La journée du 9 mars a au moins dissipé les rêves des Valls, Macron et autres Le Guen, d’un pays débarrassé – enfin ! – de la lutte des classes, et où, de plus, la lutte contre le terrorisme donnerait un blanc seing global aux gouvernants. Les centaines de milliers de manifestants sont venu rappeler à un pouvoir déconfit et impopulaire que, même si les institutions lui en donnent le droit, il n’a aucune légitimité à imposer des réformes, encore plus si elles sont contraires à ses engagements
Combien étaient-ils exactement à défiler contre la loi El Khomry dans les rues de 200 villes de France le 9 mars ? 400.000 comme l’avance la CGT-FO ? 500.000 comme dit l’Unef ? 224.000 selon la Police ? Qu’importe, le nombre est suffisamment important pour qu’on considère que le gouvernement s’est fait sérieusement sonner les cloches.
Ceux qui estimaient que les 1,2 million de signataires de la pétition contre le projet de loi Travail resteraient tranquillement derrière leurs ordinateurs doivent se rendre à l’évidence les pétitionnaires désincarnés de change.org sont aussi des manifestants bien réels. L’hypothèse d’un confit long, rythmé par des défilés de plus en plus en fournis, comme ce fut le cas en 1995, et en 2006 pour le CPE, est plus confortée qu’infirmée, n’en déplaise aux éditorialiste des Echos qui tente de conjurer le spectre d’un retrait du projet ou, du moins, de sa banalisation totale… Déjà les rendez-vous sont pris : le 17 mars par l’Unef, le 31 mars par les syndicats de salariés…
S’il y a quelque chose d’irréductible en France, c’est bien la question sociale.
Ces dizaines ou centaines de milliers de manifestants qui criaient « A bas la loi Travail !» ont rappelé une vieille leçon que nombre de responsables et de commentateurs politiques avaient oublié : s’il y a quelque chose d’irréductible en France, c’est bien la question sociale. Elle a même une caractéristique supplémentaire, c’est que c’est justement lorsqu’elle semble avoir disparu qu’elle revient au galop ! Les exemples foisonnent. N’en citons qu’un : en mai 1968, la droite gaulliste pensait avoir endormi une classe ouvrière alléchée par la société de consommation. Résultat, le pouvoir dut faire face à la plus grande grève de l’histoire du pays avec environ 8 millions de grévistes.
En 2015, c’est Manuel Valls qui fait cette erreur. Le premier ministre, à partir des attentats contre Chralie Hebdo et l’Hyper Cacher et plus encore à partir de ceux du 13 novembre, estime que l’histoire a définitivement changé de moteur, que le clivage essentiel n’est plus la lutte entre les classes sociales, mais entre républicains et communautaristes. Entre patriotes et ennemis de la nation. L’homme se dit d’ailleurs plus volontiers adepte de Clemenceau, qui était un briseur de grève, que de Jean Jaurès, le défenseur des mineurs de Carmaux. ll célèbre « l’esprit du 1 janvier », dont on sent bien qu’il aimerait qu’il efface l‘esprit du 1er mai.
Emmanuel Macron, son ministre de l’Economie et néanmoins concurrent dans la course à la « modernité en politique », pense, lui, que la question sociale a été noyée dans les octets de la société numérique. L’économiste Jean Marc Daniel les qualifie dans un livre* tous deux de représentants de « la gauche de l’excellence » (sur quels résultats, grands dieux !), et les rattache à un courant très libéral du début de la Révolution française, le club des Feuillants. Très libéraux en effet, ces constituants furent à l’origine en 1791 des lois d’Allarde et Le Chapelier qui en interdisant les jurandes et les corporations et les « coalitions », servirent à réprimer toute organisation des ouvriers et les grèves jusque sous le second empire. L‘esprit « Feuillant » disait qu’entre le citoyen et lui, le gouvernement ne pouvait admettre aucun corps intermédiaire…
Il suffit de piocher dans la boite à outil du Medef, révisée par quelques juristes incompétents.
On peut sourire, mais comment ne pas déduire que de cet «esprit feuillant » découle l’incroyable série de bévues qui accompagnent la loi Travail. On comprend alors que loin d’être des « erreurs de communication », comme a tenté piteusement de plaider Myriam El Khomry, elles sont la conséquences des positions orientations politiques qui animent l’exécutif. Si la question sociale n’est plus centrale, pourquoi donc s’embêter à trouver des solutions réellement innovantes aux problèmes des relations au travail, ou à la précarité ? Il suffit de piocher dans la boite à outil du Medef, révisée par quelques juristes incompétents. Et pourquoi donc consacrer du temps à négocier avec des syndicats qu’on méprise, y compris la CFDT qui a pourtant accompagné toutes les réformes du quinquennat ? Tout ceci n’est que perte de temps et d’énergie, transmettons vite au Conseil d’Etat… Faisons vite voter le Parlement, avec au besoin le recours au 49-3.
Même François Hollande, qui se proclamerait bien «premier social-démocrate de France» est atteint du virus de l’oubli : en nommant une ministre inexpérimentée et surtout sans poids politique (à la différence de François Rebsamen) au Travail, il a fait la démonstration que cette question était devenue secondaire dans son esprit. Le résultat ne s’est pas fait attendre : sans le contre-poids d’un ministre fort, le texte a été écrit, amendé, surchargé par les services de Matignon et de Bercy, pour qui le social est juste un obstacle au bon déroulement des carrières…Evidemment, une nouvelle séquence s’ouvre. Pour ne pas subir le sort de Dominique de Villepin, Manuel Valls a censenti à négocier directement avec les partenaires sociaux. Il était temps… Mais rien ne garanti encore une sortie de crise positive.
La journée du 9 mars a au moins dissipé les rêves des Valls, Macron et autres Le Guen, d’un pays débarrassé – enfin ! – de la lutte des classes, et où, de plus, la lutte contre le terrorisme donnerait un blanc seing global aux gouvernants. Les centaines de milliers de manifestants sont venu rappeler à un pouvoir déconfit et impopulaire que, même si les institutions lui en donnent le droit, il n’a aucune légitimité à imposer des réformes, encore plus si elles sont contraires à ses engagements. Et que si les citoyens consentent à leurs représentants le droit, le devoir même, de combattre le terrorisme, y compris en restreignant certaines libertés, cette délégation de pouvoir ne va pas un centimètre au-delà.
*Valls Macron, le socialisme de l’excellence à la française. Jean-Marc Daniel. François Bourin Editions
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