secours lors de manifestations diverses
600 établissements sociaux, médico-sociaux et sanitaires
51 160 personnes aidées à domicile
1 500 000 personnes accueillies et accompagnées dans nos délégations et établissements
135 000 salariés en formation professionnelle continue
113 500 personnes formées aux premiers secours
107 projets mis en œuvre dans 31 pays
2 226 000 personnes aidées à l’international

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