Tafta : à droite, le grand méchant flou

Officiellement, Les Républicains soutiennent – sous conditions – le traité de libre-échange transatlantique. Pourtant, les rares ténors du parti à s’exprimer sur ce sujet – Sarkozy en tête – critiquent violemment les négociations en cours entre Bruxelles et Washington.

Cafouillage à droite sur le Tafta, ce traité de libre-échange transatlantique au cœur d’intenses négociations entre l’Union européenne et les Etats-Unis depuis juillet 2013. Officiellement, Les Républicains (LR), fidèles à leurs orientations libérales, voient plutôt d’un bon œil ce projet d’accord visant à lever les obstacles tarifaires et non tarifaires entre l’Amérique et le Vieux Continent. Et pourtant, leur patron multiplie les déclarations hostiles sur le sujet. Ces derniers temps, Nicolas Sarkozy a en effet créé la surprise en s’attaquant aux discussions en cours. Et il n’est pas le seul à semer le trouble.

Dans son discours censé fixer la ligne de son parti devant le conseil national de LR, le 14 février, l’ancien chef de l’Etat avait déjà glissé une petite phrase sur le sujet, en dénonçant « la méthode inacceptable » de négociation du Tafta. Il en a remis une couche le 2 mars, au Salon de l’agriculture, en souhaitant que ces discussions « ne soient pas dans les mains exclusives de la Commission et d’un commissaire dont la légitimité n’est pas établie« . Pour lui, « les négociations doivent être conduites sous la responsabilité du Conseil européen. C’est aux chefs d’Etat et de gouvernement de prendre leurs responsabilités. » Rappelons que dans le processus actuel, la Commission européenne a reçu un mandat des gouvernements pour négocier au nom des 26 Etats membres.

Bruno Le Maire dénonce « un scandale démocratique ».

La veille, l’un des concurrents de Sarkozy pour la primaire, Bruno Le Maire, s’était lui aussi violemment attaqué au Tafta. « Ce traité est négocié dans notre dos. C’est un scandale démocratique. Nous n’en avons jamais vu une seule ligne », a fustigé l’ancien ministre de l’Agriculture, assurant même que « jamais » il ne ratifierait un tel traité à l’Assemblée. « Si c’est pour ouvrir le marché aux bêtes piquées aux hormones, au poulet aspergé de chlore, on a perdu la partie », a affirmé le député de l’Eure.

Des arguments que font régulièrement valoir les détracteurs du Tafta, qui s’inquiètent notamment d’un alignement des normes qui permettrait aux produits américains de déferler tranquillement sur l’Europe sans garantie crédible de sécurité alimentaire. Mais qui font tiquer le spécialiste du sujet chez LR, l’eurodéputé Franck Proust, également secrétaire national du parti au commerce extérieur. « Le poulet au chlore, c’est une vision caricaturale », s’agace-t-il auprès de Marianne. L’élu, qui suit de près le dossier au Parlement européen, défend le bien-fondé de la négociation : « Travailler à régir les relations commerciales entre les deux premières puissances du monde, ça peut tout de même être une bonne chose, surtout lorsque d’autres zones se structurent, notamment autour de la Chine », fait-il valoir.

Mais si Les Républicains sont officiellement favorables au Tafta, ce n’est « pas à n’importe quel prix », assure Franck Proust, en citant quatre « lignes rouges » : la réciprocité de l’ouverture des marchés publics, la mise en place d’une cour internationale pour régler les conflits commerciaux, la reconnaissance des indications géographiques protégées (IGP) et un alignement des normes « qui s’imposerait au reste du monde ». Les deux derniers sujets sont délicats pour le parti auprès de plusieurs franges de son électorat : les agriculteurs, inquiets de voir les appellations d’origine contrôlée sacrifiées sur l’autel du libre-échangisme, mais aussi les petits patrons de PME, qui risquent d’être confrontés à une nouvelle concurrence brutale venue d’outre-Atlantique.

Quant à la transparence des négociations – ou plutôt leur manque de transparence – Franck Proust balaie d’un revers de la main les critiques émanant de son camp : « Je ne suis pas d’accord pour dire que c’est négocié dans notre dos. On peut toujours améliorer la transparence, mais aujourd’hui, n’importe quel parlementaire peut consulter le compte-rendu des négociations. »

Pas facile chez Les Républicains de distinguer une position claire sur le sujet.

C’est vrai. Mais dans « des conditions tout à fait spéciales », comme l’a dénoncé le député LR Jean-Frédéric Poisson à l’Assemblée nationale, le 17 février. Pour prendre connaissance du précieux document, il faut se rendre « dans un des services du Premier ministre, dans une salle fermée, en étant escorté par un fonctionnaire de Matignon qui sert de surveillant, en prenant soin de déposer son téléphone portable à l’entrée pour ne pas s’en servir en consultant le document qui par ailleurs est en anglais, et avec des sanctions pénales à la clé pour tout parlementaire qui divulguerait des informations », a raconté Poisson, pour qui « la consultation de ces documents doit se faire librement, dans l’espace public et sans aucune espèce de limite ».

A droite, le Tafta est donc loin de mettre tout le monde d’accord. « Il n’y a pas assez de pédagogie », déplore Franck Proust, pour qui « les parlementaires nationaux ne se sont pas suffisamment approprié le sujet ». De fait, pas facile, chez Les Républicains, de distinguer une position claire. Pas un mot du Tafta sur leur site internet. Et au siège du parti, c’est silence radio : le responsable du projet, Eric Woerth, n’a pas répondu à nos sollicitations sur le sujet. Reste à savoir si ces tensions iront jusqu’à propulser ce sujet techniquement complexe sur la table des débats de la primaire de novembre. Auquel cas les contradictions de la droite sur le Tafta pourraient bien apparaître au grand jour.

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