On raconte que François Hollande murmure de plus en plus souvent à l’oreille de ses visiteurs du soir : «Ça tiendra bien jusqu’en 2017». Sans doute juge-t-il que les institutions de la Ve République sont assez fortes pour maintenir un semblant d’autorité ou d’unité dans le pays en dépit du désordre gouvernemental et de la double trahison politique née des engagements bafoués et du refus de reconnaître la volte-face. Ou pas.
On raconte qu’à l’annonce de la déroute de Rossbach, où la troupe française conduite par le prince de Soubise fut écrasée par l’armée prussienne, Jeanne-Antoinette Poisson, marquise de Pompadour, voulant remonter le moral de Louis XV, susurra à l’oreille de son royal amant : «Après nous, le déluge.» Ce mot était visionnaire puisque la bataille consacra à la fois le triomphe de Frédéric II et celui de la nation allemande. Comme l’avait bien vu Voltaire, la monarchie française était devenue un ancien régime en se couchant dans une plaine saxonne le 5 novembre 1757.
Depuis l’expression «après nous, le déluge», qui existe, d’ailleurs, dans d’autres langues, a fait son chemin. Elle a pu être prononcée par tous les responsables politiques qui n’ont jamais cherché à endosser et même à imaginer les conséquences de leurs actes. On raconte aussi que François Hollande murmure de plus en plus souvent à l’oreille de ses visiteurs du soir : «Ça tiendra bien jusqu’en 2017», une version somme toute à peine revisitée de la consolation de la marquise. Sans doute juge-t-il que les institutions de la Ve République sont assez fortes pour maintenir un semblant d’autorité ou d’unité dans le pays en dépit du désordre gouvernemental et de la double trahison politique née des engagements bafoués et du refus de reconnaître la volte-face*. Ou pas.
Il fut un temps où la gauche avait de la gueule.
Il fut un temps, pas si lointain mais qui semble une éternité, où la gauche avait de la gueule. Je veux parler, bien sûr, au sens héraldique du terme. Qui n’a pas entendu autrefois les discours de Jean-Pierre Chevènement, de Pierre Mauroy, de Jean Poperen et de beaucoup d’autres ne comprend pas à quel point nous sommes entrés, s’agissant du PS et de ses colistiers, dans l’ère des petits hommes gris.
Aujourd’hui… comment dire ? La gauche, je veux parler de celle des affaires et qui est aux affaires, donne l’impression de raser les murs. Elle s’excuse en permanence d’être ce qu’elle a été. Normal, elle est persuadée que cela constitue une ligne politique. Le plus drôle dans cette histoire est que cette attitude se généralise au moment précis ou surgit une gauche gouvernementale qui adopte un ton plus radical en Grande-Bretagne, en Espagne et, surtout, aux Etats-Unis, conduisant la candidate Hillary Clinton à revoir partiellement sa copie. Déjà le mariage pour tous aurait dû alerter : pensez donc, une réforme comme celle-ci aurait jadis provoqué des discours enflammés et aurait été menée à la prussienne. Imagine-t-on une seconde un François Mitterrand se tortiller, consulter, attendre, reprendre, s’interroger, chipoter et dire à ses adversaires : «Messieurs de la droite, tirez les premiers !» ?
Le problème n’est pas que la gauche est en panne d’idées, elle n’en a ni plus ni moins que la droite. Le problème est qu’il lui manque le courage pour les porter et les affirmer. C’est que la gauche hollandaise n’est pas fiérote. Cette attitude finit par la fâcher avec ses alliés d’hier sans lui ramener ses adversaires d’aujourd’hui. Avec la déchéance de nationalité, on se brouille avec la gauche sociétale et la réforme El Khomri indispose la gauche sociale. Mais il y a pis.
La gauche gouvernementale s’emploie à durablement torpiller toute idée de réforme.
Après Sarkozy, la gauche gouvernementale s’emploie à durablement torpiller toute idée de réforme dans ce pays. Elle aurait pu s’appuyer sur deux évidences comprises par la majorité des Français : la nécessité de simplifier et de dérigidifier les relations dans l’entreprise et le souci d’aider les PME extrêmement fragilisées durant cette période de crise. Au lieu de quoi, l’avant-projet de loi El Khomri réussit le tour de force d’introduire des éléments aussi complexes que le fameux et fumeux «compte personnel d’activité», «un ensemblier de droits portables» (sic), et de nourrir les appétits des apparatchiks du grand patronat.
Au lieu de quoi, sur une question aussi grave pour l’avenir du pays, nous nous retrouvons placés, une nouvelle fois, dans une logique binaire où les uns nous expliquent doctement qu’il suffit de revenir sur des acquis pour être moderne et les autres, qu’il suffit de s’accrocher à des privilèges pour être progressistes. Au lieu de quoi les deux camps qui s’opposent parce qu’ils ne recherchent que l’anéantissement de l’adversaire se jettent à la tête mensonges et désinformations. Au lieu de quoi, l’idée même de réforme se trouve encore confisquée par les publicistes qui peignent tout changement en une nouvelle bataille des Anciens contre les Modernes. Et, au final, pour quel profit politique ? «Ça tiendra bien jusqu’en 2017.» Certes, mais il y a fort à parier qu’au bout du compte cette réforme mal conduite, mal préparée et mal défendue laissera le général Hollande sans armée.
Au lendemain de la bataille de Rossbach, le peuple de Paris troussa une chanson qui n’est pas sans rappeler notre époque et la situation du chef de l’Etat : «Soubise, dit, la lanterne à la main : « J’ai beau chercher, où diable est mon armée ? Elle était là pourtant, là, hier matin. Me l’a-t-on prise ou l’aurais-je égarée. Prodige heureux ! La voilà, la voilà ! O ciel ! Que mon âme est ravie ! Mais non, qu’est-ce donc que cela ? Ma foi, c’est l’armée ennemie.»
*Relire à cet égard l’Ineffaçable Trahison, de Jean-François Kahn, Plon, 2015.
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments