"C'est la troisième ou quatrième fois qu'on tue le numéro 2 de Daech"

Les Etats-Unis ont annoncé vendredi 25 mars avoir tué Haji Imam, « numéro deux » de Daech. Un succès militaire qui est pourtant loin d’arrêter la marche en avant de l’organisation terroriste. Décryptage avec Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le terrorisme.

« Nous éliminons systématiquement le cercle des dirigeants de l’Etat islamique, et l’armée américaine a tué plusieurs terroristes clés de l’organisation cette semaine, dont, nous pensons, Haji Imam ». Les propos tenus ce vendredi 25 mars par le secrétaire à la Défense américain Ashton Carter sont enthousiastes. Le numéro deux de l’organisation a été anéanti. Mais pour Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le terrorisme, l’annonce de la mort de celui « qui était l’un des principaux responsables de l’EI » selon le Pentagone ne devrait pas constituer une menace immédiate pour l’organisation terroriste.

Marianne : Le Pentagone a annoncé ce vendredi que les forces américaines avaient tué Haji Imam, « le numéro deux » de Daech, lors de raids aériens en Syrie. Quel rôle remplissait-il dans l’organisation terroriste ?

Alain Rodier* : Haji Imam était en charge des finances de l’Etat islamique. A l’instar d’Al-Qaida et des autres nébuleuses, cette organisation est toujours basée sur une choura, que l’on traduit généralement comme un « conseil consultatif ». En réalité, il s’agit d’un organe de commandement, qui est divisé en départements. Le plus important est le département religieux, et on retrouve aussi des départements de la Justice, de la Guerre et des Finances.

Le placer en « numéro deux » de Daech me semble un petit peu exagéré, même s’il mérite cette distinction au regard de la prime de 7 millions de dollars qu’offraient les Etats-Unis [en échante de tout renseignement pouvant faciliter sa traque, ndlr]. Mais c’est la troisième ou la quatrième fois que l’on tue le numéro deux… Il n’y a pas vraiment de numéro deux à la tête de l’Etat islamique : Haji Imam était l’un des grands responsables, manifestement plus connus que les autres.

 

La semaine dernière, les Américains ont abattu le ministre de la Guerre de Daech. La stratégie militaire américaine est-elle efficace ?

Les Américains se sont lancés dans les opérations dites homo (d’élimination de personnes ciblées) dans les services de ces organisations terroristes depuis de très longues années. Ces actions ciblées ont pour but de neutraliser différents responsables de mouvements qui menacent les Etats-Unis. Ils le pratiquaient déjà largement avec Al-Qaida, et le pratiquent maintenant avec Daech. La difficulté de ce type d’opération est de disposer d’informations suffisamment précises : pour atteindre sa cible, le tir d’un drone doit être très localisé. J’ai toujours été étonné par l’excellente qualité des renseignements dont disposent les Américains, qui leur permettent d’effectuer des frappes ponctuelles. Ils l’ont fait en Syrie et en Irak, mais ont déjà eu recours à ces frappes au Yémen, en Somalie ou encore en Libye. 

La stratégie militaire employée par les Etats-Unis fait disparaître des personnes importantes, qui sont ensuite remplacées. Le seul antécédent qui nous renseigne sur l’efficacité des opérations homo est la mort de Ben Laden (le 2 mai 2011, ndlr), qui a fortement impacté l’organisation Al-Qaida. Il avait en effet donné des instructions extrêmement précises, notamment l’évacuation du Waziristan, où se trouvaient beaucoup de responsables d’Al-Qaida et où les Américains effectuaient nombre de leurs opérations. Surtout, la mort de Ben Laden a instillé une paranoïa auprès des hauts responsables d’Al-Qaida, qui voyaient des espions partout. Ce phénomène se vérifie aujourd’hui dans les rangs de Daech, qui assassine systématiquement des espions.

Si Al-Baghdadi était tué, on pourrait revivre ce qu’il s’est passé à la mort de Ben Laden.

 

Ben Laden était le leader charismatique d’Al-Qaida. Qui occupe aujourd’hui cette fonction au sein de Daech ?

Abou Bakr al-Baghdadi, le calife Ibrahim, a pris la place de Ben Laden au sein de l’Etat islamique. Il a d’autant plus de poids qu’il est le leader opérationnel de Daech et, dans le même temps, le chef religieux. Au contraire de Ben Laden, qui n’était pas le chef religieux d’Al-Qaida, fonction exercée par le mollah Omar, chef des Talibans. Al-Baghdadi, lui, est en quelque sorte « tout dans sa personne ».

Si Al-Baghdadi était tué, on pourrait revivre ce qu’il s’est passé avec la mort de Ben Laden. Cela dit, la succession de Ben Laden était plus préparée : il y avait plusieurs postulants à son remplacement. Et, malgré quelques flottements, Ayman al-Zawahiri a pris sa place assez naturellement (et est toujours à la tête d’Al-Qaida, ndlr). Aujourd’hui, Al-Baghdadi n’a manifestement pas de successeur aussi légitime. Il est donc certain que son remplacement poserait problème.

 

Comment expliquez-vous que Daech continue de commettre des attentas alors que ses leaders se font tuer ?

Daech continue de frapper pour la simple raison que les chefs de commando qui mènent des attentats en Europe ne sont absolument pas des hauts responsables de l’organisation. Néanmoins, Abou Mohammed al-Adnani, qui est le porte-parole du mouvement, assurerait – selon les Britanniques – la gestion des attentats à l’étranger. Sa mort aurait de lourdes conséquences sur l’organisation des attentats.

 

Daech dispose-t-il d’un vivier suffisamment large pour remplacer ainsi ses chefs sur la durée ?

Je pense que Daech fonctionne comme Al-Qaida sur le remplacement de ses hauts responsables. Ben Laden se plaignait du fait qu’il commençait à manquer de cadres compétents, et des jeunes moins aguerris et moins charismatiques étaient ainsi placés à ces postes. L’Etat islamique est aujourd’hui soumis à la même pression. Malheureusement, ils disposent d’une ressource importante, dans la mesure où l’on estime le nombre de leurs combattants sur le théâtre syro-irakien entre 30 000 et 40 000.

 

*Ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, Alain Rodier, est directeur de recherche chargé du terrorisme et de la criminalité organisée au Centre français de recherche sur le renseignement.

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